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DIX RAISONS POUR LESQUELLES LE DHARMA OCCIDENTAL POURRAIT FOIRER
par LEWIS RICHMOND
©1998 Lewis Richmond
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Lewis Richmond, disciple ordonné par Shunryu Suzuki Roshi, a été formé dans la tradition Zen et a été pendant de nombreuses années l'enseignant principal du Green Gulch Zen Temple. Son livre Work as a Spiritual Practice (Le travail en tant que pratique spirituelle) a été publié par Broadway Books en février 1999.
 

Il est encore impossible de savoir si le Dharma occidental disparaîtra ou réussira. Il n'est même pas évident de savoir ce que pourrait être son succès. S'il devait suivre le patron de la première vague de spiritualité orientale, dans les années '20, ses doctrines et pratiques les plus accessibles devraient être absorbées dans le courant principal et être édulcoré comme le fut le yoga en son temps, pendant que ses formes traditionnelles ne perdureraient qu'en vertu d'un intérêt exotique pour le petit nombre des militants. Ou bien, il pourrait encore fleurir comme nouvelle influence permanente. Il est réconfortant d'imaginer que le Dharma occidental est désormais installé à demeure, mais l'histoire nous enseigne que de nouveaux mouvements religieux pleins de promesses peuvent souvent s'évanouir après une couple de générations. Si le Dharma survit, je peux imaginer dix raisons pour lesquelles cela pourrait se produire.

 

1- L'attachement aux racines de la Contre-culture.

Les enseignants du Dharma occidentaux et le noyau dur des adhérents sont encore de manière prédominantes des produits de la contre-culture (même si cela est carrément en train de changer), et plusieurs d'entre eux gardente encore une aversion pour le courant principal de la culture américaine. En d'autres temps et pays, le Dharma a pénétré par le haut, par les rois et la classe dirigeante. L'association attardée du Dharma occidental avec les valeurs de la contre-culture (dégoût pour les affaires, le gouvernement, et les institutions officielles au niveau local et national) limite son accessibilité à ceux qui n'ont jamais partagé ces valeurs, de même qu'à la jeune génération qui n'en a eu aucune expérience. En 1967, 83% des bacheliers déclaraient que l'objectif le plus important de leur vie était de "développer une philosophie significative." En 1996, le chiffre était de 41%. Les temps ont changé. Les leaders et les enseignants du Dharma occidental doivent prendre conscience qu'une nouvelle génération, moins aliénée, pourrait bien ne plus rechercher des expériences transcendantales ni un style de vie alternatif, tant qu'une spiritualité pratique qui fonctionne réellement dans leurs vies ordinaires. L'aspect opposé de cette équation, c'est le danger que si le Dharma se rapproche du courant principal, il perde son aspect radical, et ne devienne qu'un article de plus dans le vaste menu du développement personnel et des méthodes d'auto-perfectionnement. Voir à ce sujet l'article "Cooptation", ci-dessous.

 

2. L'Eveil.

Considérons le cas du concept moderne de l'éveil qui a été popularisé en Occident et que D.T. Suzuki a été le premier à décrire dans les années '30; il s'est agi du concept spirituel le plus trompeur et destructeur des temps modernes. Dans la mesure où il propose une catégorie spéciale d'être humains qui seraient au-delà de la moralité et de la conduite éthique ordinaires, conduisant ainsi à une pathologie de secte et à la vénération aveugle des gourous, il a causé de profondes souffrances et de véritables destructions, et même, dans certains cas, des pertes de vie. D.T.Suzuki lui même a été cité dans Zen at War comme disant: "Pour le guerrier éveillé, ce n'est pas lui, mais le sabre lui-même qui tue ... L'ennemi apparaît et fait de lui-même une victime ... le sabreur devient un artiste de toute première catégorie." Ces idées sont éloignées des enseignements du Bouddha, dont le premier précepte est l'*ahimsa*, c'est à dire le "non-tort", la "non-violence", au point de ne plus avoir la moindre ressemblance avec eux. Ces contradictions continueront à discréditer le Dharma aux yeux de la majorité intriguée mais sceptique jusqu'au jour où les dirigeants du Dharma occidental se montreront désireux de s'y confronter &emdash;- et de s'en expliquer &emdash;&emdash; sérieusement et honnêtement.

 

3. Manque de dialogue intellectuel.

Ces trois dernières décennies a produit une génération d'académiciens rigoureusement entraînés et qui se spécialisent dans l'étude des textes et des commentaires bouddhistes, mais de nombreux centres du Dharma montrent peu d'intérêt pour ce qu'ils ont appris. L'anti-intellectualisme - autre élément des valeurs de la contre-culture - est commun dans les cercles dharmiques. Le Christianisme et le Judaïsme se sont réinventés tout au long des siècles en même temps que changeait le monde, mais le Bouddhisme, comme le dit le spécialiste de la Prajñâ-Pâramitâ, le Dr.Edward Conze, "n'a pas eu une idée nouvelle depuis plus de mille ans". Passe encore d'avoir accepté les traditions asiatiques à nous transmises pendant assez de temps pour les maîtriser et comprendre, mais il y a trop longtemps que le Dharma attend la sorte d'examen critique et de concessions intellectuelles qui ont produit la Réforme protestante en Europe et le Judaïsme réformé au XIX° siècle. A part dans le milieu académique, où existe-t-il un seul journal ou une seule revue consacrée à un tel dialogue, qui soit largement lu et auquel contribueraient des leaders occidentaux du Dharma et leurs adhérents? Les périodiques qui rapportent qui fait quoi sont évidemment importants, et nous en avons. Ce que j'imagine, c'est un magazine qui encouragerait les articles qui remettent tout en question, jusqu'à la racine. Les Bouddhistes ne sont pas censés croire en Dieu, mais on dirait souvent que nous soumettons notre foi et nos croyances à bien moins d'examen intellectuel que ceux qui y croient.

 

4. Oubli de l'Ethique.

Le Bouddhisme est nettement, entre autres, un système éthique et une méthode pratique de développement du caractère. Ce fait est tellement fondamental que ceux qui en doutent ou le rejettent ont beaucoup d'explications à donner. Même s'il y a de nombreuses doctrines, telles que les "moyens habiles", pour expliquer le comportement éthique d'une perspective plus transcendantale, pendant 2 500 ans, la définition typique d'un bouddhiste a été son consentement à vivre selon certains préceptes éthiques. Ces préceptes définissent ce qu'est un bouddhiste de la même façon que le Credo définit un catholique, ou la Fatiha définit un musulman. La perspective transcendantale, non-duelle, n'a jamais été entendue comme la rationalisation à un comportement nuisible ou égoïste, mais plutôt comme la confirmation finale, couronnante, des préceptes du point de vue de la compréhension éveillée. Lorsque la perspective non-duelle est traînée dans la boue, elle sonne comme le passage bizarre de D.T.Suzuki cité plus haut. Le Bouddhisme a potentiellement beaucoup à offrir au monde occidental dans son interprétation la plus indulgente et la plus sincère du comportement éthique, mais ce message est offusqué à chaque fois que la Police de la Pensée dharmique rejette toute discussion sur l'éthique en tant que bavardage d'esprits étroits et puritains.

 

5. Manque de respect pour les autres Traditions, Orientale et Occidentale.

Le noyau dur des adhérents du Dharma occidental sont généralement intéressés à une transformation personnelle au moyen de la pratique de la méditation, et oublient que la vaste majorité des 300 millions de bouddhistes dans le monde ne pratiquent pas la méditation, mais plutôt une forme quelconque de pratique de "foi"-psalmodie, de prières dévotionnelles, d'observance rituelle, et de préceptes. Combien d'étudiants occidentaux du Dharma ont-ils étudié les enseignements de l'une quelconque de ces écoles, ou assisté à des services à l'un quelconque des temples bouddhistes des communautés nationales présentes dans toutes les grandes villes des Etats-Unis et d'Europe? Combien ont absorbé les enseignements populistes de Shinran, le fondateur de la Terre Pure au Japon? Combien savent que de loin la forme la plus populaire du Bouddhisme en Occident n'est ni le Zen, ni le Bouddhisme tibétain, ni le Vipassana, mais la Soka Gakkai, surgeon du Bouddhisme de Nichiren qui enseigne la récitation pieuse du nom du Sûtra du Lotus &emdash; Namu Myô Hô Renge Kyô? Ces écoles qu'on appelle "fidéistes" ont surgi il y a des siècles pour remplir le vide laissé par une religion dominée par les moines. Elles font partie des meilleurs efforts du Bouddhisme jusqu'à présent pour s'adapter à un monde moderne plus orienté vers la laïcité. Ces traditions pourraient bien contenir quelques bonnes idées pour la survie et le succès à long terme du Dharma occidental.

Un autre préjugé parmi les pratiquants du Dharma est leur dégoût pour la religion de leur enfance. Je trouve curieux que des Bouddhistes occidentaux qui n'ont aucun problème à se prosterner des milliers de fois devant quelque divinité tibétaine ont ont un mouvement de révulsion lorsque le mot Dieu est prononcé. L'idée que "Dieu" en termes occidentaux puisse être tout autant un forme de pratique créée par l'esprit que la prosternation devant cette divinité tutélaire tibétaine ne semble pas leur effleurer l'esprit du dévôt. Aussi longtemps que le Bouddhisme ne sera qu'un endroit où les déçus occidentaux de la religion pourront projeter leurs sentiments religieux conflictuels sur quelque chose d'exotique et d'étranger, il ne prendra jamais réellement racine. Le Dalai-Lama est très clair sur ce point. Il semble recommander aux milliers de dévôts qui affluent à ses conférences de considérer sérieusement leurs propres traditions avant d'accepter les siennes sans réfléchir. Son esprit oecuménique est remarquable, mais n'est pas encore largement partagé.

 

6. Carriérisme.

Enseigner le Dharma est désormais une carrière. C'est aussi bon que mauvais. C'est bon en ce que ça nous oblige à développer des rôles, définitions et normes culturellement pertinentes pour la formation et les activités de ces enseignants. C'est mauvais en ce sens que ça introduit les difficultés et les tentations qui viennent avec n'importe quelle carrière, c'est-à-dire l'argent, le statut social, l'envie, la compétition, la gloire et le profit. On pourrait avancer que les meilleurs enseignants du Dharma sont ceux qui n'ont aucun désir particulier d'enseigner et qui en assument le rôle à regrets. Mais la situation est telle aujourd'hui que des gens puissent dire: "je veux être un enseignant du Dharma quand je serai grand"! Est-ce qu'on peut prévoir que les enseignants du Dharma deviendront avec le temps une combinaison hybride de prêtre, de conseiller, de thérapeute, de guide spirituel, de dirigeant de communauté, de leveur de fonds et d'auteur/célébrité? Est-ce là le meilleur modèle pour transmettre le Dharma aux générations futures? Or est-ce que la génération actuelle des enseignants du Dharma pourrait être un groupe de transition faisant le pont entre la première génération de maîtres asiatiques et un modèle futur restant à déterminer?

 

7. Cooptation.

Un des sorts possibles qui attend le Bouddhisme en Occident, pourrait être l'absorption par, ou la fusion dans, les traditions spirituelles indigènes judéo-chrétiennes. Je ne sais pas si l'on devrait considérer un tel destin comme un échec ou un succès. Mais dans la mesure où le Bouddhisme perdrait son caractère particulier et ne serait plus qu'un outil de méditation pour Juifs et Chrétiens, on pourrait le considérer comme un résultat décevant, même si l'ancien séminariste chrétien que j'ai été garde l'esprit ouvert. Cependant, admettons-le en toute candeur: une des raisons pour lesquelles les religions monothéistes sont la forme dominante de religion dans le monde entier ne tient pas seulement au fait que la croyance en un Dieu est aisément comprise par les gens ordinaires, mais qu'elle satisfait bon nombre de leurs besoins spirituels les plus profonds. L'Islam est la religion dont la croissance est la plus forte dans le monde, suivie de près par le Christianisme évangélique, alors que le Bouddhisme est partout (sauf ici, peut-être) en fort déclin. Quelques enseignants du Dharma rejettent les religions déistes en tant que désert de l'illusion et que prise des désirs pour la réalité. Ils pourraient peut-être y regarder deux fois. C'est peut-être ça notre avenir.

 

8. Pathologie enseignante.

Ce sujet a été usé jusqu'à la corde, mais il faut quand même le mentionner. Les enseignants du Bouddhisme, asiatiques comme occidentaux, semblent avoir des tas de problèmes &emdash; relationnels, d'abus de substances (enivrantes), de dépression, de problèmes de pouvoir et de sexe, et ainsi de suite. Nous aurions besoin qu'on nous lâche la grappe de ces raisonnements fatigués à l'effet que le comportement des (maîtres) réalisés ne peut pas être compris par les simples mortels. La culture de la majorité (de la population) qui observe ces événements avec plus d'attention que beaucoup d'entre nous le croient, pourrait éventuellement claquer la porte à la possibilité du Bouddhisme, et porter ses billes spirituelles ailleurs. Bien sûr, les choses changent, et nous tirons la leçon des erreurs antérieures. Mais le Dharma occidental souffre encore d'une réelle réticence à appeler un chat un chat, quoique ce soit précisément ce que faisait le Bouddha. Si les modèles du Bouddhisme donnent l'impression d'être incapables de régler leur vie, leur travail et leurs relations mieux, voire aussi bien, que le Dupont ou le Durand moyen, alors, à quoi ça sert? C'est là ce que l'opinion majoritaire tirera comme conclusion. Les Bouddhistes pourront contester et dire: "Une minute! Ne partez pas! Nous possédons ce grand truc! L'Eveil! La transformation! La méditation! Vous ne comprenez pas?!" Et c'est exact, ils ne comprennent pas. Le temps s'écoule ...

 

9. Le Fric.

Il n'est pas possible de construire une religion sans argent. D'où faut-il qu'il vienne? Qui va le donner, qui va l'avoir, et à quoi va-t-il être employé? Le fric a déjà eu une influence destructrice sur certains centres bouddhistes. Et cela va continuer d'être le cas. Qu'on le veuille ou pas, l'argent mène la barque. On peut s'en occuper ou attendre qu'il s'occupe de nous. L'argent est l'un des sujets avec lesquels de nombreux enseignants du Dharma ont des problèmes à être clairs et simples. Une partie du problème tient à ce que les formes de Bouddhisme qui nous intéressent ont une puissante tendance monastique au renoncement du monde. Je recommanderais la création d'un programme de méditation dont le sujet explicite serait l'argent. Etudions le sujet de la même façon que nous étudions l'esprit &emdash;&emdash; en faisant très attention à ce qui est et non à ce qui devrait être.

 

10. Chamailleries d'Ecoles.

Il semblerait qu'être religieux, c'est se quereller. Les Juifs, réformés et orthodoxes, se querellent ("Tu n'es pas un vrai Juif" &emdash; "Oui, je le suis!") Les Catholiques se querellent ("Pas de prêtrise pour les femmes," - "Il n'y a pas de raison!") Le Anglicans se querellent. Les Baptistes, du Nord et du Sud, se querellent. Les Musulmans, entre Sunnites et Chiites, se querellent, jusqu'à tuer. De la sorte, au moins, nous les chamailleurs bouddhistes sommes en bonne compagnie. Dans les cercles bouddhistes, nous pratiquons le demi-sourire lorsque nous discutons de qui a et de qui n'a pas, de qui est et de qui n'est pas, de qui fait et de qui ne fait pas. Même si nous prétendons à la Parole Correcte ("bien sûr, je ne voudrais pas avoir l'air de dénigrer Untel, mais..."),les vacheries continuent. (A l'apogée de la Gestalt, la réponse "Je t'entend..." a fini pas signifier: "Je pense que t'es vraiment plein de merde." Les mots sont de merveilleuses choses.) Est-ce qu'une des principales différences entre le Bouddhisme et le Judéo-Christianisme ne pourrait pas être que nos chamailleries sont plus branchées, plus dans le coup? Il se pourrait que les chamailleries ont du bon. Carol Travis, dans son livre sur la colère, fait remarquer que les Bochimans d'Afrique se chamaillent constamment, mais ont un taux assez bas de violence réelle. Peut-être pourrions-nous appeler ça le principe du "Si on s'engueulait pas, on serait bien plus malades." Peut-être allons-nous nous chicaner sur tout le Chemin jusqu'à la Terre Pure, ou jusqu'à la Conscience éveillée. Mais il est plus vraisemblable que nous allons nous chamailler tout au long du chemin qui mène à être peu concluants, à être débiles et à l'oubli. A propos de quoi nous chamaillons-nous? C'est quoi l'intérêt? Qu'est-ce qui compte vraiment?

Voilà. Dix dangers. Dix occasions.

Occupons-nous en.


Pour lire la version originale en anglais, cliquer ici.

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