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© Nanabozho (le Grand Lapin)
Mise à jour de cette version française : 11 août 2015

 


 

Versione italiana

 

robert pirsig

Pirsig et Lila :

Parlons d'un livre américain, le second de l'auteur de "le Zen et l'art de l'entretien de la motocyclette". Ce livre, intitulé "Lila" (Lila étant un mot sanscrit, tiré des Védas, qui a le sens de "Jeu cosmique", attitude de l'univers manifeste provenant du joyeux jeu amoureux et des aventures créatives du divin. Vous voyez le programme!), comporte des pistes fascinantes dans le cadre d'une compréhension morale des choses.

En effet, une partie conséquente de sa thèse est que notre mode linguistique d'analyser le monde par sujets et objets nous fait perdre de vue tout un pan de la réalité, que sont les valeurs. Et que les valeurs sont l'unique réalité.

En fait, il part d'une étude de l'anthropologie où il découvre que les anthropologues tendent à passer à côté de certains phénomènes parce qu'ils négligent les valeurs de ces groupes humains qu'ils étudient. Et ceci à cause de leur prétention à la scientificité. Qu'est-ce qu'une valeur culturelle ? Comment va-t-on démontrer scientifiquement qu'une certaine culture a certaines valeurs? La science n'a pas de valeurs. Pas officiellement. Mais l'argument à l'effet que les valeurs sont vagues et ne devraient donc pas être utilisées pour la classification primaire est faux. Il n'y a rien de vague à propos des jugements de valeur. Lorsqu'un électeur entre dans l'isoloir, il fait un jugement de valeur. Est-ce qu'une élection n'est pas une activité culturelle? Qu'y a-t-il de si vague dans la Bourse? Ne traitent-ils pas de valeurs? Et pensons au Trésor Public; qu'y a-t-il en ce monde de plus spécifique que l'impôt sur le revenu? Les valeurs ne sont en rien vagues lorsqu'on a affaire à elles en termes d'expérience réelle.

Dans la thèse de Pirsig, la valeur n'est pas une sous-espèce de substance. C'est la substance qui est une sous-espèce de valeur. Lorsqu'on renverse le processus de circonscription, et qu'on définit la substance en termes de valeurs, le mystère disparaît : la substance est un "modèle stable de valeurs organiques". Le problème disparaît donc. Le monde des objets et celui des valeurs est unifié.

"Dire que 'A est cause de B' ou dire que 'les valeurs de B conditionnent A', c'est du pareil au même. La différence n'en est une que de mots. Au lieu de dire: 'l'aimant A est cause que la limaille de fer se dirige vers lui', vous pouvez dire; 'la limaille de fer a une valeur qui se dirige vers l'aimant'. Scientifiquement parlant, aucune de ces affirmations n'est plus vraie que l'autre. Cela peut avoir l'air un peu gauche, mais il s'agit d'une affaire d'habitude linguistique, pas de science. On modifie le langage utilisé pour décrire les données, mais pas les données scientifiques elles-mêmes. "

Il divise donc son système entre valeurs dynamiques et valeurs statiques, ces dernières étant nécessaires à la stabilisation des premières, qui elles mêmes sont essentielles pour permettre l'évolution et empêcher que les valeurs statiques se sclérosent. Puis, il divise les modèles statiques de valeurs en quatre systèmes: modèles inorganiques, modèles biologiques, modèles sociaux et modèles intellectuels. La liste est exhaustive. Il ne manque aucune "chose". Seule la Qualité Dynamique, qui ne peut pas être décrite dans une encyclopédie, est absente.

Il résout ainsi l'ancienne énigme de l'esprit et de la matière. La "matière", c'est des modèles statiques inorganiques et biologiques. L'"esprit," c'est des modèles statiques sociaux et intellectuels. Chacun de ces quatre niveaux est à la base de l'autre, mais en reste indépendant. Ce qui l'amène à résoudre la vieille controverse du déterminisme et du libre arbitre. En effet, les jugement moraux sont essentiellement des assertions de valeurs, et si les valeurs sont la matière fondamentale dont est fait ce monde, alors les jugements moraux sont la matière fondamentale dont est fait ce monde.

"Même au niveau le plus fondamental de l'univers, les modèles statiques de valeurs et les jugements moraux sont identiques. Les 'Lois de la Nature' sont des lois morales. Bien sûr, au début ça a l'air bizarre, gauche et inutile de dire que l'hydrogène et l'oxygène forment l'eau parce que c'est la chose morale à faire. Mais ce n'est pas plus bizarre, gauche et inutile que de dire que les professeurs de chimie fument la pipe et vont au cinéma parce que les irrésistibles forces de causalité du cosmos les forcent à le faire. Par le passé, la logique était que les professeurs de chimie sont composés exclusivement d'atomes et que si les atomes ne suivent que les lois de causalité, donc les professeurs de chimie doivent suivre eux aussi les lois de causalité. Mais on peut renverser cette logique. On peut tout aussi bien déduire la moralité des atomes de l'observation que les professeurs de chimie sont, en général, moraux. Si les professeurs de chimie exercent un choix, et si les professeurs de chimie sont composés exclusivement d'atomes, il s'ensuit que les atomes exercent eux aussi un choix. La différence entre ces deux points de vue est philosophique, pas scientifique. La question de savoir si un électron fait une certaine chose parce qu'il le doit, ou parce qu'il le veut n'est absolument pas pertinente par rapport à la donnée de ce que fait l'électron.

"De sorte que ce qu'il était en train de dire, c'est que ce n'est pas que la vie, mais absolument tout, qui est une activité éthique. Ce n'est rien d'autre. Lorsque les modèles inorganiques de réalité créent la vie, (il) postule qu'ils l'ont fait parce que c'est 'mieux', et que cette définition de la 'méliorité' -- ce début de réaction à la Qualité Dynamique -- est une unité élémentaire de l'éthique sur laquelle on peut établir le bien et le mal."

Bref, selon sa théorie, un code de moralité est ce qui gère les rapports d'un niveau avec le niveau inférieur. Il y a une moralité qu'on appelle "lois de la nature", par laquelle les modèles inorganiques triomphent du chaos; il y a une moralité appelée "loi de la jungle" dans laquelle la biologie triomphe des forces inorganiques de la faim et de la mort; il y a une moralité où les modèles sociaux triomphent de la biologie, "la loi"; et il y a une moralité intellectuelle qui lutte toujours dans ses tentatives pour contrôler la société. Chacun de ces ensembles de codes moraux n'est pas plus apparenté à l'autre que les romans ne le sont au papier et à l'encre ou aux bascules électroniques des ordinateurs.

Bref, un livre prodigieusement intéressant et qui ouvre des pistes remarquables. Ce livre est désormais disponible en français aux éditions Points, et j'espère que mon résumé n'était pas trop maladroit.

Mxl



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