A
ce moment-là, tout dans
l'Univers, dans les dix directions -- le sol, la terre, l'herbe et les
arbres; les clôtures, les tuiles et les cailloux -- accomplit
l'oeuvre
du Bouddha. Les gens qui reçoivent le
bénéfice
ainsi produit par le
vent et l'eau sont tous aidés comme par magie par la
délicate et
impensable influence du Bouddha et ils montrent tous
l'immédiat
état de
réalisation. Tous les êtres qui
reçoivent et
utilisent cette eau et ce
feu répandent l'influence du Bouddha dans l'état
originel
de
l'expérience, de sorte que ceux qui vivent et parlent aussi
avec
eux sont tous réciproquement dotés de la vertu
sans
limite du Bouddha. En étendant et en promouvant leur
activité en long et en large, il imprègnent
l'intérieur et l'extérieur de l'Univers tout
entier de
l'illimité, incessant, impensable et incalculable
Bouddha-Dharma. [L'état] n'est pas offusqué par
les vues
de ces individus eux-mêmes, pourtant, parce que
l'état
dans la quiétude, sans activité intentionnelle,
est
expérience directe. Si nous divisons la
pratique-et-expérience en deux étapes, comme dans
la
pensée des gens ordinaires, chaque partie peut
être
perçue et comprise séparément. [Mais]
si la
perception et la compréhension sont
mélangées, ce
n'est pas l'état normal de l'expérience, car ce
dernier
se situe au-delà de l'émotion induite par
l'illusion.
Quoique, dans la quiétude, l'esprit et le monde
extérieur
entrent ensemble dans l'état d'expérience et
sortent
ensemble de l'état de réalisation, [ces
mouvements] sont
l'état de recevoir et d'utiliser le soi [41].
En conséquence, [mouvements de l'esprits et monde
extérieur] n'agitent pas une seule molécule et ne
dérangent pas une seule forme, mais accomplissent le vaste
et
grand oeuvre du Bouddha et sa profonde et délicate
influence.
L'herbe, les arbres, le sol et la terre qu'atteint cette influence
directrice irradient tous une grande clarté, et
prêchent
sans fin le délicat et profond Dharma. L'herbe, les arbres,
les
clôtures et les murs acquièrent la
capacité de
prêcher pour toutes les âmes, les gens du commun
[comme]
les saints; et inversement, toutes les âmes,
les gens du commun [comme] les saints, prêchent
pour l'herbe,
les arbres, les clôtures et les murs. Le monde de la
conscience
de soi, et [le monde] de la conscience des objets
extérieurs, ne
manquent de rien -- ils sont déjà pourvus de la
forme
concrète de l'expérience réelle.
L'état
normal de l'expérience réelle, lorsqu'il est
activé, ne permet aucun mouvement oiseux.
Zazen, même si ce n'est
qu'un seul être
humain assis pour un instant, entre ainsi en coopération
mystique avec tous les dharmas et
pénètre
complètement tous les temps; et c'est pourquoi il
accomplit, au sein de l'Univers sans limites, l'oeuvre
éternel
de l'influence directrice du Bouddha dans le passé, dans le
futur et dans le présent. Pour chacun, c'est
complètement
la même pratique et la même expérience.
La pratique
n'est pas confinée au fait-même d'être
assis; elle
frappe l'espace et résonne [comme] la résonnace
qui se
poursuit avant et après avoir frappé une cloche.
Comment
pourrait [la pratique] être limitée à
cet endroit?
Toutes choses concrètes [42]
ont la pratique originelle pour
caractéristiques d'origine; c'est au-delà de la
compréhension. Rappelez-vous, même si les
innombrables
bouddhas dans les dix directions, aussi nombreux que les sables du
Gange, tentaient de toute leur puissance et de toute leur sagesse
bouddhique de calculer les mérites du Zazen d'une seule
personne, ils ne pourraient même pas s'en approcher.
[26]
Nous
avons donc entendu dire combien haut et grand est le mérite
de
zazen. [Mais] quelque personne stupide pourrait bien demander, en proie
au doute: "Il y a de nombreuses portes du Bouddha-Dharma. Pourquoi
recommandez vous seulement de s'asseoir en zazen?" [43]
Je dis: parce que c'est l'entrée authentique du
Bouddha-Dharma.
[26]
[Quelqu'un] demande: "Pourquoi le voyez-vous comme la seule
entrée authentique?"
Je dis: Le grand-maître Shâkyamuni a transmis avec
exactitude, car c'est la tradition authentique, cette subtile
méthode de saisir l'état de
vérité, et les
tathâgatas des trois temps [44]
sont tous
arrivés à la vérité
grâce à
zazen. C'est ainsi que le fait que [zazen] soit la porte authentique a
été transmis et reçu . Qui plus est,
les
patriarches des Paradis occidentaux et des Terres orientales sont tous
arrivés à la vérité
grâce à
zazen. C'est pourquoi je prêche maintenant [zazen]
aux
êtres humains et aux dieux en tant que porte authentique.
[27]
[Quelqu'un] demande: "Ce qui se base sur la réception de la
transmission authentique de la méthode subtile du
Tathâgata, ou sur le fait de suivre les traces des
maîtres
ancestraux, est sûrement au-delà de l'intellect de
l'homme
du commun. Lire des sûtras ou réciter les noms des
bouddhas peut cependant devenir les causes et les conditions de
l'éveil. Mais pour ce qui est de juste rester assis
à
rien faire, comment est-ce que cela pourrait être le moyen
d'arriver à l'éveil?"
Je dis: Là, si vous pensez que la samâdhi des
bouddhas, le
suprême et grand Dharma, c'est de rester assis à
rien
faire, vous êtes une personne qui insulte le Grand
Véhicule [45]. [Une
telle] illusion est si
profonde que c'est pareil que d'être dans l'océan
et de
dire qu'il n'y a pas d'eau. [En zazen], nous sommes
déjà
assis, dans la stabilité et la gratitude, dans la
samâdhi
des bouddhas de réception et d'utilisation du soi. N'est-ce
pas
là l'accomplissement d'une grande et vaste vertu? Il est
pitoyable que vos yeux ne soient pas encore ouverts et que votre esprit
demeure dans une stupeur d'ivrogne. En général,
l'état des bouddhas est impensable: l'intelligence ne peut y
atteindre. Combien encore moins peuvent connaître cet
état
l'incrédulité ou la sagesse
inférieure? Seuls les
gens de grandes réalisations et de croyance correcte peuvent
y
entrer. Pour les incrédules, même
instruits, il leur
est difficile de recevoir cet enseignement -- même sur le Pic
des
Vautours, il y eut des gens [dont le Bouddha put dire]: "Ça va aussi, s'ils
se retirent". [46]
En règle générale, quand la croyance
juste
émerge dans notre esprit, nous devons nous
entraîner et
apprendre en pratique. Autrement, il faut se reposer un moment.
Regrettez-le si vous voulez, mais depuis les temps anciens, le Dharma
est sec. De plus, connaissez-vous personnellement un quelconque
mérite qu'il y aurait à des pratiques telles que
lire des
sûtras et réciter des noms de bouddhas? Ce n'est
pas une
chose très fiable que de croire que le seul fait d'agiter sa
langue et d'élever la voix puissent posséder les
mérites de l'oeuvre du Bouddha. Quand nous comparons ces
pratiques avec le Bouddha-Dharma, elles s'effacent toujours plus loin
dans le lointain. Qui
plus est, nous ouvrons les sûtras pour
clarifier les critères enseignés par le Bouddha
sur la
pratique graduelle et instantanée [47],
et ceux qui pratiquent
selon l'enseignement sont invariablement menés à
atteindre l'état d'expérience réelle.
C'est
quelque chose de totalement différent du fait d'aspirer
à
la vertu d'obtention de la bodhi en épuisant en vain
l'intellect. Tenter d'arriver à l'état de
vérité du bouddha [que] par l'action de la
bouche, en
psalmodiant stupidement des milliers ou des dizaines de milliers de
fois, c'est comme d'espérer d'atteindre le [pays
méridional de] Etsu en dirigeant la voiture vers
le nord.
Ou bien comme de tenter d'ajuster une cheville carrée dans
un
trou rond. Lire des phrases tout en demeurant ignorant de la
manière de pratiquer, [c'est comme] un étudiant
de
médecine qui oublierait comment composer ses ordonnances. A
quoi
cela sert-il? Ceux qui psalmodient sans cesse sont comme des
grenouilles dans une rizière, coassant nuit et jour. A la
fin,
c'est totalement inutile. C'est encore plus difficile de laisser tomber
ces choses pour ceux qui sont gravement dérangés
par la
gloire et le profit. L'esprit qui ambitionne le profit est
très
profond [ément enfoui] et c'est aussi comme cela que ce
devait
être par le lointain passé. Comment pourrait-ce ne
pas
être présent dans le monde d'aujourd'hui? C'est
vraiment
pitoyable. Rappelez-vous simplement: lorsqu'un pratiquant suit
directement un maître qui est arrivé à
la
vérité et a clarifié l'esprit, et
quand le
pratiquant apparie cet esprit et ces expériences, et le
comprend, et reçoit ainsi la transmission authentique du
subtil
Dharma des Sept Bouddhas [48],
c'est alors que l'enseignement exact apparaît clairement, est
reçu et est maintenu. Ceci est au-delà de
l'entendement
des maîtres de Dharma qui étudient les mots [49].
Cessez donc ces doutes et ces illusions et, en suivant les
enseignements d'un vrai maître, atteignez par votre
expérience la samâdhi des bouddhas qui
reçoit et
utilise le soi, en vous asseyant en Zazen et en recherchant la
vérité.
[32]
[Quelqu'un] demande: "La fleur du Dharma [50]
et l'enseignement [du sûtra] de la Guirlande [51],
qui ont désormais été transmis dans ce
pays, sont
tous deux des expressions ultimes du Grand Véhicule. Qui
plus
est, dans le cas de l'Ecole Shingon [52],
[la
transmission] passe directement du Tathâgata Vairocana
à
Vajra-sattva, et ainsi, [la trasmission de] maître
à
disciple ne se fait pas au hasard. Pour citer les principes qui y sont
discutés, que "l'esprit
ici et maintenant est Bouddha," et que "cet esprit devient Bouddha" [53], [l'Ecole Shingon] proclame que
nous réalisons la réalisation correcte des cinq
bouddhas [54] en une
séance sans passer par de nombreux kalpas [55]
d'entraînement. On peut dire que ceci est le raffinement
ultime
du Dharma du Bouddha. Qu'y a-t-il, alors, de si excellent dans
la
seule pratique que vous recommandiez, désormais,
à
l'exclusion de ces autres [pratiques]?"
Je dis: Rappelez-vous, entre bouddhistes, nous ne disputons pas de la
supériorité et de
l'infériorité des
philosophies, ni ne choisissons entre le manque de profondeur ou la
profondeur du Dharma; qu'il nous suffise de savoir si la pratique est
authentique ou artificielle. Certains sont entrés dans le
courant de la vérité du Bouddha à
l'invitation de
l'herbe, des fleurs, des montagnes et des rivières. Certains
ont
reçu et maintenu le sceau du Bouddha en saisissant de la
terre,
des cailloux, du sable et des galets. Qui plus est, le Grand et Vaste
Monde [56] est encore plus
abondant que les myriades
de phénomènes. Et la mise en mouvement de la
grande Roue
du Dharma est contenue dans chaque molécule. Cela
étant,
les paroles "l'esprit ici et maintenant est
Bouddha," ne sont que la lune dans l'eau [57]
et l'idée que "juste
s'asseoir c'est devenir Bouddha"
est aussi un reflet dans un miroir. Nous ne devons pas nous laisser
prendre par l'habileté des mots. Or, quand je recommande la
pratique dans laquelle on fait directement l'expérience de
la
bodhi, j'espère démontrer la
vérité subtile
que les patriarches bouddhistes se sont transmis de l'un à
l'autre et ainsi vous transformer en personnes de l'état
réel de vérité. Qui plus est, pour la
transmission
du Bouddha-Dharma, nous devons toujours prendre pour maître
une
personne qui a fait l'expérience de l'état [du
Bouddha].
il ne suffira jamais de prendre pour guide-enseignant un savant qui
compte les mots; cela serait comme un aveugle guidant d'autres
aveugles. En cette lignée de la transmission authentique des
patriarches bouddhistes, tous nous vénérons les
sages
maîtres qui ont atteint la vérité et
fait
l'expérience de l'état, et nous faisons en sorte
qu'ils demeurent
dans le Bouddha-Dharma et qu'ils le maintiennent.
41- JIJUYO no KYOGAI,
litt., "l'aire de la réception et de l'utilisation du soi",
c'est-à-dire l'état d'équilibre
naturel. Voir note 3. [retour] 42- HYAKUTO, litt., "centaines de
têtes," ce qui suggère diverses choses
concrètes. [retour] 43- Les questions
et réponses ne sont pas séparées dans
le texte
source. On les a ici séparées pour la
facilité de
lecture. [retour] 44- SANZE, passé,
présent et avenir;
l'éternité. [retour] 45- DAIJO, le Bouddhisme
Mahâyâna.[retour] 46- TAIYAKUKEI. Voir SdL 1.86-88. [retour] 47- TONZEN-SHUGYO.
TONZEN est une abbréviation de TONGO,
"réalisation
instantanée" et de ZENGO, "réalisation
graduelle". Ce
sont deux conceptions de la réalisation -- comme elle se
produit
juste au moment de la pratique, et en tant que processus se poursuivant
sur une longue ligne d'instants -- fondées sur ces deux
conceptions du temps. [retour] 48- Les sept
anciens bouddhas étaient Vipaçyin,
Çikhin,
Viçyabû, Krakucchanda, Kanakamuni,
Kâçapa et
Çâkyamuni. La croyance en ces Sept Bouddhas
renvoie
à l'idée que le Dharma est éternel,
antérieur au Bouddha historique,
Çâkyamuni.
[retour] 49- HOSSHI. A
l'époque de maître Dôgen,
c'était le titre de
certains prêtres de l'école Tendai. [retour] 50-
HOKKESHU. HOKKE
résume HOKKEKYO, le "Sûtra de la Fleur du Dharma",
autrement dit, le Sütra du Lotus. SHU signifie religion ou
école. HOKKESHU était l'ancien nom de l'Ecole
Tendai.
Celle-ci fut fondée en Chine par maître Tendai
Chigi, sur
la base du Sûtra du Lotus. Elle fut introduite au Japon par
maître Saicho (767-822). [retour] 51-
KEGONKYO, litt., "enseignement du Kegon", c'est-à-dire
l'enseignement de l'Ecole Kegon qui fut elle aussi fondée en
Chine, sur la base du Sûtra Kegon (de la Guirlande). Elle fut
introduite au Japon en 736. [retour] 52- SHINGONSHU.
L'Ecole Shingon est dérivée du Bouddhisme
Vajrayâna. Maître Kukai se rendit en Chine et en
rapporta
les enseignements de l'Ecole Shingon au Japon en 806. Le Bouddhisme
vajrayâna vénère Vajra-sattva, le
Bouddha de
Diamant, dont on dit qu'il a reçu la transmission de
Vairocana,
le Bouddha du Soleil. [retour] 53- "L'esprit ici
et maintenant est Bouddha" est SOKU SHIN ZE BUTSU, qui est aussi le
titre du chapitre 6. "Cet esprit devient Bouddha" est ZE SHIN SA
BUTSU. [retour] 54-
C'est-à-dire les cinq bouddhas du mandala utilisé
dans le
Bouddhisme ésotérique de l'Ecole Shingon. Il
s'agirait
d'une image comportant le Bouddha Vairocana au milieu,
entouré
par des bouddhas au nord, au sud, à l'est et à
l'ouest. [retour] 55- GO (ou KO) représente le
son du mot sanscrit kalpa,
qui signifie une période infiniment longue. On a
expliqué un kalpa,
par
exemple, comme le temps qu'il faudrait à un ange pour user
un
gros rocher en l'effleurant avec sa manche une fois tous les
trois
ans. [retour] 56- KODAI no MONJI,
litt., "les grands et gros caractères" suggère
le Dharma comme n'étant pas seulement une accumulation de
phénomènes matériels, mais
également
quelque chose qui a du sens. [retour] 57- Une image de la lune, qui n'est pas
la lune elle-même. [retour]
(Aller à la
troisième partie)
___________________________________________________________________________________________________________________________