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Remaniement d'un texte publié pour la première fois en novembre 1999 sur la liste de discussion Butsudo. Eloge de Taisen Deshimaru Un jour, il y a quelques années, ça m'a pris, et j'ai décidé de faire un éloge de Taisen Deshimaru. Je voudrais aujourd'hui apporter quelques correctifs à un propos qui a été très mal compris (donc très mal exprimé) à l'époque. Dans cet «Eloge de Taisen Deshimaru», j'avais cherché à faire cette part des choses que peu semblent vouloir faire. Non pas pour excuser ou dédouaner TD de ses erreurs et/ou manquements, mais pour susciter un débat qui permettrait d'y voir un peu plus clair. J'ai dit, là-dedans, ce que je pensais sincèrement, je ne puis que regretter que personne, en particulier de ceux qui ont connu personnellement TD, ne soit intervenu, à part le Dr Louys ou Pierre Chapus, pour infirmer ou confirmer mes intuitions. J'essaye de le voir essentiellement comme être humain, et si moyens habiles il y a, c'est, au sens de mon article, un peu malgré lui. Moyens habiles des divinités bouddhiques pour se servir des faiblesses d'un homme fuyant un passé trop lourd, et non pas moyens habiles utilisés par TD pour faire passer un message auquel il aurait cru profondément (et encore là, n'allez pas en déduire que je croie qu'il n'y croyait PAS profondément lui-même: le langage, de par sa nature univoque, tend à faire sombrer le lecteur dans le binaire) Je me suis particulièrement attaché à l'avertissement de TD «Ne copiez pas mes défauts», parce qu'il me semble particulièrement typique (comme je l'ai signalé à P Chapus dans un contexte psycho-historique) que ses successeurs auto-proclamés aient fait précisément le contraire.
M° Deshimaru était un grand menteur et un grand escroc. Et pour cela, nous devons lui en avoir une reconnaissance pieuse. Car s'il avait été parfaitement honnête, croyez-vous qu'il aurait pu accomplir ce qu'il a accompli? Non. Et en même temps, lorsqu'on y réfléchit bien, cette escroquerie était ce qui donnait un sens à sa vie, et donner un sens à nos existences n'est-il pas ce qui nous fait y avancer? Et si peu de gens y parviennent. Alors, évidemment, il y a toute la mythologie qui en découle. Mais réfléchissons-y un peu. Si TD avait VRAIMENT été l'élève de Sawaki, nous serions-nous inquiétés de savoir ce qui ne colle pas entre l'enseignement de TD et celui de KS? En imaginant que Zen at War n'ait pas été publié, ou soit resté inconnu de nous, nous serions-nous préoccupés de voir la faillibilité d'un homme comme Sawaki? Nous serions-nous interrogés sur le poids de la mythologie qui pèse sur les maîtres, avec ce mythe de l'infaillibilité godale? L'enseignement du Zen, pour ce qui me concerne, se sépare difficilement du Bouddhisme, voire pas du tout. Mais je sais que sans TD, le bouddhisme et le zen seraient restés pour moi lettre morte, des souvenirs de bouquins lus dans le désordre et rien de plus. C'est vrai qu'il est facilement indigeste, dans ses livres, c'est vrai que les bouquins de kusen publiés par l'AZI les sont encore plus: l'avertissement est d'ailleurs clair, quoique non entendu: si on les lit, ce ne sont plus des kusen; ils ont été prononcés dans un contexte donné, sans ce contexte, ils sont à la limite de l'insensé. Des indices sérieux laissent entendre qu'il a pompé dans les livres publiés par Sawaki, pour se mettre au niveau du rôle qu'il avait assumé, car il est bien évident pour quiconque s'est donné la peine d'observer le phénomène, que le menteur est toujours pris au piège de son propre mensonge. «A beau mentir qui vient de loin» Seulement, le mensonge est contraignant, surtout lorsqu'il consiste à enseigner au autres quelque chose en quoi on croit, mais qui comporte des à-côtés qu'on ne connaît pas; on se retrouve obligé à rattraper le retard d'information, et on fait bien plus d'efforts qu'on n'en aurait fait autrement. M° Deshimaru (Disciplerond) a fui, je pense, une double vie au Japon faite de mensonge et de compromissions, une vie où il lui fallait choisir entre le Zen et son ami Masaki, c'est à dire l'extrême droite ultra-nationaliste. Il ne dit pas comment il a résolu le kôan, et c'est normal, il l'a résolu par la fuite, une fuite qui a emprunté le Transsibérien et qui l'aurait peut-être emmené aux E-U, si les dieux du Bouddhisme n'en avaient décidé autrement. Il s'est arrêté à Paris, et là, dans une misère matérielle qui lui permettait au moins d'échapper à la misère morale, il a pu monter son «escroquerie». Qui l'aurait suivi s'il avait dit la vérité sur lui-même? Personne. Je sais, il a menti, c'est MAAAAAAL! Et il brûle certainement en enfer pour cela. Mais je suis sûr qu'il en était conscient. Je pense qu'il s'agissait d'une sorte de sacrifice, comme l'enfant qui donne sa chair à manger au démon, ou le lapin qui se jette dans le brasier: acte pur et profond de bodhisattva. De plus, il nous quitte sur cet avertissement: «Ne copiez pas mes mauvais côtés!» Evidemment, l'avertissement n'est pas entendu, et ce sont précisément ses mauvais côtés (alcoolisme, mensonge, affabulation, autoritarisme totalitaire) qui sont copiés, laissant ainsi de côté toute la substantifique moëlle de ce qu'il a transmis, en fin de compte. Et c'est là que ce que dit Eric à propos de la transmission, qui n'est jamais la même chose du tranmetteur au transmis, trouve sa réalisation. Le Bouddhisme monastique tel qu'il s'est transmis au cours des siècles en Orient, atteint aujourd'hui ses limites, au moment où il se transmet dans nos pays. Pourtant, au contraire d'Eric, je ne crois pas que la vie monastique soit nécessairement insensée, mais plutôt qu'on ne peut pas limiter la pratique au monastère. En ce sens, la forme pragmatique et opportuniste créée par M° Grandesagesse Disciplerond est probablement excellente, et il y a sans doute peu à y changer. C'est donc là qu'intervient la dernière bénédiction de TD. Ses mensonges, ses approximations, son escroquerie, pour tout dire, ne pouvaient rester inconnus pour toujours, et cela, il devait au moins s'en douter. Si vous voulez vous en convaincre, faites l'effort de vous remémorer une quelconque de vos petits mensonges, approximations, compromissions, de celles que vous avez honte d'y penser, même. On en a tous. Et voyez comment, simultanément, on s'en débarasse par des pirouettes, car nous sommes les premiers à désirer à toutes forces croire à nos menteries, mais nous sommes aussi aux premières loges pour en savoir la vanité. Sa bénédiction, c'est de remettre par force, à cause de l'excès même des moyens employés, toute la dogmatique de l'infaillibilité godale, à commencer par la sienne et celle de Sawaki, de nous rappeller à toutes forces à quel point nous sommes tous faillibles, et à quel point il est facile, en déviant d'un cheveu, de dévier totalement. Son Zen était conditionné par des siècles de militarisme (j'allais dire imbécile, mais ce serait un pléonasme) et presqu'un siècle d'autoritarisme fasciste. C'est le contraste même de ce conditionnement et des opinions politiques d'une majorité des pratiquants de son zen qui oblige à reconsidérer les ressorts de ce dysfonctionnement, apporté au coeur d'une civilisation qui a une histoire ni plus ni moins (vain-)glorieuse que les autres, mais qui a élaboré une éthique de l'horizontalité sociale qui permet de contrebalancer efficacement les excès de la verticalité. Cette dernière, même si elle peut prétendre à une certaine efficacité, est trop vulnérable à sa situation «turri-éburnéenne», et, partant, au système du faire-couper-la-tête-aux-porteurs-de-mauvaises-nouvelles, qui a le désavantage de voir un jour les mauvaises nouvelles arriver toutes seules, sans être annoncées. Une éthique, aussi, où on n'admet pas de sacrifier les victimes au seul prétexte qu'elles sont là pour leurs péchés ou leurs erreurs. Une éthique, en somme, qui a une certaine tendance à être pleurnicharde, mais qui a, si l'on sait raison garder ses vertus. Après tout, c'est elle qui a produit Médecins sans Frontières, Greenpeace, Amnesty International et autres mouvements voués à la défense de ci, de mi, mais toutes archi-nécessaires en notre monde. Il reste aux Bouddhistes d'ici, à intégrer ces notions dans leur pratique. Je ne crois pas que TD ait vu les choses comme ça, il aurait fallu qu'il soit omniscient, et ça je n'y crois pas, même pour Gautama Shakyamuni, mais la façon dont il a posé les choses OBLIGEAIT, à terme, karmiquement, à faire cette réflexion. Et c'est pour cela que je lui rends hommage. Il faut lui savoir gré même de ce qu'il a réalisé sans s'en rendre compte, car c'est (métaphoriquement) ce que les divinités bouddhiques l'ont incité à faire. Michel Proulx
Michel ______________________________________________ Comment décrire cette paresse Max Plank (mais c'est pas vrai)
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