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S'EVEILLER DU REVE DES MEMES
par SUSAN BLACKMORE
Department of Psychology,
University of the West of England,
Bristol BS16 2JP
Conférence présentée lors de The Psychology of Awakening:
International Conference on Buddhism, Science and Psychotherapy Dartington 7-10 Novembre 1996

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--Réveillez-vous! Réveillez-vous!

--Heeeeeu, hummmm, grrrrggr, Ouais, j'suis réveillée, maintenant. Ouaouh! Quel rêve bizarre. J'étais convaincue qu'il fallait que j'arrive à sortir du lave-vaisselles et qu'il était d'une importance capitale que j'arrive à temps dans l'armoire. Quelle connerie! Evidemment, maintenant, je me rends compte que c'était pas vrai.

--Réveillez-vous! Réveillez-vous!

--Qu'est-ce que tu veux dire, "réveillez-vous", je suis déjà réveillée. C'est vrai, ce qui se passe; ça en a de l'importance. Je ne peux plus me réveiller. Casse-toi!

--Réveillez-vous! Réveillez-vous!

--Mais je comprends pas - De quoi? Et comment?

 

Ce sont les questions dont je vais traiter aujourd'hui. De quoi c'est qu'il faut qu'on se réveille? Et comment? Mes réponses seront "Du Rêve des Mêmes" et "En constatant que c'est un rêve de Même". Mais ça pourra prendre un moment pour l'expliquer!

L'histoire est longue, dans les traditions spirituelles et religieuses, de l'idée que la vie éveillée normale est un rêve ou une illusion. Ca n'a aucun sens pour quelqu'un qui regarde autour de lui et est convaincu que ce qu'il voit est un monde réel et qu'il y a un Moi qui le perçoit. Cependant, il y a de nombreux indices à l'effet que cette conception ordinaire est fausse.

Certains de ces indices proviennent d'expériences mystiques spontanées, au cours desquelles les gens "voient la lumière", se rendent compte que tout est un, et vont "au-delà du Moi" pour voir le monde "tel qu'il est vraiment". Ils sont sûrs que leur nouvelle manière de voir est meilleure et plus exacte que l'ancienne (bien qu'il soit évident qu'ils puissent se tromper!). D'autres indices proviennent de la pratique spirituelle. Il est probable que la première chose que n'importe qui découvre lorsqu'on essaye de méditer, ou d'être attentif et concentré, c'est que notre esprit est constamment plein de pensées. Celles-ci ne sont habituellement ni sages ni merveilleuses, ni même utiles ou productives, mais ne sont que du babillage incessant. Du profondément insignifiant à l'émotionellement embrouillé, elles continuent sans fin. Et ce qui est pis, c'est qu'elles impliquent presque toujours "moi". Le pas est vite franchi de se demander qui est ce "moi" souffrant et pourquoi "Je" ne peux arrêter les pensées.

En fin de compte, les indices proviennent de la science. La conclusion la plus évidente et la plus effrayante de la neurologie moderne, c'est qu'il n'y simplement personne à l'intérieur du cerveau (note de michel proulx: il s'agit d'une allusion à la théorie antiquissime de l'homunculus, le petit bonhomme qui'il y aurait à l'intérieur, à diriger la machine). Plus on en apprend sur la façon dont fonctionne le cerveau, et moins il semble avoir besoin d'un contrôleur central, une petite personne à l'intérieur, un décideur de décisions ou un expérimenteur d'expériences. Ceux-ci ne sont que des fictions --une partie de l'histoire que le cerveau se raconte à lui-même au sujet d'un moi à l'intérieur (Churchland et Sejnowski, 1992; Dennett, 1991).

Certains disent que ça ne sert à rien de chercher à comprendre intellectuellement les sujets spirituels. Je ne suis pas d'accord.

Il est exact que la compréhension intellectuelle n'est pas la même chose que la réalisation, mais ceci ne signifie pas qu'elle soit inutile. Dans ma propre tradition de pratique, le Zen, il y a beaucoup de place pour le combat intellectuel; par exemple, dans la culture de "l'esprit de je ne sais pas", ou en travaillant sur des kôans. On peut porter une question à un tel niveau de confusion intellectuelle qu'elle peut être tenue, soupesée, dans toute sa complexité et simplicité. Comme "Qui suis-je?", "Qu'est ceci?" ou (un avec lequel je me suis débattue) "Qu'est-ce qui te pousse?".

Il y a aussi un danger terrible dans le refus d'être intellectuel à propos des sujets de spiritualité. C'est que nous courrons le danger d'isoler notre pratique spirituelle de la science dont dépend toute notre société. Si cette société doit acquérir une quelconque profondeur spirituelle, celle-ci devra coincider heureusement avec notre compréhension croissante des opérations du cerveau et de la nature de l'esprit. Nous ne pouvons pas nous permettre un monde dans lequel les scientifiques comprendraient l'esprit, et un autre dans lequel certaines personnes spécifiques atteindraient l'Eveil.

Je présente donc mes excuses pour ma démarche. Je vais tenter de répondre à mes questions en utilisant ce que je puis trouver de mieux comme science. On dirait que nous vivons dans un embrouillamini dont nous croyons qu'il importe à un moi qui n'existe pas. Je voudrais en trouver la raison.

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La Dangereuse Idée de Darwin

Il y a une idée scientifique qui, selon moi, dépasse toutes les autres. Elle est extrêmement simple et belle. Elle contient les origines de toutes les formes de vie et de toute conception biologique. Elle se passe du besoin d'un Dieu créateur, d'un concepteur, d'un plan directeur ou d'un but à l'existence. Ce n'est qu'à la lumière de cette idée que tout ce que comprend la biologie a du sens. C'est évidemment, l'idée de l'évolution des espèces par sélection naturelle, de Darwin. Les implications de la sélection naturelle sont si profondes que les gens en ont été sidérés ou enragés, fascinés ou scandalisés, depuis qu'elle a été proposée pour la première fois dans "L'Origine des Espèces" en 1859. C'est pour cette raison que Dennett (1995) l'appelle l'Idée Dangereuse de Darwin. Malheureusement, ils sont nombreux ceux qui ont mal compris l'idée et qui, pire, l'ont utilisée pour défendre des doctrines politiques indéfendables qui n'ont rien à voir avec le darwinisme. J'espère donc que vous me pardonnerez si je prend un peu de temps pour l'expliquer le plus clairement possible.

Tout ce dont on a besoin pour amorcer la sélection naturelle , c'est un réplicateur dans un environnement approprié. Un réplicateur, c'est quelque chose qui se copie lui-même, quoique pas toujours parfaitement. L'environnement doit être celui dans lequel le réplicateur peut créer le plus de copies de lui-même, sans qu'elles soient toutes en mesure de survivre. Voilà.

Est-il possible que ce soit si simple? Oui. Tout se produit de la même façon - dans n'importe quelle génération de copies, toutes les copies ne sont pas identiques et certaines sont plus capables de survivre dans cet environnement que les autres. En conséquence, elles font davantage de copies d'elles-mêmes de sorte que ce type de copie devient plus nombreux. Evidemment, les choses commencent alors à se compliquer. La population de copies en rapide expansion commence à modifier l'environnement et ceci modifie les pressions sélectives. les variations locales de l'environnement impliquent que différentes sortes de copies se débrouilleront bien à différents endroits causant ainsi bien plus de complexité encore. C'est ainsi que le processus peut produire toutes les sortes de complexité organisée que nous voyons dans le monde vivant -- et pourtant tout ce qu'il faut, c'est ce processus simple, élégant, beau et évident qu'est la sélection naturelle.

Pour rendre les choses plus concrètes, imaginons une soupe primitive dans laquelle un simple réplicant chimique a surgi. Nous appellerons ces réplicants des "Blobbies". Ces blobbies, en vertu de leur constitution chimique, fabriquent des copies d'eux-mêmes à chaque fois qu'ils trouvent les bons produits chimiques. Bien, mettons les dans un marais chimique bien riche et ils vont commencer à se copier, quoiqu'avec des erreurs occasionnelles. Quelques millions d'années passent et on trouve des tas de sortes de blobbies. Ceux qui ont besoin de beaucoup de marécageon ont utilisé toutes les ressources et périclitent, de sorte que ceux qui utilisent l'isomarécagine à la place se débrouillent beaucoup mieux. Bientôt, on trouve plein d'endroits où différents produits chimiques prédominent et où différentes sortes de blobbies apparaîssent. La compétition pour les produits chimiques du marécage devient féroce et la plupart des copies qui sont faites crèvent. Seules celles qui, par une rare fortune, se révèlent posséder d'astucieuses nouvelles propriétés continuent à se répliquer encore et encore. Ces propriétés astucieuses pourraient comprendre la capacité de se déplacer et de trouver le marécageon, d'isoler l'isomarécagine3-7 et de s'y accrocher, ou de construire des membranes autour d'elles-mêmes. Une fois que des blobbies à membrane apparaissent, ils vont commencer à l'emporter sur ceux qui flottent à la surface et on obtient des super-blobbies. Encore quelques millions d'années passent et on découvre des trucs, comme de prendre d'autres blobbies à l'intérieur de la membrane, ou de joindre plusieurs super-blobbies ensemble. Des hyper-super-blobbies apparaissent, comme des animaux multi- cellulaires avec des réserves d'énergie et des parties spécialisées pour se déplacer et se protéger. Cependant, ces derniers ne sont que pitance pour des hyper-super-blobbies encore plus gros. Ce n'est plus qu'une question de temps avant que les variations aléatoires et la sélection naturelle ne créent un vaste monde vivant. Au cours du processus, des milliards et des milliards de blobbies infructueux auront été créés et seront morts, mais c'est ce lent et aveugle processus qui crée les "biens". Les "biens", sur notre planète incluent les bactéries et les plantes, les poissons et les grenouilles, les ornithorynques à bec de canard et nous.

La forme surgit de nulle part. Il n'est nul besoin d'un créateur ou d'un plan directeur, et il n'y a aucun point final vers lequel se dirige la création. Richard Dawkins (1996) appelle ça "L'Escalade du Mont Improbable". Il s'agit seulement d'un processus simple mais inexorable par lequel des choses incroyablement improbables sont créées.

Il est important de se rappeller que l'évolution n'a aucune vision d'avenir et ne produit donc pas nécessairement la "meilleure" solution. L'évolution ne peut que procéder par où elle se trouve à l'instant. C'est pour ça que, entre autres, nous avons un oeil d'une conception aussi débile, avec tous les neurones qui passent par devant la rétine et se trouvent dans le chemin de la lumière. Il n'y avait pas de créateur par là pour dire 'Ho! Recommencez-moi ce truc! Il faut faire passer le cablage par derrière". Il n'y en avait pas un non plus pour dire "Ho! Arrangeons ça pour que ce soit agréable pour les humains!" Les gênes, eux, ils s'en fichent. En comprenant le fantastique processus de la sélection naturelle, nous pouvons voir comment nos corps humains sont comme ils sont venus à être. Mais qu'en est-il de nos esprits? La psychologie évolutioniste ne répond pas facilement à mes questions. Par exemple, pourquoi pensons-nous tout le temps? D'un point de vue génétique, ça peut sembler un gaspillage extrême - et les animaux qui gaspillent leur énergie ne survivent pas. Le cerveau utilise jusque 20% de l'énergie du corps alors qu'il n'en pèse que 2%. Si nous pensions des pensées utiles, ou résolvions des problèmes pertinents, ça pourrait encore aller, mais pour la plupart, ce n'est pas ce qu'il semble. Alors, pourquoi ne pouvons-nous pas simplement nous asseoir et ne pas penser?

Pourquoi croyons-nous en un ego qui n'existe pas? Quelqu'un pourrait expliquer ceci en termes évolutionistes, mais ça semble insensé, au moins superficiellement. Pourquoi construire une fausse idée d'un égo, avec tous ses mécanismes pour protéger l'amour-propre et sa crainte de l'échec et de la perte, alors que du point de vue biologique, c'est le corps qui a besoin de protection. Remarquez que si nous nous voyions nous-mêmes comme un organisme entier, il n'y aurait pas de problème, mais ce n'est pas le cas -- au contraire, on dirait que nous croyons en un égo séparé; quelque chose qui serait en charge du corps; quelque chose qui doit être protégé en lui-même. Je parie que si on vous demandait "Que préférez-vous perdre -- votre corps, ou votre esprit?" vous ne mettriez pas longtemps à décider. Comme bien d'autres scientifiques, j'aimerais bien découvrir un principe aussi simple, aussi beau et élégant que la sélection naturelle qui expliquerait la nature de l'esprit.

Je crois qu'il y en a un. Il est apparenté de très près à la sélection naturelle. Bien qu'il traîne dans le paysage depuis une vingtaine d'années, il n'a pas encore été pleinement mis à contribution. C'est la théorie des Mêmes.

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Une brève histoire du même des Mêmes

En 1976 Richard Dawkins écrivit ce qui fut probablement le livre le plus populaire jamais publié sur l'évolution - The Selfish Gene (Le Gêne égoiste).

Ce livre donnait un nom accrocheur à la théorie qui veut que l'évolution procède entièrement en fonction des réplicants égoistes. C'est-à-dire que l'évolution ne se produit pas pour le bien de l'espèce, ni pour celui du groupe, pas plus que pour l'organisme individuel. Ce n'est que pour le bien des gênes. Les gênes qui sont efficaces s'étendent et ceux qui ne le sont pas ne le font pas. Le reste est entièrement conséquence de ce fait.

Evidemment, le principal réplicant qu'il prenait en compte était le gêne, une unité d'information codée dans l'ADN et affichée dans la synthèse protéique. Cependant, à la toute fin de son livre, il prétendit qu'il existait un autre réplicant sur cette planète: le Même.

Le Même est une unité d'information (ou instruction de comportement) engrangée dans le cerveau et communiquée par imitation d'un cerveau à un autre. Dawkins donnait des exemples: les idées, les airs de musique, les théories scientifiques, les croyances religieuses, les modes vestimentaires, les techniques telles que de nouvelles manières de tourner des pots ou de construire des voûtes.

Les implications de cette idée sont renversantes, et Dawkins en énumérait quelques unes. Si les Mêmes sont vraiment des réplicants, alors inévitablement, ils se comporteront de manière égoïste. C'est-à-dire que ceux qui sont bons pour se répandre vont se répandre et ceux qui le sont pas ne vont pas le faire. En conséquence de quoi, le monde des idées - ou mémosphère - ne va pas s'emplir des idées les meilleures, les plus véridiques, les plus pleines d'espoir ni les plus utiles, mais avec les survivantes. Les Mêmes ne sont, comme les gênes, que des survivants.

Dans le cours du processus de survie, ils vont, tout comme les gênes, créer des groupes de Mêmes d'entraide mutuelle.

Rappellez-vous les blobbies. En quelques millions d'années ils se sont mis à se rassembler en groupes, parce que ceux qui étaient en groupes survivaient mieux que les solitaires. les groupes sont devenus plus gros et plus efficaces et ont évolué en un écosystème complexe. Dans le vrai monde de la biologie, les gênes se sont regroupés pour créer d'énormes créatures qui ensuite s'accouplent et font passer les gênes. De manière similaire, les Mêmes peuvent se regrouper dans les cerveaux humains et remplir le monde des idées avec leurs produits.

Si cette conception est correcte, alors les Mêmes devraient pouvoir évoluer de façon assez indépendante des gênes (à part d'avoir besoin d'un cerveau). Il y a eu de nombreuses tentatives d'étudier l'évolution culturelle, mais la plupart traitent implicitement les idées (ou Mêmes) comme étant subordonnées aux gênes (cf. par ex. Cavalli-Sforza et Feldman, 1981; Crook, 1995; Durham,1991; Lumsden et Wilson, 1981). La puissance qui résulte de la prise de conscience que les Mêmes sont des réplicants provient de ce qu'on peut les voir comme ne travaillant purement et simplement que dans leur propre intérêt. Evidemment, jusqu'à un certain point, les Mêmes réussiront d'autant mieux qu'ils seront utiles à leurs hôtes, mais ce n'est pas là pour eux la seule façon de survivre - et nous allons bientôt en voir certaines conséquences. Depuis qu'il a suggéré pour la première fois l'idée des Mêmes, Dawkins a discuté de l'extension de comportements tels que de porter des casquettes de baseball à l'envers (mes enfants ont récemment retourné les leurs à l'endroit!), l'utilisation de certaines marques de vêtements pour identifier les bandes, et (le plus évidemment) le pouvoir des religions. Les religions sont, selon Dawkins (1993), d'énormes complexes de Mêmes co-adaptés; c'est-à-dire des groupes de Mêmes qui se tiennent ensemble pour s'entraider mutuellement et donc survivre mieux que des Mêmes solitaires ne pourraient le faire. D'autres complexes de Mêmes incluent les sectes, les systèmes politiques, les systèmes de croyances alternatifs et les théories et paradigmes scientifiques.

Les religions sont spéciales parce qu'elles utilisent pratiquement tous les trucs du manuel des Mêmes (ce qui est probablement la raison pour laquelle elles durent si longtemps et infectent autant de cerveaux). Pensez-y de cette façon: l'idée d'un Enfer est utile au début parce que la crainte de l'enfer renforce les comportements socialement désirables. Alors ajoutez-y l'idée que les incroyants (mécréants) vont en enfer, et le Même et tous se compagnons sont bien protégés. L'idée de Dieu est un Même-compagnon naturel, apaisant la crainte et fournissant un (faux) confort. L'expansion des complexes de Mêmes est aidée par les exhortations à convertir les autres et par des trucs tels que le célibat des prêtres. Le célibat est un désastre pour les gênes, mais il aidera à répandre les Mêmes, vu qu'un prêtre célibataire dispose de plus de temps pour répandre sa foi.

Un autre truc consiste à accorder de la valeur à la foi et à supprimer les doutes qui conduisent tout enfant à poser des questions difficiles comme "Où est l'enfer?" et "Si Dieu esst si bon, pourquoi permet-il que ces gens soient torturés?" Remarquez que la science (et certaines formes de Bouddhisme) font le contraire et encouragent le doute.

Finalement, une fois infectés par ces complexes de Mêmes, ils sont difficiles à éliminer. Si vous le tentez, certains vont même se protéger dans leurs derniers retranchements avec des excommunications ou des menaces de mort ou de feux de l'enfer pour l'éternité.

Il ne faudrait pas que je me laisse emporter. Ce à quoi je veux en venir, c'est que ces Mêmes religieux n'ont pas survécu pendant des siècles parce qu'ils sont vrais, parce qu'ils sont utiles aux gênes ou parce qu'ils nous rendent heureux. En fait, je crois qu'ils sont faux et qu'ils sont responsables des pires misères de l'histoire humaine. Non - ils ont survécu parce que ce sont des Mêmes égoïstes et qu'ils savent bien survivre - Ils n'ont pas besoin d'autre raison.

Une fois qu'on commence à penser ainsi, une perspective véritablement effrayante s'ouvre devant nous. Nous nous sommes tous habitués à penser que nos corps sont des organismes biologiques créés par l'évolution. Et pourtant, il nous plait toujours de penser que nos egos sont quelque chose de plus. Nous sommes chargés de nos corps, nous menons la barque, nous décidons quelles idées il nous faut croire et lesquelles il nous faut rejeter. Mais le faisons-nous vraiment? Si on commence à réfléchir aux Mêmes égoïstes, il devient vite clair que nos idées sont dans nos têtes parce que ce sont des Mêmes à succès. Le philosophe américain Dan Dennett (1995) conclut qu'une "personne" est une espèce spécifique d'animal infesté par les Mêmes. En d'autres mots, vous et moi et tous nos amis sommes les produits de deux réplicants aveugles; les gênes et les Mêmes.

Je trouve ces idées absolument époustouflantes. Potentiellement, nous pourrions comprendre tout de la vie mentale en termes de compétition entre Mêmes, tout comme nous pouvons comprendre toute vie biologique en termes de compétition entre les gênes.

Ce que je voudrais faire maintenant, en fin de compte, c'est appliquer les idées de la Mêmetique aux questions que j'ai posées au début. de quoi nous éveillons-nous et comment le faisons-nous?

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Pourquoi ma tête est-elle si pleine de pensées?

La réponse à cette question est d'une facilité ridicule, une fois qu'on a commencé à penser en termes de Mêmes. Si un Même doit survivre, il lui faut être bien à l'abri dans un cerveau humain et transmis avec précision à davantage de cerveaux. Un Même qui s'enfouit profondément dans la mémoire et ne se montre plus jamais à la surface va tout simplement disparaître. Un Même qui devient extrêmement distordu dans la mémoire ou au cours de la transmission va aussi disparaître. Une manière simple d'assurer sa survie pour un Même, c'est d'être répété continuellement dans nos têtes.

Prenez deux airs. L'un d'eux est difficile à chanter et même encore plus difficile à se le chanter à soi-même en silence. L'autre est un petit machin accrocheur que vous ne pouvez presque pas vous empêcher de fredonner. Alors vous le faites. Ca continue et ca continue. La prochaine fois que vous avez envie de chanter à haute voix, cet air est très susceptible d'être celui que vous chanterez. Et si quelqu'un l'entend, il le reprendra. C'est comme ça que vient le succès, et c'est pour ça que le monde est si plein d'airs accrocheurs affreux et de jingles de publicité.

Mais il y a une autre conséquence. Nos cerveaux en deviennent pleins. Ces Mêmes à succès sautent d'une personne à l'autre, et remplissent l'esprit de leur hôte au passage. De la sorte, nos esprits deviennent de plus en plus pleins.

Nous pouvons appliquer la même logique à d'autres sortes de Mêmes. Les idées qui tournent et retournent dans nos têtes auront du succès. Non seulement allons nous bien nous en rappeler, mais la prochaine fois que nous serons en train de parler à quelqu'un, ce seront les idées que nous aurons "en tête" et c'est comme ça qu'elles se transmettront. Elles pourront y arriver en étant émotionnellement chargées, excitantes, facilement mémorisables ou pertinentes pour nos soucis de l'instant. Peu importe comment elles y arrivent. Le fait est que les Mêmes qui arrivent à se faire répéter l'emportent sur ceux qui ne le sont pas. La conséquence évidente en est que nos têtes sont vite remplies d'idées. Toute tentative de nettoyer l'esprit ne fait que faire de la place pour d'autres Mêmes.

Cette simple logique explique pourquoi il est si difficile pour nous de nous asseoir et de "ne pas penser", et pourquoi cette bataille pour dompter "nos" pensées est perdue d'avance. Dans un sens très réel, elles ne sont pas du tout "nos" pensées. Elles ne sont que des Mêmes qui réussisent à exploiter efficacement nos ondes cérébrales du moment.

Ce qui soulève la question délicate à savoir qui pense ou ne pense pas. Qui est-ce qui se bat contre ces Mêmes égoïstes? En d'autres mots, qui suis-je?

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Qui suis-je?

Je suppose que vous pouvez dès maintenant deviner ce que sera ma réponse à cette question. Nous ne sommes que des complexes de Mêmes co-adaptés. nous, nos précieux et mythiques "egos", ne sommes que des groupes de Mêmes égoïstes qui se sont rassemblés par et pour eux-mêmes. Il s'agit d'une idée proprement époustouflante, et, à mon expérience, mieux on la comprend et plus elle devient folle et fascinante. Elle démantèle notre façon ordinaire de nous penser nous-mêmes et soulève des questions bizarres sur notre relation avec nos idées. Pour la comprendre, il nous faut réfléchir au comment et au pourquoi des Mêmes se rassemblent en groupes.

De même qu'avec les blobbies ou les gênes, les Mêmes en groupes sont davantage à l'abri que les Mêmes solitaires. Une idée fermement sertie dans un complexe de Mêmes a plus de chances de survie dans la mémosphère qu'une idée isolée. C'est peut-être parce que les idées à l'intérieur des groupes de Mêmes sont échangées en vrac (c-à-d. lorsque quelqu'un se convertit à une croyance, une théorie ou une tendance politique), se soutiennent mutuellement -- par ex., si vous détestez l'économie ultra-libérale, vous pourriez aussi être en faveur d'une généreuse protection sociale), et ils se protègent de la destruction. S'ils ne le faisaient pas, ils ne dureraient pas et ne seraient plus là aujourd'hui. Les complexes de Mêmes que nous rencontrons sont tous ceux qui ont réussi!

Comme les religions, l'astrologie est un complexe de Mêmes à succès. Il es peu probable que l'idée que les Lions s'entendent bien avec les Verseaux aurait pu survivre toute seule, mais en tant que partie de l'astrologie, elle est facile à mémoriser et à transmettre. L'astrologie exerce une attirance évidente qui la met dans nos cerveaux dès le départ; elle fournit une jolie (quoique fausse) explication aux différences humaines et une sensation de prédictibilité réconfortante (quoique erronée). Elle peut se répandre facilement (on peut y ajouter de nouvelles idées à l'infini!) et elle résiste très bien aux preuves contraires. En fait, le résultat de centaines d'expériences montre que les prétentions de l'astrologie sont fausses mais ça n'a pas pour autant réduit la croyance en elle d'un iota (Dean, Mather and Kelly, 1996). Il est clair qu'une fois qu'on croit en l'astrologie, il est très difficile de déraciner toutes les croyances et de leur trouver des alternatives. Ça n'en vaut peut-être pas la peine. C'est ainsi que nous devenons tous des hôtes inconscients d'un énorme bagage de complexes Mêmiques inutiles et parfois dommageables.

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L'un d'eux est moi.

Pourquoi est-ce que je dis que l'ego est un complexe de Mêmes? Parce que ça marche de la même façon que tous les autres complexes de Mêmes. Comme pour l'astrologie, l'idée d'un "soi" a une bonne raison de s'installer, dès le départ. Ensuite, une fois en place, les Mêmes à l'intérieur du complexe s'entraident mutuellement, on peut leur en rajouter presqu'à l'infini, et tout le complexe est résistant à toute preuve de sa fausseté.

Pour commencer, l'idée d'un ego doit entrer là. Imaginons une créature sociale très intelligente mais sans le langage. Elle aura besoin d'un sentiment du soi pour prédire le comportement des autres (Humphrey, 1986) et pour traiter la propriété, la tromperie, les amitiés et les alliances (Crook, 1980).

Avec ce simple sentiment du soi, elle peut savoir que sa fille a peur d'une femelle de haut rang et elle peut prendre des mesures pour la protéger, mais elle ne possède pas le langage avec lequel elle pourrait penser "Je pense que ma fille a peur... etc.". C'est avec le langage que les Mêmes démarrent vraiment - et avec le langage que "Je " apparaît. Des tas de Mêmes simples peuvent alors s'unir en tant que "mes" croyances, désirs et opinions.

Comme exemple, prenons l'idée des différences de sexe au plan de l'habileté. En tant qu'idée abstraite (ou Même isolé) elle a peu de chances de succès. Mais donnez-lui la forme "Je crois en l'égalité des sexes" et tout soudain elle a acquis l'énorme poids du "soi" derrière elle. "Je" me battrai pour cette idée comme si j'étais menacé. Je pourrais argumenter avec des amis, écrire de mots d'opinion, participer à des marches de protestation. Le Même est à l'abri au port du "soi" même face aux preuves qui l'invalident. "Mes" idées sont protégées. C'est alors qu'elles commencent à proliférer. Les idées qui peuvent s'installer dans un égo - c'est-à-dire devenir "mes" idées, ou "mes" opinions, ont du succès. De sorte qu'on en attrape tout plein. A peine s'en rend-on compte que "nous" sommes un vaste conglomérat de Mêmes à succès. Evidemment, il n'y a aucun "Je" qui "ait" les opinions. C'est évidemment un non-sens lorsqu'on y songe sérieusement. Bien sûr, il y a un corps qui dit "Je crois qu'il faut être correct avec les gens" et un corps qui est (ou n'est pas) correct avec les gens, mais il n'y a pas en prime un ego qui "a" les croyances.

Maintenant, nous avons une idée radicalement neuve de qui nous sommes. Nous ne sommes que des conglomérats temporaires d'idées, fondues ensembles pour leur propre protection. L'analogie avec nos corps est proche. Les corps sont les créations de complexes temporaires de gênes: bien que chacun de nous soit unique, les gênes eux-mêmes proviennent tous de créatures précédentes et, si nous nous reproduisons, continueront en de futures créatures. Nos esprits sont la création de complexes temporaires de Mêmes: bien que chacun de nous soit unique, les Mêmes eux-mêmes proviennent de créatures précédentes et, si nous parlons, écrivons et communiquons, continueront en de futures créatures. C'est tout. Le problème, c'est que nous ne voyons pas les choses comme ça. Nous croyons qu'il y a vraiment quelqu'un à l'intérieur qui s'occupe de croire, et vraiment quelqu'un qui a besoin qu'on le protège. C'est ça, l'illusion - c'est ça le rêve de Mêmes dont nous pouvons nous éveiller

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Démanteler le Rêve de Mêmes.

Je connais deux systèmes qui sont capables de démanteler les complexes de Mêmes (quoique je sois convaincue qu'il y en a d'autres). Bien sûr, ces systèmes sont eux-mêmes des Mêmes mais ce sont, si on veut, des désinfectants de Mêmes, des Mêmes mangeurs de Mêmes, ou des "complexes de Mêmes qui détruisent des complexes de Mêmes." Ce sont la science et le Zen.

La science y arrive à cause de ses idéaux de vérité et de recherche de preuves. Elle n'est pas toujours à la hauteur de ces idéaux, mais en principe, elle est capable de détruire tout complexe de Mêmes non-véridique en le soumettant à la question, en demandant des preuves, ou en organisant une expérience.

Le Zen fait ça aussi, quoique les méthodes soient complètement différentes. Dans l'entraînement Zen, tout concept est soumis à examen, rien n'est laissé sans être examiné, même l'égo qui mène l'examen doit être maintenu sous la lumière et interrogé. "Qui t'es, toé?"

Après quelque quinze ans de pratique du Zen, et en relisant les Trois Piliers du Zen de Philip Kapleau, j'ai commencé à travailler le kôan "Qui...?". L'expérience a été très intéressante, et je peux au mieux la comparer à l'observation d'un Même en train de déboutonner d'autres Mêmes. Chaque pensée qui surgit au cours de la méditation était contrée par "Qui est-ce qui pense ça?" ou "Qui c'est qui voit ça?" ou Qui est-ce qui ressent ça?" ou juste "Qui...?". de considérer le faux soi comme un vaste complexe de Mêmes m'a paru aider - parce qu'il est bien plus facile de lâcher prise sur des Mêmes de passage que sur un ego réel, solide et permanent. C'est bien plus facile de laisser le déboutonneur de Mêmes faire son boulot si vous savez que tout ce qu'il fait, c'est de déboutonner des Mêmes.

Un autre de mes kôans est tombé face aux Mêmes. Q.: Qui te mène?". R.: Les Mêmes, évidemment." Il ne s'agit pas là d'une simple réponse intellectuelle, mais d'une façon de se voir comme une construction temporaire transitoire. La question se dissout lorsque le soi et le conducteur sont tous deux vus comme des Mêmes.

Il m'a fallu faire un long détour pour répondre à mes questions, mais j'espère que vous pouvez maintenant comprendre mes réponses. "De quoi c'est qu'il faut qu'on se réveille?" - "Du rêve des Mêmes, évidemment." - "Et comment?" - "En constatant que c'est un rêve de Même".

Et qui c'est qui laisse le déboutonneur de Mêmes faire son truc? Qui c'est qui se réveille quand le rêve des Mêmes est démantelé? Ah, en voilà une question.

(Fin)

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>Sandeep:

>D'abord, pour moi les Mêmes ne sont rien d'autres que les "conditionnements" concrétisés.

>Et c'est là, dans cette dernière phrase, que la Science s'arrêtera toujours, parce qu'elle a alors besoin d'observer l'observateur.

>Quand l'observateur est l'observé, il n'y a plus d'observation et sans observation, il n'y a plus de science.

>C'est-à-dire, ahhhhaaaaaaaa

>

>Cheers

>Sandeep


Pour lire la version originale en anglais, cliquer ici.

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