Shôbôgenzô de
maître Dôgen

le "Trésor de
l'Oeil du Vrai Dharma".
J'accumule les traductions faites à partir de
la version anglaise de maître Nishijima et de Mike Cross.
C'est
pourquoi j'ai décidé de les regrouper sur cette
page.
Vous y trouverez les résumés de tous les
fascicules du Shôbôgenzô, et, lorsque la
version française existe, le lien correspondant.
Toutes ces traductions sont basées sur la version
Nishijima-Cross du Gendaigoyaku
Shoubougenzou ou Shôbôgenzô en japonais
moderne, en 13 volumes, de maître Nishijima.
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[1] Bendôwa
De la recherche de la Vérité.
Ben veut dire faire un effort, ou chercher; dô signifie la
vérité, et wa veut dire discours ou histoire.
Habituellement,
maître Dôgen utilisait le mot bendô pour indiquer la pratique de Zazen, de sorte que le sens de Bendowa est
«de la
recherche de la vérité» ou «de la pratique de Zazen». Ce volume
n’était pas inclus dans la première édition du
Shôbôgenzô. Il a été trouvé à
Kyôto à l’ère Kanbun (1661-1673), et a été ajouté au
Shôbôgenzô lors de l’édition en 95 volumes par
maître Hangyo Kozen à l’ère Genroku (1688-1704).
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[2] Maka-Hannya-Haramitsu
Mahâ-prajña-parâmitâ
Maka est une translittération phonétique du mot
sanscrit mahâ, qui veut dire “grand”. De même, hannya
rend le mot sanscrit prajña, qu’on peut traduire par “sagesse
réelle”, ou “réflexion intuitive”. Haramitsu rend
parâmitâ
qui signifie littéralement “être
arrivé sur l’autre de sorte que maka-hannya-haramitsu signifie la réalisation
qui est la grande et réelle vérité. dans ce chapitre,
maître Dôgen a transcrit son interprétation du
Mahâ-prajña-parâmitâ-
hrdaya-sûtra. Hrdaya signifie le coeur. Ce court
sûtra, habituellement appelé le “Sûtra du Coeur”,
représente l’essence des six-cents volumes du
Mahâ-prajña-parâmitâ-hrdaya-sûtra.
Quoiqu’il soit très court, le Sûtra du
Coeur contient les principes les plus fondamentaux du Bouddhisme. Quel est le principe le plus
fondamental? La prajña. Quelle est-elle? La prajña, ou
réelle sagesse, est une sorte de capacité intuitive qu’on retrouve
dans notre corps et
notre esprit, lorsque ceux-ci sont dans un état
d’équilibre et d’harmonie. Nous avons tendance à croire que la
sagesse est basée sur l’intellect, mais les bouddhistes croient que la sagesse,
sur laquelle se basent nos décisions, n’est pas intellectuelle
mais intuitive. La bonne décision surgit du bon état du corps et de
l’esprit, et celui-ci a lieu lorsqu’ils sont équilibrés et
harmonisés. de sorte que la mahâ-prajña-parâmitâ
est la sagesse lorsque corps et esprit sont équilibrés et en harmonie. et Zazen
est la pratique par laquelle nos corps et esprit entrent dans cet état
d’équilibre et d’harmonie.
Mahâ-prajña-parâmitâ est donc l’essence de Zazen.
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[3] Genjô-Kôan
L’Univers réalisé.
Genjo veut dire «réalisé», et
kôan est une abbréviation pour
kôfu-no-antoku, qui était un panneau
d’affichage sur lequel une loi nouvelle était
annoncée au public, dans les temps anciens en Chine. De
sorte que kôan exprime une loi, ou un principe universel.
Dans le Shôbôgenzô, genjô
kôan signifie la loi réalisée de
l’Univers, c’est-à-dire le Dharma, ou
l’Univers réel lui-même. La base
fondamentale du Bouddhisme, c’est la croyance dans cet
Univers réel, et dans le Genjô Kôan ,
maître Dôgen nous prêche le Dharma
réalisé, ou Univers réel
lui-même. Lorsque l’édition en
soixante-quinze chapitres a été
compilée, ce chapitre était en premier, et nous
pouvons reconnaître son importance de ce simple fait.
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[4] Ikka-No-Myôju
Une Perle Claire.
Ikka signifie «une», myô veut dire
«brillante» ou «claire», et ju
signifie «perle». Ce qui fait que ikka no
myôju signifie «Une Perle claire». Ce
chapitre est un commentaire sur cette phrase du maître Gensa
Shibi que l’univers entier dans les dix directions est aussi
splendide qu’une perle claire. Maître
Dôgen aimait ces mots, il a donc écrit ce chapitre
à leur sujet.
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[5] Ju-Undô-Shiki
Règlements pour la Salle du Lourd Nuage
Jû-undo ou «Salle du Lourd Nuage»
était le nom de la Salle de Zazen du temple
Kannon-dôri-kosho-hôrin-ji. Shiki veut dire
règlement. Ainsi, Jû-undo-shiki signifie
«Règlements pour la Salle du Lourd
Nuage». Le Kannon-dôri-kosho-hôrin-ji fut
le premier temple fondé par maître
Dôgen. Il le construisit dans la préfecture de
Kyôto en 1233, plusieurs années après
son retour de Chine. Le Jû-Undô fut la
première salle de Zazen à être
construite au Japon. Maître Dôgen édicta
ces règlements pour cette salle et leur a donné
ce titre. Ce chapitre ne fut pas inclus dans le
Shôbôgenzô lorsque
l’édition en 75 fascicules fut
compilée, mais fut ajouté lors de
l’édition en 95 chapitres, à la fin du
XVII° siècle. L’inclusion de ce chapitre
est utile pour comprendre le Shôbôgenzô,
parce que ce qui est ici écrit représente de
façon concrète l’attitude
sincère de maître Dôgen dans sa
recherche de la vérité.
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[6] Soku-Shin-Ze-Butsu
L’esprit Ici et Maintenant est le Bouddha
Soku signifie «ici et maintenant». Shin veut dire
«esprit». Ze veut dire «est».
Butsu signifie «Bouddha». Le principe de
soku-shin-ze-butsu, ou «l’esprit ici et maintenant
est Bouddha» est très renommé dans le
Bouddhisme, mais nombreux sont ceux qui l’ont
interprété pour supporter les croyances du
naturalisme. Ils disent que si notre esprit ici et maintenant est
justement Bouddha, il faut donc que notre conduite soit toutjours
correcte, et dans ce cas, nous n’avons pas besoin de faire
d’effort pour comprendre ou réaliser le
bouddhisme. Cependant, cette interprétation est une grave
erreur. Le principle de soku-shin-ze-butsu,
«l’esprit ici et maintenant est Bouddha»
doit être compris, non du point de vue de
l’intellect, mais de celui de la pratique. En
d’autres mots, le principe ne signifie pas la croyance en
quelque chose de spirituel appelé
«esprit» mais il affirme le temps
«maintenant» et l’endroit
«ici» comme la réalité
elle-même. Ce temps et cet endroit doivent toujours
être absolus et corrects, pour que nous puissions les appeler
la vérité ou «bouddha».
C’est ce sens de soku-shin-ze-butsu, ou
«l’esprit ici et maintenant est Bouddha»
que maître Dôgen explique dans ce chapitre
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[7] Senjô
Toilette
Sen veut dire «se laver», et jo signifie
«se purifier». Senjo veut donc dire «la
toilette». Le Bouddhisme n’est ni un
idéalisme ni un matérialisme, mais une croyance
dans la réalité, qui a et un
côté spirituel, et un côté
matériel. C’est pour ça que le
Bouddhisme insiste sur le fait que nettoyer notre corps physique,
c’est purifier notre esprit. Ainsi, dans le Bouddhisme,
couper nos ongles, raser notre tête et laver notre corps sont
tous de très importantes pratiques religieuses. Dans ce
chapitre, maître Dôgen espose les significations
religieuses d’une telle conduite quotidienne, et
prêche-t-il l’importance, dans le Bouddhisme de la
propreté corporelle.
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[8] Raihai-Tokuzui
Se Prosterner et Atteindre la Moëlle.
Raihai veut dire se prosterner, toku, saisir, ou atteindre, et zui,
c’est la moelle. Raihai tokuzui veut donc dire
«saisir la moelle en se prosternant», en
d’autres mots, vénérer ce qui
possède la vérité.
Dans ce chapitre, maître Dôgen nous enseigne que la
valeur d’un être doit être
décidée selon sa possession ou non de la
vérité. C’est pourquoi, dit-il,
qu’il s’agisse d’un enfant,
d’une femme, d’un démon ou
d’un animal tel qu’un renard sauvage,
s’il possède cette vérité,
nous devons le vénérer de tout notre coeur. A
travers cette attitude, nous pouvons reconnaître la
vénération sincère de maître
Dôgen pour la vérité, et son attitude
envers les hommes, les femmes et les animaux.
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[9] Keisei-Sanshiki
Les voix des gorges et la forme des montagnes.
Kei a le sens de gorges, de canyon, sei a celui de son, ou de voix, san
signifie montagne, et shiki veut dire forme, couleur. Ainsi,
keisei-sanshiki signifie les voix des gorges et la forme des montagnes
— c’est-à dire, la Nature. Dans le
Bouddhisme, ce monde est la vérité
elle-même, de sorte que la Nature est une des faces de la
vérité.
La Nature est le côté matériel du monde
réel, c’est pourquoi elle dit toujours la
vérité, et qu’elle manifeste la loi de
l’Univers à chaque jour. C’est pour cela
qu’on dit depuis les temps les plus ancients que les bruits
des rivières sont les enseignements du Bouddha Gautama, et
que les formes des montagnes sont son corps. Dans ce chapitre,
maître Dôgen nous enseigne le sens de la Nature,
dans le Bouddhisme.
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[10] Shoaku-Makusa
Ne pas faire le mal.
Sho a le sens de nombreux ou mélangés, aku
signifie mauvais, ou «à tort», maku
équivaut à «ne …
pas» et sa est le verbe faire. Ainsi, shoaku makusa veut dire
«ne pas faire le mal». Ces mots sont
tirés d’un court poème
intitulé «Les préceptes universels des
Sept Bouddhas» : «Ne faites pas le mal,
faites le bien; alors nos esprits se purifient naturellement;
c’est là l’enseignement des nombreux
bouddhas». Ce poème nous enseigne à
quel point l’enseignement du Bouddhisme se rapporte
à la morale. Dans ce chapitre, maître
Dôgen nous enseigne la théorie bouddhique de la
morale. La morale, ou éthique est, par nature, un
problème éminemment pratique. Mais la plupart des
gens tendent à oublier le caractère pratique de
la morale, et se contentent généralement
d’en discuter en mots ou en tant que théories
abstraites. Cependant, parler de morale n’est pas pareil que
d’avoir une morale. La morale n’est pas
qu’une histoire de faire le bien ou de ne pas faire le mal.
Maître Dôgen explique ici la véritable
morale, en citant une intéressante anecdote à
propos du maître Choka Dorin et du
célèbre poète chinois Haku Kyoi.
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[11] Uji
Etre-temps
U signifie «être» et ji veut dire
«temps». Uji signifie donc,
«être-temps», ou «temps
existant». Dans ce chapitre, maître Dôgen
nous enseigne le sens du temps dans le Bouddhisme. Ainsi
qu’il le fait dans certains autres chapitres, le Bouddhisme
est réalisme. Ce qui fait que la conception du temps dans le
Bouddhisme est toujours très réaliste.
Le temps est toujours spécifiquement apparenté
à l’existence et l’existence se trouve
toujours en relation avec le temps momentané. De sorte
qu’en réalité, le passé et
l’avenir ne sont pas temps existant; le moment
présent est le seul temps qui existe —le point
où l’être et le temps se rejoignent. De
plus, le temps est toujours en relation avec l’action, ici et
maintenant. L’agir ne peut être
réalisé que dans le temps, et le temps ne peut
être réalisé que dans
l’action. Ainsi la conception qu’a du temps le
Bouddhisme nous rappelle l’existencialisme de la philosophie
moderne. Il est très important de comprendre la conception
bouddhique du temps si l’on veut saisir le sens
véritable du Bouddhisme.
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[12] Kesa-Kudoku
Les mérites du kasaya.
Kesa représente le mot sanscrit
“kasaya”, ou robe bouddhique, et kudoku signifie
“vertu” ou “mérite”.
Ainsi, kesa kudoku veut-il dire “mérites du
kasaya”. Comme le Bouddhisme est une religion
réaliste, il vénère la vie
réelle. En d’autres mots, le Bouddhisme estime
notre conduite réelle dans la vie; porter des
vêtements et manger les repas sont des parties
très importantes de la vie bouddhique. En particulier le
kasaya et le patra, ou bol bouddhique, en sont les principaux symboles.
Dans ce chapitre, maître Dôgen explique et loue les
mérites du kasaya.
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[13] Den-E
La transmission de la Robe
Den signifie «transmission» alors que e signifie
«robe», de sorte que den-e veut dire «la
transmission de la robe». Le contenu de ce chapitre est
très semblable à celui du chapitre
précédent, Kesa-kudoku. Qui plus est, la date
inscrite à la fin des deux chapitres est la même.
Mais alors que la note à la fin du Kesa-kudoku mentionne
«prêché à
l’assemblée au temple
Kannon-dôri-kosho-hôrin-ji», celle
à la fin de ce chapitre-ci dit «écrit
au Kannon-dôri-kosho-hôrin-ji». Il semble
donc probable que Den-e soit le brouillon du sermon que
maître Dôgen devait faire le 1er octobre, et que
Kesa-kudoku en soit la transcription
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[14] Sansuigyô
Le sûtra des montagnes et de l’eau
San a le sens de montagnes, et sui celui d’eau —
rivières, lacs etc. Sansui suggère un paysage
naturel, voir la Nature elle-même. Kyo ou gyo signifie
sûtra bouddhique. Sansugyo, c’est donc la montagne
et l’eau, ou la Nature, en tant que sûtras
bouddhiques. Le Bouddhisme est fondamentalement une religion de la foi
en l’Univers, et la Nature, c’est
l’Univers qui montre sa vraie forme. De sorte que regarder la
Nature, c’est regarder la vérité
bouddhique elle-même. C’est pour cette raison que
maître Dôgen croyait que la Nature n’est
que sûtras bouddhiques. Dans ce chapitre, il explique la
vraie forme de la Nature, en insistant spécialement sur la
relativité dans la Nature.
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[15] Busso
Les Patriarches bouddhistes.
Butsu signifie «Bouddha» ou bouddhiste; so a le
sens de «patriarche», subséquemment,
busso veut dire «les patriarches du Bouddhisme».
Maître Dôgen vénérait les
Bouddhas du passé; il estimait également la
transmission bouddhique d’un Bouddha à
l’autre. Qui plus est, il croyait en la continuité
de l’ordre bouddhique; les chefs successifs de cet ordre
bouddhique tenaient une place importante dans sa pensée.
Ici, maître Dôgen énumère les
noms des Patriarches de la lignée bouddhique, et ce faisant,
il confirme la tradition bouddhique qu’ils ont maintenue.
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[16] Shisho
Le Certificat de succession
Shi signifie «succession» ou
«transmission». Sho veut dire
«certificat». De sorte que shisho a le sens de
«certificat de succession». Le Bouddhisme
n’est pas que théorie, mais aussi pratique et
expérience. Il n’est donc pas possible
à un disciple bouddhiste d’atteindre à
la vérité bouddhique par la seule lecture des
sûtras bouddhiques ou par l’écoute des
enseignements du maître. Il ou elle doit vivre avec un
maître et étudier le comportement du
maître dans la vie quotidienne. une fois qu’il ou
elle a appris la vie du maître et qu’il a
réalisé la vérité
bouddhique dans sa propre vie, le maître lui donne un
certificat qui certifie la transmission de la
vérité du maître au disciple. Ce
certificat est appelé shisho. D’un point de vue
matérialiste, ce n’est que du tissu et de
l’encre, et il ne peut avoir de signification religieuse ni
être vénéré comme ayant
valeur religieuse. Mais le Bouddhisme est une religion
réaliste, et les bouddhistes donnent une valeur religieuse
à de nombreuses traditions concrètes. Le
certificat est l’un de ces objets de tradition qui sont
vénérés par les bouddhistes.
Maître Dôgen accordait donc une grande valeur
à ce certificat. dans ce chapitre, il explique pourquoi ce
certificat est vénéré par les
bouddhistes, et rappelle sa propre expérience,
lorsqu’on lui a montré de tels certificats en
Chine.
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[17] Hokke-Ten-Hokke
La fleur du Dharma devient la fleur du Dharma
Ho a le sens de «Dharma», la loi de
l’univers ou l’Univers lui-même. Ke veut
dire «fleur». Ainsi, hokke signifie
«l’Univers qui est comme les fleurs». Le
titre entier du sûtra du Lotus,
Myôhô-renge-kyô, «Le
sûtra du Lotus du Dharma merveilleux», est
habituellement abbrévié en Hokke-kyô.
de sorte que hokke suggère l’Univers merveilleux
tel que manifesté dans le sûtra du Lotus.
Ten signifie «tourner», ou
«bouger». Ce qui veut dire que hokke-ten-hokke
signifie «le merveilleux Univers qui est comme les fleurs
fait tourner le merveilleux Univers qui est lui-même comme
les fleurs». C’est là la vision
bouddhique de l’Univers, et aussi celle de maître
Dôgen. Dans ce chapitre, il explique cette conception de
l’Univers, en citant de nombreux passages du Sûtra
du Lotus. Le message de ce dernier est «Qu’il est
merveilleux cet Univers dans lequel nous vivons!»
C’est ainsi que maître Dôgen expose sa
vision du monde, en suivant la théorie du Sûtra du
Lotus.
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[18] Shin-Fukatoku
L’esprit ne peut être saisi. [Premier]
Shin a le sens d’esprit, alors que fu exprime la
négation, que ka exprime la possibilité, et que
toku signifie «saisir». Shin-fukatoku , ou
«on ne peut saisir l’esprit», est une
citation du sûtra du Diamant. En nous fondant sur le sens
commun, nous croyons généralement que notre
intellect peut saisir notre esprit, et nous avons tendance à
penser que notre esprit doit bien exister quelque part de
manière substancielle. Cette croyance
s’étend aussi à la sphère de
la philosophie; René Descartes, par exemple, a
basé sa pensée philosophique sur la
prémisse «Cogito, ergo sum», ou
«Je pense, donc je suis». Les idéalistes
allemands, Kant, Fichte, von Schnelling et Hegel, par exemple, ont
également fondé leurs philosophies sur
l’existence de l’esprit. Mais dans le Bouddhisme,
nous ne nous fions pas à l’existence de
l’esprit. Le Bouddhisme est une philosophie de
l’action, ou une philosophie de l’ici et
maintenant; dans ce contexte, l’esprit ne peut exister
indépendemment du monde extérieur. En
d’autres mots, le Bouddhisme dit que toute existence est le
contact instantané entre l’esprit et le monde
extérieur. Il nous est donc difficile de saisir notre esprit
indépendemment du monde extérieur. Bref, la
théorie du Bouddhisme ne peut supporter la croyance en une
existence séparée de l’esprit. dans ce
chapitre, maître Dôgen enseigne que
l’esprit ne peut être saisi, en expliquant une
anecdote bouddhique célèbre sur une conversation
entre le maître Tokuzan Senkan et une vieille femme qui
vendait des gâteaux de riz.
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[19] Shin-Fukatoku
L’esprit ne peut être saisi. [Second]
L’édition en 95 chapitres du
Shôbôgenzô contient deux chapitres
intitulés également Shin-fukatoku ou
L’esprit ne peut être saisi. Nous faisons
généralement la différence entre ces
deux chapitres par les expressions «premier» et
«second». Le contenu de chacun est
différent, mais leur sens est presque identique. Qui plus
est, la fin de chaque chapitre porte la même date —
camp d’été de 1241. Cependant, alors
que le premier mentionne «prêché
à l’assemblée», celui-ci
mentionne «écrit». Il se peut donc que
le premier ait été une sténographie du
sermon de maître Dôgen et que le second ait
été le brouillon du sermon. Il ne
s’agit là que d’une supposition, et les
chercheurs pourront, dans le futur, peut-être trouver une
conclusion plus exacte.
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[20] Kokyô
Le miroir éternel.
Ko signifie «antique» ou
«éternel», et kyô veut dire
«miroir». Kokyô signifie donc
«le miroir éternel». Et ce que veut dire
«miroir éternel» est bien le noeud du
problème. dans ce chapitre, maître Dôgen
cite les mots du maître Seppô Gison, qui dit que
«Lorsqu’un étranger arrive devant le
miroir, celui-ci reflète
l’étranger». A partir de cette phrase,
nous pouvons comprendre le miroir éternel comme le symbole
de quelque faculté humaine. Il nous suggère
l’importance de la réflexion, de sorte que nous
pouvons supposer qu’il soit le symbole de la
faculté d’intuition. Dans la philosophie
bouddhique, on appelle celle-ci prajña, ou sagesse
réelle. La sagesse réelle, dans le bouddhisme,
signifie notre faculté d’intuition humaine sur
laquelle toutes nos décisions se basent. Le Bouddhisme
estime cette sagesse réelle plus que la raison ou la
perception sensorielle. Notre véritable sagesse est la base
de nos décisions et celles-ci décident de notre
vie, de sorte que nous pouvons dire que notre vraie sagesse
décide du cours de notre existence. Il est, pour cette
raison, très naturel pour maître Dôgen
d’expliquer le miroir éternel. Et en
même temps, il nous faut trouver un autre sens au miroir
éternel, parce que maître Dôgen a
également cité d’autres phrases de
maître Seppô Gison, «Chaque singe porte
le miroir éternel sur son dos». Nous pouvons donc
penser que ce miroir éternel n’a pas seulement le
sens de sagesse humaine réelle, mais a également
trait à quelques facultés intuitionnelles des
animaux. Nous devons donc élargir sa signification et le
comprendre comme le symbole de la faculté
d’intuition que possèdent autant les humains que
les animaux. De plus, maître Seppô Gison ajoute,
«Lorsque le monde a dix pieds de large, le miroir
éternel a dix pieds de large. Lorsque le monde a un pied de
large, le miroir éternel a un pied de large». Ceci
suggère que le miroir éternel est le monde
lui-même. Nous pouvons donc dire qu’il
n’est pas qu’un symbole d’une
faculté individuelle, mais aussi quelque chose
d’universel. Dans ce chapitre, maître
Dôgen explique la signification du miroir éternel
dans le bouddhisme, en citant les paroles des anciens maîtres
bouddhiques.
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[21] Kankin
La lecture des sûtras
Kan signifie «lire», et kin a le sens de
«sûtras». De nombreuses sectes
bouddhiques vénèrent la lecture des
sûtras, parce qu’elles croient que la
vérité bouddhique est une théorie qui
peut être comprise grâce à des
explications abstraites. Elles croient que l’on ne peut
comprendre le Bouddhisme que par la lecture des sûtras. En
même temps, il y en a d’autres qui nient la valeur
de la lecture des sûtras; elles disent que puisque le
Bouddhisme n’est pas un système
théorique, nous ne pouvons atteindre la
vérité en lisant les sûtras.
Maître Dôgen choisit l’approche
médiane au problème: plutôt que de nier
la valeur de la lecture des sûtras, il disait que cette
lecture est une façon de découvrir ce
qu’esl la pratique du Bouddhisme. Il ne croyait pas,
cependant, que la récitation des sûtras puisse
exercer une quelconque influence mystique sur la vie religieuse. De la
sorte, les conceptions de maître Dôgen sur la
lecture des sûtras sont très réalistes.
Cependant, sa compréhension de la «lecture des
sûtras» ne se limitait pas aux sûtras
écrits; il croyait que l’Univers est un
sûtra. Il pensait que l’observation du monde qui
nous entoure est comme de lire un sûtra. Ainsi, pour lui,
l’herbe, les arbres, les montagnes, la lune, le soleil et
ainsi de suite, sont tous des sûtras bouddhiques. Il
étendait même cette conception de la lecture des
sûtras à la déambulation autour de la
chaire du maître, au centre de la salle de Zazen. Ce point de
vue n’est pas seulement celui de maître
Dôgen; c’est celui du Bouddhisme
lui-même. Ainsi, dans ce chapitre, maître
Dôgen explique le sens le plus large de la lecture des
sûtras.