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Théorie des quatre vues
ou trois philosophies et une réalité
Une collection de conférences de maître Gudô Nishijima
©Windbell Publications
La théorie des Quatre Vues
[Cet essai a été écrit à l'origine pour préparer une série de conférences données par le Rév. G. Nishijima à San Francisco à l'automne de 1986]
La théorie centrale du Bouddhisme.
La théorie bouddhiste est un vaste système philosophique. Il est donc pour cette raison impossible de survoler l'ensemble des nombreuses théories en une seule conférence. Pourtant, j'aimerais commencer par expliquer la plus importante de ces théories, une théorie au coeur de toute la pensée bouddhiste. Il s'agit de la théorie des Quatre Vues; mon interprétation des mots sanscrits catvary aryasatyani. On traduit habituellement cette expression par 'Quatre Nobles Vérités'.
Les Quatre Nobles Vérités
Les écritures bouddhiques nous disent qu'après que le Bouddha Gautama ait atteint à la vérité, il voulut enseigner à d'autres ce qu'il avait appris. Mais il éprouva aussi des doutes à savoir si les gens seraient capables de comprendre cette théorie à cause de sa complexité. La tradition nous rapporte qu'un dieu du ciel l'encouragea vivement à donner son premier sermon, et c'est ainsi qu'il commença. Son premier sermon fut prêché à ses cinq anciens compagnons d'ascétisme. On nous rapporte qu'à l'occasion de ce sermon, il prêcha les Quatre Nobles Vérités, ou, dans ma version, la Théorie des Quatre Vues, ainsi que la Voie Médiane. C'est pour cette raison que nous pensons que ces deux enseignements sont les théories centrales du Bouddhisme. Comprendre ces théories, c'est comprendre le noyau du système philosophique bouddhiste. Malheureusement, les gens qui étudient le Bouddhisme de nos jours n'ont pas cette chance, en particulier dans les pays occidentaux.
L'interprétation traditionnelle
Traditionnellement, catvary aryasatyani, ou les Quatre Nobles Vérités, sont:
Duhkha-satya - La Vérité de la Souffrance
Samudaya-satya - La Vérité des Agrégats (L'Origine de la Souffrance)
Nirodha-satya - La Vérité de la Clôture ou de l'Assujettissement (La Destruction de la Souffrance)
Marga-satya - La Vérité de la Voie Correcte
A l'adolescence, je lisais des choses sur les Quatre Nobles Vérités dans des livres bouddhistes, mais je n'arrivais pas à comprendre ce dont cela parlait. De sorte que ces quatre vérités, dont on disait qu'elles étaient le coeur du Bouddhisme lui-même, étaient devenues un obstacle, une pierre d'achoppement dans mes efforts pour étudier le Bouddhisme. Si on regarde les écritures anciennes, par exemple, le Canon Pâli de l'école Theravada, on peut y trouver des explications traditionnelles du sens de ces Quatre Nobles Vérités. On y explique que la Vérité de la Souffrance signifie que toutes choses et événements en ce monde sont souffrance; que la Vérité des Agrégats signifie que toute souffrance dérive du désir humain; que la Vérité de la Clôture ou de l'Assujettissement signifie que nous devons détruire nos désirs; et que la Vérité de la Voie Correcte signifie qu'ayant détruit nos désirs, nous pouvons trouver la bonne voie.
Mais je ne trouve aucun sens réel à ces explications, peu importe l'effort que j'y mette. Si toutes choses et événements en ce monde sont souffrance, alors le Bouddhisme est au mieux une religion dogmatique et pessimiste. Si toute souffrance résulte du désir de l'humain, alors le Bouddhisme ne peut être rien de mieux qu'une forme d'ascétisme. Si l'idée de détruire tous nos désirs était une idée bouddhiste, alors le Bouddhisme serait une religion qui proposerait l'impossible; car il est absolument impossible que nous puissions détruire nos désirs. Le désir est la base-même de notre existence humaine.
La Vérité de la Voie Correcte est de plus expliquée comme Octuple Noble Sentier : vue juste, pensée juste, discours juste, comportement juste, vie juste, effort juste, état physique juste et état d'esprit juste. Mais je n'arrive pas à trouver de rapport entre cette quatrième vérité et les trois autres.
Le Shôbôgenzô et les Quatre Vues
A dix-huit ans, j'ai trouvé un livre appelé le Shôbôgenzô. Il avait été écrit au treizième siècle par le fondateur de l'école de Bouddhisme au Japon qui est basée sur la pratique de Zazen. Son nom était Maître Dôgen. J'ai trouvé le Shôbôgenzô presque impossible à lire à cette époque, et j'étais stupéfié de me trouver incapable de comprendre un livre écrit en Japonais. Mais, quoique je n'arrivais pas à le comprendre, j'avais le sentiment que le livre pouvait contenir des choses importantes et précieuses. Ceci a été le début de ce qui devait devenir quarante ans d'étude. Et lorsqu'enfin j'ai pu comprendre le sens du Shôbôgenzo, j'ai aussi compris clairement pourquoi je l'avais si longtemps trouvé si difficile. Le livre lui-même est composé de nombreuses affirmations contradictoires, et ça le faisait sembler illogique. Mais après l'avoir lu et relu à plusieurs reprises, j'ai trouvé que le Shôbôgenzô est en fait construit de manière très particulière : il utilise un système d'expression particulier.
Maître Dôgen exprime ses idées dans le Shôbôgenzo en se basant sur un schéma en quatre phases. D'abord, il explique le problème d'un point de vue idéaliste; c'est à dire une idée qui utilise des concepts abstraits. Puis, immédiatement après cette première phase, il explique le même problème, mais cette fois à partir d'un point de vue objectif, ou matériel. En d'autres mots, il donne des exemples concrets et des faits. Puis, dans la phase suivante, il explique le problème une troisième fois encore en tant que problème réel; c'est-à-dire, en pensant de façon réaliste. Evidemment, il ne peut expliquer la réalité circonstante au problème avec des mots dans un livre, mais il y arrive en juxtaposant le point de vue subjectif qu'il présente d'abord, puis le second point de vue objectif. IL synthétise les deux points de vue en une évaluation réaliste du problème; une synthèse du soi et du monde extérieur. Et dans la phase finale, il tente de suggérer la subtile et ineffable nature de la réalité elle-même en utilisant des formes de discours symboliques, poétiques ou figuratives.
Le Shôbôgenzô est plein de ces explications en quatre phases. Les chapitres eux-mêmes tombent dans quatre catégories: théorique, objective, réaliste, et symbolique, figurative ou poétique. Le contenu des chapitres est également divisé de la même manière, et même le contenu des paragraphes individuels suit le même schéma. En général, une explication théorique ou subjective et une explication matérialiste ou objective du même problème seront toujours contradictoires. Egalement, une explication réaliste semblera venir en contradiction avec les deux points de vue subjectif et objectif. Et la situation réelle elle-même est à son tour différente de l'explication réaliste qui est donnée. De sorte que lorsque nous lisons le Shôbôgenzô, nous sommes sidérés par ce qui apparaît être de grossières contradictions logiques. c'est là une des raisons pour lesquelles le livre est si difficile à comprendre. Il a l'air plein d'idées conflictuelles.
Cependant, après avoir lu et relu le livre de Maître Dôgen, je me suis habitué à cette façon particulière de penser les choses. Il discute tous les problèmes à partir de trois points de vue, subjectif et théorique, objectif et matériel, et réaliste. Il insiste ensuite sur les différences entre ces trois points de vue et le situation réelle elle-même. En utilisant cette méthode, il peut expliquer la réalité d'une situation de façon très claire et logique. Il croit que la chose la plus importante, c'est de voir ce qu'est la réalité elle-même; et dans le même temps, il se rend compte d'à quel point il est impossible de se servir de la parole écrite.
De sorte que ce schéma ou système logique unique est la façon qu'à Maître Dôgen de nous suggérer ce qu'est la réalité. Et je crois que la méthode de Maître Dôgen est en fait une façon très réaliste d'exposer la réalité. Je trouve que les idées de Maître Dôgen sont très réalistes et je trouve aussi que le Bouddhisme est une religion de la réalité.
Je me suis ensuite rappelé les Quatre Nobles Vérités qui m'avaient tellement abattu. Je ne pouvais m'empêcher de voir un lien entre le schéma en quatre phases dans les oeuvres de Maître Dôgen et les Quatre Nobles Vérités. Puis je me suis mis à penser qu'il était possible que la plus grande contradiction que le Bouddha Gautama avait eu à affronter dans sa pensée devait avoir été entre la pensée subjective, idéaliste de la religion traditionnelle de l'Inde, et les philosophies objectives, matérialistes des six grands philosophes qui étaient populaires en Inde à son époque.
J'ai donc pensé que la solution du Bouddha Gautama à cette contradiction avait été cette découverte que nous vivons en fait dans la réalité; non pas, ainsi que tendent à le croire les idéalistes, dans un monde d'idées, ou ainsi que le pensent les matérialistes, dans un monde de matière objective exclusivement. Le Bouddha Gautama a établi sa propre philosophie sur le fait que nous vivons dans le monde vivace de l'existence momentanée, dans le monde réel lui-même. Mais exprimer ce monde réel en mots est impossible. C'est pourquoi il a utilisé une méthode qui réunissait les deux points de vue philosophiques fondamentaux en un tout synthétique. Et le système philosophique qu'il a ainsi construit est le système philosophique bouddhiste. Mais, en même temps, il s'est rendu compte que la philosophie n'est pas la réalité; elle n'est qu'une discussion sur la nature de la réalité. Il avait besoin d'une méthode grâce à laquelle les gens pourraient voir directement ce qu'est la nature de la réalité. Cette méthode, c'est Zazen, une pratique qui était déjà traditionnelle en Inde depuis des temps très anciens. Le Bouddha Gautama a découvert que lorsque nous nous asseyons dans cette posture traditionnelle, dans le calme, nous pouvons voir directement ce qu'est la réalité. Il a donc recommandé à ses disciples de le pratiquer tous les jours.
C'est ainsi que j'ai trouvé ma nouvelle interprétation des Quatre Nobles Vérités, je me suis dit que duhkha-satya, ou la Vérité de la Souffrance, était l'ancienne façon indienne d'exprimer la philosophie idéaliste. Lorsque nous sommes pleins d'idéaux et anxieux de réaliser ces idéaux, nous souffrons invariablement de notre incapacité à les réaliser.
Je me suis dit que samudaya-satya ou la Vérité des Agrégats pouvait en fait renvoyer aux agrégats de paramanu, le mot sanscrit pour la plus petite particule de matière en existence &emdash; l'atome. La Vérité des Agrégats renverrait donc à une science primitive de la matière, la philosophie du matérialisme telle qu'elle existait à cette époque.
J'ai ensuite interprété nirodha-satya, la Vérité de la Clôture, en tant que synthèse dialectique; une négation de l'idéalisme et du matérialisme.
Au dernier niveau, les philosophies ne peuvent jamais être la réalité elle-même, le Bouddha Gautama a constaté ce fait. C'est ainsi que marga-satya, la Vérité de la Voie Correcte est sa recommandation de pratiquer Zazen.
D'où mon interprétation, qui donne quatre vérités : l'idéalisme, le matérialisme, le réalisme et la réalité elle-même. Cette quadruple structure fondamentale est de grande importance, si l'on veut comprendre la théorie bouddhiste. Le Bouddha Gautama croyait que l'idéalisme est la pensée humaine à son premier stade, fondé sur un point de vue subjectif. Mais, en réaction à ce stade premier, surgit naturellement la pensée matérialiste. Ces deux points de vue sont toujours en conflit; ce que l'on peut voir à l'oeuvre dans tous les pays du monde civilisé. Le Bouddha Gautama a établi la religion du Bouddhisme pour transcender autant la pensée idéaliste que la pensée matérialiste. Le Bouddhisme synthétise le point de vue idéaliste avec le point de vue matérialiste afin d'obtenir le point de vue réaliste. Il recommande donc que nous pratiquions Zazen afin de réaliser cette synthèse ainsi que le Bouddhisme.
Je crois que cette série de points de vue philosophique; c'est-à-dire idéalisme, matérialisme, réalisme et réalité, représentent la théorie la plus importante du Bouddhisme, théorie que tous, partout dans le monde, peuvent utiliser afin d'observer et de régler leurs vies et leur rôle dans la société.
Un exemple concret d'idéaliste serait une personne qui souffrirait toujours de la frustration que lui causerait l'incapacité à atteindre ses idéaux. Un matérialiste souffre de son incapacité à trouver un sens quelconque à sa vie, au delà des plaisirs des sens. On peut dire que l'idéaliste ferait mieux d'étudier le monde qui l'entoure au moyen de ses sens, et que le matérialiste bénéficierait de son devenir un peu idéaliste. De la sorte, tous deux peuvent trouver une synthèse entre les deux états, ce qui est l'état bouddhiste. Lorsque les gens rencontrent l'attitude réaliste face à la vie que leur propose le Bouddhisme, ils peuvent eux-mêmes penser, ressentir, agir et vivre de façon réaliste. Ceci rendra leurs vies plus satisfaisantes que la vie d'un idéaliste ou d'un matérialiste.
Dans le domaine de la science, le Bouddhisme croit en l'harmonie entre science et religion. Jusqu'à la fin du Moyen-Age, les religions spirituelles ont eu une prise très forte. Mais, à l'époque moderne, la croyance dans les religions spirituelles est devenue toujours plus faible, vaincue par les découvertes de la science moderne. Il ne s'agit pas là d'une situation stable. Evidemment, la connaissance scientifique est vitale pour nos vies. Mais elle ne doit pas nous amener à nier ce qui doit encore être découvert par la science. La plupart des gens n'évaluent pas bien ce fait; ils croient qu'il est inconsistant de croire autant en la science qu'en la religion.
Le Bouddhisme nous apporte une excellente solution à ce problème: dans la théorie bouddhiste des Quatre Vues, la religion spirituelle est la première étape dans le progrès de la pensée humaine, et la science est la seconde étape. Dans le domaine de la pensée intellectuelle, ces deux étapes sont fondamentalement contradictoires. Mais le Bouddhisme dit que ces étapes ne sont que des visages différents d'une seule et même réalité. Il n'y a aucune raison fondamentale pour qu'un scientifique ne puisse croire en une religion, lui aussi. Le point de vue bouddhiste, c'est que les gens doivent chercher une nouvelle religion qui ne soit pas contradictoire avec la connaissance scientifique. Si l'on considère les choses de façon réaliste, il est possible de trouver une croyance qui synthétise la religion spirituelle et la vérité scientifique. Cette croyance est une nouvelle religion. Pour établir cette nouvelle religion, nous pratiquons Zazen.
Au cours de notre vie quotidienne, les Quatre Vues peuvent être d'un grand secours pour résoudre les vrais problèmes. Par exemple, supposons qu'en tant qu'homme d'affaires je désire construire une nouvelle usine. Si nous étudions d'abord le projet sur une base théorique, à partir des rapports d'autrui et de livres de référence, nous obtiendrons une image, une image idéale de notre usine telle que nous la voulons. Si nous devions partir droit devant et ne construire notre usine que sur la base de notre idée, nous irions probablement à l'échec. Ceci parce que notre image idéale de ce que nous voulons ne correspond pas à la situation réelle.
Il nous faut passer à une considération plus objective et pratique des problèmes en question. Combien coûtera le terrain? qu'en sera-t-il du raccordement à l'eau et à l'électricité? Comment est le marché du travail à cet endroit? Quel est la moyenne des salaires dans cette zone? Comment peut-on lever un capital suffisant? Les réponses à ces questions pratiques nous donneront un tableau plus réaliste de notre projet.
Avec notre image, nous pouvons donc aller de l'avant afin de tirer un plan d'action réaliste; une synthèse de notre idée de départ et de notre recherche concrète. Notre plan d'action peut être bien éloigné de notre idée de départ. Mais c'est probablement le plan qui ait le plus de chances de marcher dans la pratique. En même temps, ce n'est qu'un plan; ce n'est pas encore l'usine elle-même.
A la fin, il nous faut agir; il faut que nous avancions et que nous commencions à construire notre usine. Lorsque nous le faisons, nous découvrons que le travail réel au quotidien est totalement différent de nos projets et que nous rencontrons de nombreux problèmes imprévus. C'est parce que même notre projet soigneusement préparé appartient encore à l'aire de la pensée. L'usine que nous construisons appartient au monde réel. Dans le monde réel, il faut que nous passions par de nombreuses épreuves et de nombreux ennuis. Et c'est au travers de ces épreuves et de ces erreurs que l'usine réelle sort lentement de terre. la série des étapes du projet; la phase idéaliste, l'étape objective, l'étape de la planification, et l'étape pratique elle-même se retrouvent toujours dans la vie de tous les jours.
Lorsque nous reconnaissons la nécessité de cette série d'étapes dans notre pensée, nous pouvons généralement réussir. Tant qu'ils ne prendront pas conscience de cette progression à travers les quatre stades, les idéalistes se planteront parfois à cause de leurs idéaux forts et souvent héroïques. Et ceux qui sont trop objectifs, sans idéaux se planteront aussi parce que leur analyse objective de tous les pièges possibles les rendra trop précautionneux. Ils peuvent hésiter par crainte de l'échec. Certains, de plus, sont trop braves, trop idéalistes. Et d'autres sont trop timorés, trop objectifs. C'est pour éviter d'être ou trop braves ou trop timorés que nous pratiquons Zazen.
Dans le Shôbôgenzô, Maître Dôgen dit: «Pratiquer Zazen est la totalité du Bouddhisme, et le Bouddhisme n'est que la pratique de Zazen». De sorte que, du point de vue ultime, la pratique de Zazen est le but de nos vies. Zazen n'est pas seulement une façon de rencontrer le succès dans nos vies, il est l'Eveil lui-même. Pratiquer Zazen est notre salut. Zazen est notre repos. C'est la vie. C'est la Vérité-même. La pratique de Zazen nous permet de rassembler nos idéaux, nos objectifs et nos plans réalistes en un tout synthétisé.
© Windbell Publications 1992
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