Troisième partie
Toutes ces traductions sont basées sur la version Nishijima-Cross du Gendaigoyaku
Shoubougenzou ou Shôbôgenzô en japonais moderne, en 13 volumes, de maître
Nishijima.
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[42] Tsuki
La lune
Tsuki veut dire «la lune»; dans ce chapitre, maître Dôgen utilise la lune
comme symbole pour expliquer la relation entre un concept abstrait et une
entité concrète. La lune existait hier, elle existe aujourd’hui et elle
existera demain. On peut dire qu’à un moment donné du temps la lune est
une entité unique et indépendante. En même temps, il existe un concept
abstrait, «la lune». Le concept «la lune» est une abstraction de la lune
concrète qui existe à un moment donné; c’est à dire la lune hier, la lune
aujourd’hui et la lune demain. Quoique la lune unique, concrète, est
l’origine du concept abstrait «la lune», nous sommes enclins à discuter
des problèmes philosophiques seulement en termes de concepts abstraits, en
oubliant les faits concrets et en créant une division entre la pensée et
la perception. La philosophie bouddhique syntétise les deux facteurs, et
ici maître Dôgen explique la relation mutuelle entre la pensée et la
perception sensorielle en comparant le concept abstrait «la lune», avec la
lune concrète. En deuxième, il utilise la relation entre lune et nuages
pour expliquer la relation de sujet à objet. La théorie bouddhique
soutient que la réalité est unité entre le sujet et l’objet ici et
maintenant. Maître Dôgen l’explique en utilisant l’exemple de la lune et
du nuage qui l’entoure.
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[43] Kuge
Fleurs de l’espace.
Ku signifie «le ciel», ou «l’espace», et ge a le sens de fleurs. Que sont
les fleurs dans l’espace? Maître Dôgen se sert des mots «fleurs dans
l’espace» pour exprimer tous les phénomènes de ce monde. Selon la pensée
du philosophe allemand Emmanuel Kant, nous ne pouvons pas être sûrs que
les choses existent réellement en ce monde, mais nous pouvons être sûrs
qu’il y a des phénomènes que nous pouvons percevoir avec nos sens. Donc,
pour lui, les phénomènes ne sont pas nécessairement identifiés avec la
réalité, même s’ils apparaîssent réellement en ce monde. Il refuse de
discuter du problème métaphysique de «l’existence réelle» et fonde sa
philosophie sur la raison humaine. On retrouve la même idée dans le
Bouddhisme ancien.
Maître Dôgen pensait que ce genre d’attitude sceptique était important
pour pouvoir considérer le sens de la vie, de sorte qu’il explique dans ce
chapitre le sens de «fleurs dans l’espace», qui, dans le Bouddhisme,
exprime les véritables phénomènes.
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[44] Kobusshin
L’esprit des Bouddhas éternels
Ko signifie «vieux» ou «éternel», butsu veut dire bouddha et shin a le
sens d’ «esprit». Kobusshin veut donc dire «l’esprit des bouddhas
éternels». Dans ce chapitre, maître Dôgen donne des exemples de l’esprit
des bouddhas éternels, en citant les maîtres Tendô Nyojô, Engo Kokugon,
Sôzan Konin et Seppô Gison. Il raconte alors une histoire sur le maître
national Daisho (maître Nan-yo Echu) et son disciple qui suggère l’unité
de l’esprit des Bouddhas éternels et de différentes choses concrètes. A la
fin du chapitre, il cite les paroles du maître Zengen Chuko sur le sujet.
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[45] Bodaisatta-Shishobo
Quatre éléments des relations sociales d’un Bodhisattva
Bodaisatta, c’est «bodhisattva», une personne qui cherche la vérité
bouddhique; shi signifie quatre; et shobo a le sens d’ «éléments de
relations sociales».
Ces quatre sont, dana, don gratuit; priya-akhyana, douces paroles;
artha-carya, comportement secourable; et samana-arthata, identité de
propos, ou coopération. Le Bouddhisme accorde une grande valeur à notre
conduite réelle. En conséquence, notre comportement dans nos relations
réciproques est une partie de la vie bouddhique. Dans ce chapitre, maître
Dôgen enseigne que ces quatre façons de se comporter sont l’essence de la
vie boudddhique. Il explique la vraie signification du Bouddhisme en
termes de relations sociales.
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[46] Katto
Le compliqué
Katsu, c’est le maranta (arrowroot), et to, la glycine. Le maranta et la
glycine sont des lianes qui ne peuvent se tenir par elles-mêmes, mais
croissent en enserrant d’autres plantes. A cause de cela, en Chine et au
Japon, le maranta et la glycine sont utilisés comme symbole de ce qui est
très compliqué. La philosophie bouddhique cherche à décrire ce qu’est la
réalité. Comme celle-ci ne peut pas être exprimée en mots de manière
adéquate, on la décrit parfois comme «l’ineffable». Ici, maître Dôgen
utilise le mot katto, le compliqué, pour suggérer la réalité, qui est très
directe mais compliquée. Il lui semblait que ces mots «le compliqué»
expriment plutôt bien la nature de la réalité.
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[47] Sangai-Yuishin
Le Triple-Monde est seulement l’esprit
San signifie trois, et kai signifie «le monde». Sangai veut donc dire «les
trois mondes», ou «le triple monde».
Traditionnellement, la théorie bouddhique condidère que le monde est
l’amalgame de trois mondes : celui de la pensée, celui de la
sensation et celui de l’action. En terminologie bouddhique traditionnelle,
ces trois mondes sont appelés mondes de la volition, de la matière et de
la non-matière. L’expression «les trois mondes» ou «le Triple-Monde», est
souvent utilisée pour signifier ce monde ici et maintenant, le monde
entier, le monde réel, qui inclut le monde de la pensée, le monde de la
sensation, et le monde de l’action. Yui signifie «seulement»,
«uniquement», ou «seul», et shin, c’est l’esprit. Ainsi donc,
sanghai-yuishin signifie «le Triple-Monde n’est que l’esprit», ou «le
Triple-Monde est seulement l’esprit». Cette phrase est souvent interprétée
dans le sens d’une insistance idéaliste que le monde entier est produit
par notre esprit. Historiquement, de nombreux moines bouddhistes ont pensé
que c’était le cas. Maître Dôgen n’était pas d’accord; il insistait que
dans le Bouddhisme, la phrase «le Triple-Monde est seulement l’esprit»
signifie quelque chose de bien plus réel. Elle renvoie à l’enseignement
qui veut que la réalité existe dans le contact entre le sujet et l’objet.
De ce point de vue, lorsque nous disons que le monde n’est que l’esprit,
il nous faut également dire que l’esprit n’est que le monde, afin
d’exprimer le fait que la relation est mutuelle. Dans ce chapitre, maître
Dôgen explique le sens de la phrase «le Triple-Monde n’est que l’esprit» à
partir du point de vue bouddhique, en critiquant les interprétations
idéalistes.
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[48] Sesshin-Sessho
Exposer l’esprit et exposer la nature
Setsu a le sens d’enseigner, d’expliquer, ou d’exposer. Shin a celui
d’esprit, et sho, c’est l’essence, la nature. Sesshin signifie donc
«exposer l’esprit», et sessho, «exposer la nature».
Certains moines bouddhistes chinois ont prétendu que d’exposer l’esprit et
exposer la nature appartiennent à la sphère de l’effort intellectuel, de
sorte que de faire de tels efforts pour expliquer l’esprit et l’essence
n’est pas seulement inutile, mais également nuisible à l’obtention de la
vérité bouddhique. Ils ont cru que celle-ci ne pouvait en aucun cas
embrasser la compréhension intellectuelle. Maître Dôgen est d’un avis
différent. Il croit que les concepts de sesshin et de sessho renvoient,
dans la pensée bouddhique, à quelque chose de bien plus réel. Il entend
sesshin-sessho comme manifestation de l’esprit et manifestation de la
nature dans le monde réel. Il ne voit aucune raison de nier les concepts
de sesshin et de sessho; au contraire, il s’en sert pour expliquer la
théorie fondamentale du Bouddhisme.
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[49] Butsudô
La Vérité bouddhique
Butsu a le sens de «Bouddha» et dô signifie à l’origine, «voie», mais
aussi «morale» et «la vérité». De sorte que butsudô veut dire «la vérité
du Bouddha», ou «la vérité bouddhique».
Le concept de «Vérité bouddhique» est fondamental dans la théorie de
maître Dôgen, et il est utile d’examiner le sens de chacune des quatre
phases de la philosophie bouddhique. Dans la première phase (subjective),
la vérité bouddhique est incorporée dans le système philosophique
bouddhique. Dans la seconde (objective), elle est le monde extérieur, ou
nature. Dans la troisième (fondée sur l’action), elle est conduite morale
ou éthique dans la vie quotidienne; c’est-à-dire la vie de tous les jours,
comme nous la vivons. Dans la phase ultime, elle est ineffable, c’est «le
compliqué», l’état en Zazen, ou la réalité elle-même. Dans ce chapitre,
cependant, maître Dôgen ne tente pas d’expliquer ces sens de la «Vérité
bouddhique»; il se contente d’affirmer qu’il n’existe qu’un seul
bouddhisme — celui qui a été établi par le Bouddha Gautama. Bien qu’il y
ait pourtant de nombreuses sectes bouddhiques, en nous fondant sur cette
affirmation, nous n’avons pas à utiliser les titres qu’on a donné à ces
sectes. Maître Dôgen insiste sur la suffisance du titre «Vérité du
Bouddhisme» ou «Bouddhisme», et qu’il est mal de faire usage de titres
tels que secte Unmon, secte Hôgen, secte Igyô, secte Rinzai, et secte
Sôtô. Nous pensons souvent à maître Dôgen comme appartenant à la secte
Sôtô, mais lui-même n’approuvait pas l’usage même du titre «secte Sôtô».
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[50] Shohô-Jisso
Tous les Dharmas sont forme réelle
Sho exprime la pluralité; il a le sens de «tout», «varié», ou «nombreux».
Ho signifie «dharma», c’est-à-dire autant les choses physiques que les
phénomènes mentaux. Jitsu a le sens de «réel», et so celui de «forme». Le
sûtra du Lotus enseigne la théorie la plus importante et la plus
fondamentale dans le Bouddhisme : que «toutes choses et phénomènes
sont forme réelle».
Parce que le Bouddhisme est une philosophie réaliste, son point de vue est
différent de ceux de l’idéalisme et du matérialisme. L’idéaliste ne voit
que les phénomènes, qui ne peuvent être confirmés comme étant
substanciellement réels. Il doute, en conséquence, de la réalité formelle
des phénomènes. le matérialiste regarde les détails, en démontant toute
chose en ses parties, perdant ainsi le sens et la valeur qui sont inclus
dans le tout. Le Bouddhisme dit que la réalité est toutes choses et
phénomènes qui existent ici et maintenant et les vénère en tant que
substance réelle: la réalité elle-même. On trouve cet enseignement dans le
sûtra du Lotus, exprimé par les mots «tous les dharmas sont forme réelle».
Dans ce chapitre, maître Dôgen explique le sens de l’enseignement du sûtra
du Lotus.
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[51] Mitsugo
Langage secret
Mitsu signifie «secret», ou «mystique», au sens de non-apparent aux sens
ou à l’intellect, mais expérimenté directement ou immédiatement — comme
deux choses qui se touchent. Go signifie «mots» ou «langage». Mitsugo veut
donc dire «langage secret», c’est-à-dire, quelque chose qui est communiqué
directement, sans le son. Dans le Bouddhisme, on dit qu’il y a un langage
secret qui peut être reconnu et compris, même s’il n’a aucun son. «Langage
secret» suggère donc l’existence de la perception intuitive. C’est un fait
que nous pouvons parfois découvrir un sens, ou des secrets, sans recevoir
de stimulus extérieur, mais nous n’avons pas besoin de voir le fait comme
étant particulièrement mystérieux. Une analogie qui peut aider à le
comprendre, c’est la résonnance sympathique des diapasons.
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[52] Bukkyô
Les sûtras bouddhiques
Butsu a le sens de «Bouddha» ou de «bouddhiste», et kyô signifie «sûtra»
ou «écriture». Donc bukkyô a le sens de sûtra bouddhique.
Le chapitre 24 du Shôbôgenzô est également appelé Bukkyô, mais dans
celui-ci, kyô est un mot différent qui signifie «enseignement». Dans le
Bouddhisme, il y a fondamentalement deux façons utiles de chercher la
vérité. L’une est de pratiquer Zazen, et l’autre est de lire des sûtras.
Mais certains insistent tant sur la valeur de la pratique de Zazen qu’ils
sont aveugles à valeur de la lecture des sûtras, au point de la nier. Ils
prétendent que le Bouddhisme, ce n’est pas des théories philosophiques, et
donc, pour atteindre à la vérité, nous ne devons que pratiquer Zazen; pour
eux, la lecture des sûtras est inutile, voire nuisible à cette recherche
de la vérité. Mais maître Dôgen pense autrement. Il estime la valeur de la
lecture des sûtras, et pense qu’il est nécessaire d’en lire pour atteindre
à la vérité. C’est pourquoi il rappelle le sens véritable de la lecture
des sûtras dans ce chapitre. Qui plus est, dans sa pensée, les sûtras
bouddhiques ne sont pas seulement les écritures bouddhiques, mais aussi
l’Univers lui-même, qui nous montre et nous enseigne le véritable sens de
nos vies.
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[53] Mujo-Seppô
Le non-émotionnel prêche le Dharma
Mujo signifie le «non-émotionnel», et seppô signifie enseigner le Dharma.
A l’origine, mujo a le sens de «choses inanimées» ou «insensibles», de
sorte que mujo-seppô signifie que les choses inanimées prêchent le Dharma.
Mais l’usage de ce mot par maître Dôgen est bien plus large que l’usage
commun, comme si ce mot recouvrait l’ensemble de la nature — êtres
humains, tout autant que montagnes, rivières, et ainsi de suite. Maître
Dôgen insiste sur le fait que même les choses inanimées peuvent prêcher le
Dharma, et en même temps que les êtres humains peuvent prêcher le Dharma
lorsqu’ils ne sont pas émotionnels. Toute chose qui n’est pas
émotionnelle, insiste-t-il, peut prêcher le Dharma — un point de vue qui
exprime profondément la vraie nature de l’enseignement bouddhique.
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[54] Hossho
La nature du Dharma
Hô veut dire Dharma, c’est-à-dire l’enseignement du Bouddha, ou l’Univers
lui-même. Sho signifie essence, ou nature. Hossho a donc le sens de nature
du Dharma, ou essence de l’Univers. Il est inutile de spécifier que nous
vivons dans l’Univers. Subséquemment, ce que signifie l’Univers est l’un
des problèmes philosophiques les plus importants de notre vie. Il y en a
qui insistent pour dire que l’Univers est spirituel. d’autres veulent que
l’Univers soit matériel. Mais du point de vue du Bouddhisme, l’Univers
n’est ni spirituel, ni matériel, mais réel. Il est cependant très
difficile d’exprimer l’Univers comme réel en se servant de mots, car la
réalité transcende généralement l’explication par les mots. Maître Dôgen a
entrepris cette tâche difficile afin d’exprimer la nature de l’Univers,
dans ce chapitre.
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[55] Darani
Dharani
Les caractères chinois prononcés da-ra-ni représentent le mot sanscrit
dharani, qui signifie à l’origine un sort ou une incantation dont on croit
qu’elle possède une sorte d’omnipotence mystique. Mais l’interprétation de
maître Dôgen est plus concrète, et il estimait particulièrement la valeur
des prosternations en tant que dharanis. Dans ce chapitre, il explique le
sens des prosternations en tant que dharanis.
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[56] Senmen
Se laver le visage
Sen veut dire se laver, et men signifie le visage.
Les religions idéalistes se contentent en général de vénérer le côté
spirituel du monde; les activités quotidiennes telles que de manger les
repas, de s’habiller, de se laver le visage et de prendre un bain ne sont
pas considérées comme des pratiques religieuses. Le Bouddhisme, cependant,
est une religion basée sur le monde réel; ces activités quotidiennes sont
des pratiques religieuses importantes sans lesquelles il ne peut pas y
avoir de vie bouddhique. C’est pourquoi, lorsqu’un disciple demanda à un
maître bouddhiste chinois, «Quel est le principe fondamental du
Bouddhisme?», le maître répondit, «Porter des vêtements et manger ses
repas». Maître Dôgen accorde la plus grande valeur à la pratique de se
laver le visage. Dans ce chapitre, il explique le sens bouddhique des
activités quotidiennes consistant à prendre un bain et à se laver le
visage.
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[57] Menju
La transmission face-à-face.
Men a le sens de face, et ju signifie transmission. Menju veut dire la
transmission du Dharma de maître à disciple, face-à-face. Dans le
Bouddhisme, ce qui se transmet de maître à disciple n’est pas que théorie
abstraite, mais aussi quelque chose de réel, qui comprend le comportement
réel, la santé physique et la sagesse de l’intuition. La transmission de
ce je-ne-sais-quoi réel ne peut donc pas être actualisée que par des
explications en mots, ni simplement en transmettant un quelconque
manuscrit. C’est pour cett raison que la pensée du Bouddha Gautama a été
transmise en personne de disciple en disciple depuis l’époque du Bouddha
Gautama. Sans ce contact personnel, le Dharma bouddhique ne peut être
transmis. Dans ce chapitre, maître Dôgen loue la transmission du Dharma
bouddhique et en explique l’importance.
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[58] Zazengi
La méthode standard de Zazen
Gi a le sens de forme, ou de norme de comportement. Zazengi veut donc dire
méthode standard de Zazen. Maître Dôgen a écrit plusieurs traités sur
Zazen. Il a d’abord écrit le Fukan-zazengi, (Guide Universel pour la
Méthode standard de Zazen), en 1227, juste après être rentré de Chine.
Dans le Shôbôgenzô, il a écrit, Bendôwa (de la recherche de la Vérité),
Zazenshin (Une aiguille pour Zazen), Zanmai-o-zanmai (Le samadhi roi des
samadhis), et ce chapitre, Zazengi. Fukan-zazengi a été le premier texte
qu’il ait écrit, et fut donc sa première proclamation de sa foi en Zazen.
Bendôwa est une introduction à Zazen écrite en un style et un format
faciles pour nous aider à comprendre les théories fondamentales de Zazen.
Zazenshin contient un poème-guide sur Zazen, et l’interprétation qu’en
fait maître Dôgen. La raison pour laquelle il fait usage de la poésie pour
interpréter le sens de Zazen est qu’il est difficile d’interpréter le sens
philosophique de Zazen en prose, car le sens ultime de Zazen ne peut pas
être expliqué en mots. Maître Dôgen trouvait correct de suggérer le sens
philosophique ultime de Zazen en vers. Mais dans ce chapitre, Zazengi, il
n’explique que la méthode formelle de la pratique de Zazen. L’existence de
ce chapitre est une indication de combien maître Dôgen vénérait hautement
la forme standard de Zazen.
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[59] Baike
Fleurs de pruniers
Baike veut dire fleurs de prunier. Maître Dôgen aimait beaucoup les fleurs
de prunier et on peut trouver de nombreuses descriptions et poèmes à leur
sujet dans ses oeuvres. Maître Tendô Nyojô, son maître, les aimait aussi
et on peut trouver de nombreux poèmes sur les fleurs de prunier dans ses
oeuvres. Elles ont dû être un grand plaisir pour les moines bouddhistes
vivant dans les temples de montagne où il y avait peu de consolations pour
soulager les duretés de l’hiver, car les pruniers fleurissent au début du
printemps, quand il n’y a pas d’autres fleurs, et les fleurs de prunier
sont aussi belles qu’elles embaument. Dans ce chapitre, maître Dôgen
décrit la véritable situation de la nature, en citant les poèmes de maître
Tendô Nyojô et en prêchant sur les fleurs de prunier.
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[60] Juppo
Les dix directions
Ju signifie «dix» et hô, «directions» Juppo signifie donc les dix
directions. Les dix directions sont l’est, l’ouest, le sud, le nord, le
nord-est, le sud-est, le sud-ouest, le nord-ouest, et en haut et en bas.
Celles-ci représentent les dix directions, l’ensemble de l’espace, ou le
monde entier. dans la philosophie bouddhique, il est fréquemment question
de la signification de l’espace. Dans ces discussions, le mot juppo, «les
dix directions» est souvent utilisé en tant qu’expression concrète de
l’espace. dans ce chapitre, maître Dôgen prend le mot juppo, et s’en sert
pour discuter de l’espace réel.
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[61] Kenbutsu
Rencontrer le Bouddha
Ken a le sens de regarder, de rencontrer, ou de «réaliser l’état de»,
alors que butsu a le sens de «Bouddha», ou des «bouddhas». Kenbutsu veut
donc dire «rencontrer le Bouddha» ou «les bouddhas».
Pour rencontrer les bouddhas, il faut d’abord en devenir un, car seuls les
bouddhas peuvent voir les bouddhas. Dans ce chapitre, maître Dôgen
explique la situation réelle de la rencontre avec les bouddhas et le sens
véritable de cette rencontre.
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[62] Hensan
Exploration complète
Hen veut dire «partout» ou «largement», et san veut dire «visiter» ou
étudier à travers l’expérience». A l’origine, hensan décrivait la coutume
bouddhique des moines qui voyagent afin de rencontrer d’excellents maîtres
avec lesquels ils puissent se satisfaire. Mais selon maître Dôgen, hensan,
ou «exploration complète», ne s’accomplit pas par le voyage, mais grâce à
l’exploration complète par le moine bouddhiste de l’état bouddhique sous
un vrai maître. Dans ce chapitre, il explique ce vrai sens de hensan.
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[63] Ganzei
Les yeux
Ganzei, qui signifie «yeux» ou «globes oculaires», symbolise le point de
vue du Bouddha Gautama, c’est-à-dire le point de vue bouddhique. Dans ce
chapitre, maître Dôgen explique le sens du mot ganzei, qui revient
fréquemment dans le Shôbôgenzô, en citant maître Tendô Nyojô, maître Ungan
Donjo, maître Tôzan Ryôkai et d’autres maîtres bouddhistes.
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[64] Kajo
La vie quotidienne
Ka signifie «maison» ou «domicile», et jo veut dire «usuel» ou
«quotidien». Kajo veut donc dire «quotidien», ou «vie quotidienne».
Les gens ont souvent tendance à croire que les affaires religieuses
doivent être différentes de la vie quotidienne, étant plus sacrées et
supérieures à la vie quotidienne. Mais selon la théorie bouddhique, la vie
bouddhique n’est autre que notre vie quotidienne. sans cette dernière, il
ne peut être de Bouddhisme. En Chine, on disait que de porter des
vêtements et manger les repas ne sont autres que le Bouddhisme. Dans ce
chapitre, maître Dôgen explique le sens de kajo, la vie quotidienne, à
partir du Bouddhisme.
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[65] Ryûgin
Le gémissement des dragons
Ryû signifie «dragons», et gin veut dire «chanter», «psalmodier», ou
«gémir».
Bien sûr, les dragons ne sont pas des animaux vivants, mais des animaux
mythiques. Il serait donc bien étrange que des dragons chantent ou
gémissent; bref, il est impossible que les dragons chantent ou gémissent.
Mais dans l’ancienne Chine, on utilisait l’expression ryûgin, «le
gémissement des dragons» ou «chuchotement des dragons», comme symbole de
ce qui est magique dans la nature ou l’Univers — par exemple, dans
l’expression koboku ryûgin. Koboku veut dire «arbre flétri». Ces mots
évoquent l’image d’un paysage désolé, désert d’arbres flétris, où l’on a
l’impression d’entendre quelque chose qui n’est pas un son. Ce concept est
ensuite entré dans les explications bouddhiques. Le gémissement des
dragons n’est pas un son mais quelque chose qu’on ne peut pas entendre
seulement avec les oreilles; c’est-à-dire la tranquillité, la nature,
l’Univers, ou la réalité. Le Bouddhisme n’est pas un simple mysticisme,
c’est pourquoi il ne faut pas que nous croyons d’emblée en l’existence que
quelque chose de magique. En même temps, nous ne devons pas limiter la
réalité à l’aire des perceptions sensorielles. A partir de là, maître
Dôgen explique le sens de ryûgin ou «le gémissement des dragons», dans ce
chapitre.
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[66] Shunju
Printemps et automne
Shun a le sens de «printemps» et ju, qui est une corruption de shu,
signifie «automne».
Shunju, printemps et automne, exprime les saisons. Dans ce chapitre,
maître Dôgen décrit l’attitude bouddhique envers le froid et le chaud.
Tout d’abord, il cite une conversation célèbre sur ce sujet entre maître
Tôzan Ryôkai et un moine. Puis, il discute des commentaires de quelques
anciens maîtres afin d’expliquer le sens véritable de l’histoire.
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[67] Soshi-Sairai-No-I
L’intention du maître ancestral en arrivant de l’Ouest
So signifie «ancêtre» ou «patriarche», et shi a le sens de «maître»; soshi
signifie donc «maîtres ancestraux», ou «le maître ancestral». Le mot
indique parfois, comme dans ce cas, le maître Bodhidharma. Sai veut dire
«ouest» et rai signifie «venir». I veut dire «intention», ou «but».
Soshi-sairai-no-i signifie donc l’intention de maître Bodhidharma en
venant de l’Ouest. On dit qu’au sixième siècle, maître Bodhidharma quitta
l’Inde (l’Ouest) pour la Chine (l’Est) pour répandre le Bouddhisme, et que
cet événement a marqué la transmission du Bouddhisme véritable en Chine.
Maître Bodhidharma fut donc appelé le premier patriarche de la Chine, et
les bouddhistes chinois ont pensé qu’il était très important de discuter
du sens de cette venue. Dans ce chapitre, maître Dôgen relève une
discussion célèbre entre maître Kyogen Shikan et son disciple pour
expliquer le vrai sens de la venue de Bodhidharma en Chine.
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[68] Udonge
La fleur d’udumbara
Udonge est la fleur d’une sorte de figuier appelé udumbara en sanscrit.
L’udumbara (Ficus glomerata) est un grand arbre tropical de la famille des
moracées. ses fleurs poussent autour du fruit, ce qui leur donne
l’apparence de pelures, plutôt que de fleurs. A cause de ceci, dans l’Inde
ancienne, on considérait que l’udumbara ne portait pas de fleurs. En
conséquence, la fleur d’udumbara est devenue le symbole de quelque chose
qui se produit rarement; par exemple, la réalisation de la vérité
bouddhique. dans un sûtra bouddhique appelé
Daibonten-o-monbutsu-ketsugi-kyô, (le sûtra des questions et réponses
entre Mahabrahman et le Bouddha), il y a une histoire à l’effet qu’un
jour, le Bouddha Gautama a montré une fleur d’udumbara à l’assemblée.
Personne n’a pu comprendre le sens du geste du Bouddha Gautama, à part
Mahâkashyapa, qui a souri. dans le Bouddhisme chinois, cette histoire
symbolise la transmission de la vérité. Maître Dôgen en a donc fait usage
pour expliquer le sens de la transmission. Parce qu’on dit que le
Daibonten-o-monbutsu-ketsugi-kyô a été écrit en Chine, il a été critiqué
par certains bouddhistes, comme n’exprimant pas la véritable intention du
Bouddha. Maître Dôgen, cependant, insiste dans le Shôbôgenzô, au chapitre
74, Tenborin, que même si un sûtra bouddhique a été produit en Chine,
lorsque ses paroles ont été discutées par les maîtres bouddhistes, il
devient un sûtra bouddhique qui exprime la véritable intention du Bouddha
Gautama. Nous n’avons pas à nous préoccuper de savoir s’il a été écrit ou
non en Inde.
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[69] Hotsu-Mujoshin
Etablissement de la volonté du Suprême
Hotsu veut dire «établir», mujo signifie «suprême», et shin veut dire
«l’esprit» ou «la volonté». Hotsu-mujoshin signifie l’établissement de la
volonté pour obtenir la suprême vérité. Dans les phrases originales de ce
chapitre, nous ne trouvons pas les mots hotsu-mujoshin ; mais les mots
hotsu-bodaishin, qui signifient «l’établissement de l’esprit d’éveil»,
apparaîssent souvent. Ce titre a donc pu être choisi pour distinguer ce
chapitre du suivant, hotsu-bodaishin. De surcroît, les deux chapitres se
terminent par exactement les mêmes mots : «Prêché à l’assemblée au
temple de Kippo, dans le district de Yoshida de la préfecture d’Esshu, le
14° jour du second mois lunaire de la seconde année de Kangen [1244]». Il
nous faut maintenant considérer la relation entre ces deux chapitres. Le
Dr Fumyô Masutani a suggéré que Hotsu-mujoshin a pu être prêché aux laïcs
qui travaillaient à la construction du Daibutsu-ji (appelé plus tard
Eihei-ji), et que Hotsu-bodaishin a pu être prêché le même jour pour les
moines. Malheureusement, il n’existe aucune élément pour prouver cette
théorie de façon définitive, mais le contenu des deux chapitres le laisse
fortement supposer. Autant hotsu-mujoshin que hotsu-bodaishin ont le sens
de la volonté de poursuivre la quête bouddhique, qui ne peut avoir d’autre
but que la vérité elle-même. Maître Dôgen estimait hautement cette
attitude dans l’étude du Bouddhisme et il en explique l’importance dans
ces deux chapitres.
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[70] Hotsu-Bodaishin
Etablissement de l’esprit d’éveil
On suppose que ce chapitre et le précédent avaient le même titre, à
l’origine, c’est-à-dire hotsu-bodaishin, «établissement de l’esprit
d’éveil», mais que le titre du précédent a été changé pour hotsu-mujoshin,
«établissement de la volonté du suprême», afin de les distinguer. Le Dr
Fumyô Masutani croit que le premier chapitre était un sermon pour les
laïcs et que celui-ci était pour les moines et les nonnes, le même jour.
Quelle qu’ait été l’intention de maître Dôgen, un des points est que ce
chapitre inclut une présentation de la «Théorie de l’apparence momentanée
et de la disparition de l’Univers». En théorie bouddhique, on estime
hautement l’action; lorsque nous considérons le sens de la vie, nous
pouvons considérer que notre vie n’est qu’une série de moments d’action.
Pourquoi disons-nous que notre vie est momentanée? Parce qu’une fois
accompli un acte, nous ne pouvons jamais revenir sur le passé pour le
défaire. En même temps, nous ne pouvons jamais accomplir un acte tant que
son moment ne vient pas au présent. De sorte qu’un acte est toujours
accompli au moment présent. Qui plus est, ce moment présent est coupé de
celui qui le précède immédiatement et de celui qui le suit immédiatement,
parce que nous ne pouvons jamais agir dans le passé ni dans le futur.
Selon la théorie bouddhique, donc, notre vie est momentanée et tout
l’Univers apparaît et disparaît à tout moment. Cette théorie, également
connue comme «théorie de l’instantanéité», est importante pour résoudre le
conflit entre liberté humaine et la loi des causes et des effets;
c’est-à-dire le libre arbitre contre le déterminisme. Dans ce chapitre,
maître Dôgen explique clairement cette théorie.
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[71] Nyorai-Zenshin
Le corps entier du Tathâgata.
Nyorai représente la traduction chinoise du mot sanscrit tathâgata, qui
signifie une personne qui est arrivée à la vérité. Parfois, comme dans ce
cas-ci, nyorai est le Bouddha Gautama lui-même. Zenshin a le sens de
«corps entier».
Dans ce chapitre, maître Dôgen enseigne que les sûtras bouddhiques sont le
corps entier du Bouddha Gautama, en se servant du mot «sûtras» pour
exprimer la forme réelle de l’Univers. Ainsi insiste-t-il sur le fait que
l’Univers est le corps entier du Bouddha
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[72] Zanmai-Ô-Zanmai
Samadhi roi des samadhis
Zanmai est la prononciation japonaise du rendu phonétique chinois du mot
sanscrit «samadhi», qui veut dire l’état en Zazen; c’est-à-dire l’état
équilibré du corps et de l’esprit. Ô signifie «roi». On peut considérer
qu’il y a plusieurs sortes de samadhis dans notre vie de tous les jours.
Cependant, selon la théorie bouddhique, la samadhi la plus importante et
la meilleure n’est que celle dont nous faisons l’expérience au cours de
Zazen. C’est pourquoi on appelle l’état pendant Zazen, «le roi des
samadhis». Dans ce chapitre, maître Dôgen explique ce qu’est Zazen, et
c’est pourquoi il choisit le titre de Zanmai-ô-zanmai, Samadhi Roi des
Samadhis. .
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