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Cette page a été mise à jour le 1 février 2005

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Les enseignements de Gudo Wafu Nishijima Rôshi

Théorie des quatre vues
ou trois philosophies et une réalité

Une collection de conférences de maître Gudô Nishijima

©Windbell Publications

L'Action dans le Bouddhisme I

Aujourd'hui, je voudrais parler de la philosophie de l'action. J'imagine que lorsque les gens entendent cette phrase, ils doivent se demander ce qu'elle signifie!

Au cours des conférences précédentes, j'ai expliqué le sens de l'esprit et de la matière dans le Bouddhisme, ainsi que l'attitude bouddhiste envers les philosophies idéalistes et matérialistes. Lorsqu'on entend parler d'idéalisme ou de matérialisme, on peut comprendre d'emblée ce qu'ils sont, parce que nous avons suffisamment d'exemples de philosophies matérialistes et idéalistes dans la pensée occidentale. Dans la Grèce ancienne, on a les philosophies de Platon et d'Aristote, dont on dit qu'elles appartiennent à l'école de pensée idéaliste. En même temps, on a Démocrite qui était typiquement un philosophe matérialiste.

A l'époque médiévale, on peut trouver des théologies d'origine chrétienne, qui se divisent en deux courants distincts: réalisme et nominalisme. En termes modernes, le nominalisme appartient à l'école matérialiste et le réalisme à l'idéalisme.

Dans l'histoire récente de la pensée occidentale, on peut trouver de nombreux exemples des deux types de philosophies: les idéaliste, Kant et Hegel, par exemple. Ou Feuerbach et Marx, qui sont des matérialistes. Lorsque nous penser à la raison pour laquelle ces deux écoles philosophiques ont dominé tout le reste dans la pensée occidentale, nous devons arriver à la conclusion que, la condition humaine étant considérée avec le seul intellect, il nous faut choisir entre être idéaliste ou matérialiste; il n'y a pas d'autre choix. On peut dire que les êtres humains ne peuvent penser les problèmes philosophiques qu'à partir de ces deux points de vue. Cela semble être la conclusion naturelle lorsque nous nous rappelons que nous pensons normalement à un problème d'abord en esprit, en tant que proposition mentale, avant de l'examiner en relation au monde extérieur de la matière. La tendance humaine à donner de la valeur à l'intellect signifie généralement que nous considérons les problèmes d'abord de façon idéaliste, et ensuite de façon matérialiste.

Lorsque nous faisons l'expérience d'une zone extérieure à l'aire de la pensée ou de l'intellect, tout un monde nouveau apparaît. C'est le monde extérieur, ou monde matériel. Nous pouvons donc classer deux mondes distincts: le monde de l'esprit et le monde de la matière. C'est ainsi qu'on tend à considérer le monde à partir de l'esprit; nous avons le sentiment qu'il existe un monde mental à l'intérieur de nos têtes, et un monde physique au dehors. Les civilisations occidentales sont hautement intellectuelles et c'est là qu'ont surgi deux systèmes philosophiques excellents et distincts fondés sur ces deux conceptions: idéalisme et matérialisme.

Mais, en même temps, ces deux systèmes philosophiques sont condamnés à être pour toujours en conflit l'un avec l'autre. et la race humaine cherche une réponse à ce conflit depuis des milliers d'années. Mais il s'est révélé impossible aux philosophes de trouver une voie qui soit distincte autant de l'idéalisme que du matérialisme et qui leur permettrait de considérer les problèmes de nos vies d'un autre point de vue non conflictuel. Ce qui fait que l'humanité souffre des effets de ce conflit entre idéalisme et matérialisme et n'arrive pas à trouver une solution.

Il y avait exactement le même conflit dans l'Inde antique. La religion idéalisme qu'était le Brahmanisme et les enseignements matérialistes des Six Enseignants non-bouddhistes étaient constamment en guerre. Cette situation devint claire pour le Bouddha Gautama, et il s'en est soucié. Il s'est soucié du fait que les êtres humains ne trouveraient jamais la solution à ce confit constant &emdash; comment pourraient-ils jamais trouver un état paisible dans lequel vivre leurs vies. Le problème fondamental, c'est que dans nos têtes, nous sommes convaincus que nos idées sont la vérité &emdash; ou, à l'inverse, que nos perceptions sont la vérité. Il est impossible de prouver laquelle de ces deux positions est vraie: que nos idées sont toujours correctes ou que nos perceptions du monde sont la réalité.

Le Bouddha Gautama a trouvé la solution à ce problème sans âge. Il a découvert la philosophie de l'action. La seule explication claire de la philosophie de l'action se trouve dans un livre écrit au XIII° siècle par un moine bouddhiste, Maître Dôgen. J'ai commencé à l'étudier quand j'étais jeune, et au début je comprenais à peine ce que je lisais. Mais après de nombreuses années, étant arrivé à comprendre complètement le Shôbôgenzô, j'ai également découvert ce qui le fait apparaître si difficile à comprendre &emdash; il porte sur la philosophie de l'action. On ne peut comprendre cette philosophie en suivant nos habitudes de pensée, et elle semble donc incroyablement difficile. Mais si nous comprenons ce qu'est la philosophie de l'action, nous pourrons résoudre le conflit entre idéalisme et matérialisme. Je voudrais donc aujourd'hui vous en dresser un schéma.

Dans la pensée occidentale, on peut trouver une méthode de raisonnement spécifique, qu'on appelle la dialectique. Le philosophe grec Platon utilisait cette méthode dans plusieurs de ses livres, en ayant une discussion entre deux personnes sur le problème qu'il voulait exposer. Il a trouvé cette méthode &emdash;cette dialectique &emdash; très utile pour présenter des problèmes philosophiques complexes, ainsi que bien d'autres jusqu'au philosophe moderne Hegel. L'usage que fait Hegel de la dialectique est connu en tant qu'idéalisme dialectique. Karl Marx a aussi utilisé la dialectique pour expliquer le matérialisme. Sa méthode philosophique est connue sous le nom de matérialisme dialectique.

Ainsi, le raisonnement dialectique a été employé pour étayer les conclusions des deux philosophes, l'idéaliste comme le matérialiste. Mais j'ai trouvé, en lisant le Shôbôgenzô que la dialectique peut aussi être utilisée pour signaler une solution au conflit Idéalisme-Matérialisme. Dans son Shôbôgenzô, Maître Dôgen insiste beaucoup sur nos actions &emdash; sur ce qu'est notre conduite réelle. Autant l'idéalisme que le matérialisme appartiennent à l'aire de l'intellect: ils existent dans notre cerveau. Mais la vie elle-même n'existe pas en tant que pensée intellectuelle: elle est très réelle. Donc, pour vraiment découvrir le sens de notre vie, nous faut quitter l'aire intellectuelle. C'est le secret de la philosophie bouddhique. Si on veut étudier le Bouddhisme, il nous faut laisser la pensée intellectuelle derrière nous.

Voir ce que nos actions elles-mêmes sont réellement, considérer la pratique et la conduite sont très importants pour résoudre ce conflit entre idéalisme et matérialisme. C'est cette philosophie que Maître Dôgen expose dans son Shôbôgenzô. C'est une philosophie basée sur nos actions. L'action est la rencontre entre l'esprit et le monde extérieur. Ainsi, en ce sens, l'action est autant subjective qu'objective, tout à la fois. L'idéalisme est la philosophie du sujet, le matérialisme est la philosophie de l'objet et la philosophie de l'action est celle de sujet et de l'objet. L'action est ce contact entre le monde mental et le monde physique et ainsi elle existe instantanément, toujours au moment présent.

Nous avons une image mentale du temps comme d'une ligne qui s'étendrait du passé à travers le présent, jusqu'au futur. Mais quand on étudie ce qu'est l'action, nous traitons toujours du moment présent. Le temps de l'action est donc maintenant, et son lieu est simplement l'endroit où nous sommes en ce moment: ici. Dans le Shôbôgenzô, Maître Dôgen utilise le mot chinois shari pour suggérer cet endroit, et le mot japonais nikon pour exprimer le moment présent. Il construit sa philosophie de l'action sur la base de l'ici et maintenant. Il explique que notre vie n'est pas seulement une expérience mentale, pas seulement une expérience physique, mais quelque chose qui est réel en soi.

Lorsqu'on examine les problèmes philosophiques d'un point de vue intellectuel, on s'aperçoit qu'il est impossible de trouver une quelconque solution au conflit entre les idéalistes, ou point de vue spirituel, et les matérialistes, ou point de vue scientifique. Mais Maître Dôgen se sert de la méthode dialectique pour synthétiser ces deux points de vue différents. Si on n'utilise pas ces deux points de vue opposés à la fois, on ne peut pas expliquer la philosophie de l'action; il nous faut l'idéalisme autant que le matérialisme. Il nous faut aussi la méthode dialectique.

Bref, si nous considérons les problèmes autant du point de vue idéaliste que du point de vue matérialiste, et que nous utilisons ensuite la méthode dialectique pour synthétiser les deux vues opposées, nous pouvons trouver la philosophie de l'action. Nous pourrons alors comprendre le sens véritable de notre vie. Donc, si nous voulons comprendre la philosophie de l'action, et si nous voulons réaliser l'état bouddhique, l'étude de l'idéalisme et du matérialisme dans la pensée occidentale devient d'importance capitale. Pour comprendre le sens véritable de la vie, il nous faut la philosophie de l'action. Pour trouver ce qu'est cette philosophie, il nous faut utiliser la méthode dialectique pour unir les points de vue opposés de l'idéalisme et du matérialisme. C'est pour cette raison que nous étudions le Shôbôgenzô: pour étudier ce qu'est la philosophie de l'action, et pour l'utiliser afin de résoudre les problèmes de notre vie en tant que bouddhistes.

La philosophie de l'action semble être un concept étrange pour les gens de notre époque, mais la comprendre peut nous aider à comprendre le sens véritable de nos vies.

Y a-t-il des questions?

&emdash;Qu'entendez vous par méthode de la dialectique?

Certains idéalistes croient que l'âme existe vraiment; que si on prend soin de notre être spirituel, nous serons toujours heureux. Mais dans le vrai monde, même si on prend soin de son côté spirituel, si on n'a rien à manger, on ne sera pas heureux. D'autres n'arrivent pas à croire en la suprématie de l'âme; ils adoptent donc un point de vue matérialiste de la réalité; ils croient que la matière est la base du monde réel. De la sorte, il y en a qui croient en la suprématie de l'âme, et d'autres que la matière est la racine de tout. ces deux points de vue ne pourront jamais se rencontrer. Aucun compromis n'est possible entre eux.

Mais si nous pensons le problème d'un point de vue réaliste, si nous n'avons rien à manger, nous ne pourrons continuer à vivre. Mais quand nous mangeons quelque chose pour satisfaire notre faim, nous nous sentons mieux, et nous pouvons ensuite ressentir quelque chose qu'on appelle l'âme. Ainsi, considéré purement du point de vue académique, il n'y a pas de réponse, mais considéré de façon réaliste, on trouve la solution du dilemme au cours de notre vie de tous les jours. Nous devons travailler pour manger. En même temps, manger ne peut en soi être un but pour l'existence. Nous recherchons de la valeur dans ce que nous faisons. Manger ne nous donnera pas cette valeur, ce but. Mais à moins que nous mangions, nous ne pourrons jamais arriver à notre but de réussir quelque chose de valeur. La réalité n'est pas totalement spirituelle, pas plus qu'elle n'est complètement matérielle. En vivant, la chose la plus importante n'est de nature ni spirituelle , ni matérielle. La chose la plus importante, c'est la réalité elle-même dans laquelle nous vivons.

La supposition qu'il existe quelque chose appelé âme est une thèse. La négation de cette thèse qu'il y ait quelque chose appelée âme est une antithèse. Un point de vue réaliste est une synthèse de ces deux points de vue. On peut faire de semblables suppositions, négations et synthèses sur l'existence de la matière. La relation triangulaire entre thèse, antithèse et synthèse est la dialectique. En philosophie occidentale, Platon, Hegel et Marx ont tous utilisé la méthode dialectique. Elle est très utile pour examiner les problèmes philosophiques.

Par exemple, tout le monde peut se trouver confronté à un conflit sur la morale, dans sa vie: qu'est-ce qui est bon, qu'est-ce qui est mauvais. La morale est au stade de la thèse. Il y a des idéaux que nous devrions chercher à atteindre pour rendre la vie meilleure. Mais la morale seule ne peut réussir à rendre les sociétés bonnes. Dans les sociétés réelles, les gens ne sont pas toujours bons. La conduite de nombreuses personnes est mauvaise, et c'est pour cela que les sociétés font des lois. Ceux qui enfreignent la loi sont punis. Les lois sont l'antithèse de la morale: elles nous lient sans nous laisser de liberté. Mais si les sociétés sont gouvernées par des lois trop rigides, nous perdons notre dignité humaine; nous n'avons aucune liberté à l'intérieur de laquelle nous puissions suivre notre code moral. La politique d'une société synthétise la morale et les lois. Les individus sont libres de choisir leurs propres représentants, et ces représentants font les lois. Ainsi la politique sociale permet aux gens la liberté tout en permettant à la société de se maintenir de façon paisible.

On peut utiliser cette méthode de dialectique triangulaire pour examiner tous les problèmes philosophiques. Et l'utiliser nous permet de résoudre le conflit entre les points de vue opposés des idéalistes et des matérialistes. L'idéalisme construit la thèse. Le matérialisme amène l'antithèse. Et la philosophie de l'action explique comment synthétiser les deux aspects. C'est la relation entre les trois points de vue et le sens de la méthode dialectique.

&emdash;Comment trouvons-nous ce troisième point de vue? Pourquoi ne puis-je mettre une autre philosophie à la troisième position?

Si on veut se défaire de la pensée intellectuelle, il nous faut agir, faire l'expérience de quelque chose. Le Bouddhisme nous dit de pratiquer, d'expérimenter. C'est pour ça que le Bouddhisme recommande la pratique de Zazen. Avec la pratique et l'expérience, on peut trouver une autre aire à côté de l'aire intellectuelle. C'est ce secret que détient le Bouddhisme. C'est pour ça que nous pratiquons Zazen.

&emdash;Vous dites que la méthode dialectique est une méthode de pensée triangulaire. Mais il m'est difficile de comprendre où émerge le troisième point. Est-ce que la méthode dialectique est le processus qui permet d'arriver au troisième point, ou... ?

Il nous faut quatre points de vue. On peut illustrer ceci avec un diagramme. D'abord, nous avons les philosophies idéalistes. Et, au même niveau, nous avons les philosophies matérialistes. Nous utilisons la méthode dialectique pour atteindre la troisième philosophie, la philosophie de l'action. Mais toutes trois appartiennent à l'aire intellectuelle. Il nous faut l'idéalisme et le matérialisme pour arriver à la philosophie de l'action. Ceci parce que la philosophie de l'action ressort du conflit entre idéalisme et matérialisme à l'aide de la méthode dialectique.

Mais la réalité elle-même existe hors l'aire de l'intellect, dans une aire différente d'aucune de ces trois philosophies. Mais en utilisant les trois points de vue, les trois philosophies, on peut suggérer l'existence du monde lui-même qui est en dehors de l'aire intellectuelle. C'est pourquoi le Bouddhisme fait usage des quatre points de vue pour expliquer la réalité. Donc, en résumé, on peut utiliser les deux philosophies fondamentales que sont l'idéalisme et le matérialisme afin d'entrer dans la philosophie de l'action avec l'aide de la méthode dialectique. Puis, grâce à ces trois points de vue, on peut réfléchir à quelque chose qui est différent de chacun de ces trois points de vue, c'est-à-dire la réalité elle-même. Nous ne pourrons jamais, avec notre intellect, saisir la réalité complètement. Mais nous pouvons suggérer la réalité à partir de ces trois points de vue.

Cependant, cette suggestion n'est pas la réalité elle-même. C'est pourquoi il faut que nous pratiquions Zazen. Lorsque nous pratiquons Zazen, nous sommes assis dans la réalité-même. Cette expérience est très importante pour réaliser le sens de notre vie. C'est la relation entre les quatre points de vue.

&emdash;Dans votre explication, vous dites que nous passons au troisième stade par l'action, ou plus complètement par Zazen. Vous l'avez aussi appelé 'réalité'. Vous n'êtes donc pas passé au quatrième stade?

Oui, Zazen appartient au quatrième stade. La philosophie de l'action est une explication de Zazen; ce n'est pas Zazen lui-même. Zazen appartient à la réalité elle-même. C'est la relation entre la philosophie de l'action et la réalité.

&emdash;Je n'arrive toujours pas à comprendre, parce que vous avez dit que nous atteignons le troisième stade par l'action.

J'ai dit que la philosophie de l'action peut être expliquée par la pensée dialectique en utilisant les deux philosophies fondamentales. Mais cette explication appartient toujours à l'aire de l'intellect; même la philosophie de l'action n'est qu'une philosophie &emdash; ce n'est pas la réalité. Mais elle peut suggérer l'existence de la réalité, de ainsi, en étudiant la philosophie de l'action, nous pouvons trouver la volonté de pratiquer Zazen.

 

 

 

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L'Action dans le Bouddhisme II

Aujourd'hui, je voudrais encore une fois parler de la philosophie de l'action et de sa relation avec les deux philosophies fondamentales que sont l'idéalisme et le matérialisme. Dans mon dernier cours, j'ai expliqué la relation entre les trois philosophies grâce à la méthode dialectique, mais la théorie de la dialectique étant assez difficile à comprendre, et certains d'entre vous ne sont pas arrivés à comprendre mes explications. Je voudrais donc expliquer à nouveau la philosophie de l'action, aujourd'hui.

La méthode dialectique est indispensable pour expliquer la philosophie de l'action, permettez-moi donc vous donner une explication plus détaillée de ce qu'elle est précisément. Le mot 'dialectique' vient du grec, 'dia' signifiant deux et 'lecton' signifiant discussion ou argument. Ainsi, 'dialectique' signifie à l'origine une discussion entre deux personnes. Cela suggère que que le résultat d'une discussion entre deux personnes apporte une conclusion qui n'est ni totalement l'opinion de l'un des participants, ni totalement celle de l'autre. A cause de ce simple fait, les philosophes croient que la discussion permet aux participants d'atteindre de nouvelles idées qu'aucune des deux parties n'avaient au préalable.

La méthode dialectique existait en philosophie grecque. Le plus fameux des philosophes grecs qui ait fait usage de la dialectique était Platon. Il a écrit de nombreux livres qui contiennent des discussions de problèmes philosophiques. Platon utilisait la discussion en tant que façon de présenter ses propres idées. En cela, il fut le premier philosophe à utiliser la méthode dialectique. Puis, au XVIII° et XIX° siècles, le fameux philosophe allemand, Friedrich Hegel se servit puissamment de la dialectique pour expliquer ses théories. sa philosophie est parfois appelée 'idéalisme dialectique', ou 'spiritualisme dialectique', parce que ses idées étaient fondées sur l'esprit ou âme. On peut dire que c'était un idéaliste.

Karl Marx, le fameux philosophe matérialiste faisait également usage de la dialectique. On appelle sa philosophie 'matérialisme dialectique'.

J'aimerais vous donner l'exemple d'une discussion entre deux personnes pour illustrer la dialectique. Une des parties à la discussion est un idéaliste et l'autre un matérialiste; appelons les Mr I. et Mr M.. Lorsque Mr I. et Mr M. discutent de quelque chose, leurs opinions sont toujours contradictoires. Par exemple, lorsqu'ils discutent le problème de la moralité, Mr I. explique la morale en fonction de la conscience. Ce qui est la position normale des idéalistes. Ils disent que si nous écoutons notre conscience, notre conduite sera correcte, et ils disent donc que l'existence de notre conscience détermine notre moralité ou le manque d'icelle.

Mr M., d'autre part, n'est pas d'accord sur ce que la morale est affaire de conscience: il explique la morale en fonction des circonstances et de l'histoire. Les matérialistes pensent généralement que notre conduite est déterminée par les circonstances historiques.

Lorsque nous écoutons la discussion entre les deux, nous avons parfois l'impression que Mr I. a raison, et parfois que c'est l'opinion de Mr M. qui est juste. Afin de voir la discussion entre les deux personnes, nous avons vraiment besoin de la présence d'une troisième personne. Cette troisième personne pourra arriver à une conclusion qui sera différente autant de l'opinion proposée par Mr I. que de celle de Mr M. C'est ainsi que nous atteignons le point de vue réaliste du Bouddhisme.

Lorsque les bouddhistes considèrent le problème de la morale, ils le voient en fonction de nos actions. Celles-ci sont souvent menées par notre conscience, mais en même temps, nos actions sont quand même régies jusqu'à un certain point par les circonstances historiques. D'où, du point de vue bouddhiste, le fait qu'un problème de morale est toujours un problème de comment agir. L'opinion de Mr I est en partie exacte, mais en même temps, le point de vue de Mr M; est également vrai également, parce que l'action contient deux facteurs: l'un, c'est notre conscience ou notre intention, et l'autre, c'est les circonstances. L'action est toujours une synthèse de la conscience et des circonstances.

Les bouddhistes accordent de la valeur à ces deux facteurs, parce que la façon dont nous agissons en réalité est déterminée par les deux facteurs. Pour un bouddhiste, la morale, ce sont nos actions elles-mêmes. La façon dont nous agissons détermine notre moralité ou notre manque de moralité; et non pas seulement la façon dont nous pensons, ou seulement les circonstances extérieures.

La méthode utilisée dans la courte discussion qui précède est la dialectique &emdash; une méthode qui synthétise les points de vue en opposition pour atteindre un troisième point de vue. La philosophie de l'action est construite sur cette méthode de pensée. C'est une méthode qui relie les deux opinions opposées pour former une synthèse des deux en tant que point de vue troisième et radicalement nouveau.

Dans l'Inde ancienne existait une philosophie typiquement idéaliste appelée Brahmanisme, et en opposition à celle-ci, il y avait aussi une école de pensée matérialiste qui se fondait sur les enseignements des six enseignants non-bouddhistes. Le Bouddha Gautama fut en mesure de synthétiser ces deux systèmes philosophiques opposés dans la philosophie de l'action. C'est ainsi que la philosophie de l'action est devenue le centre de la philosophie bouddhiste; pour comprendre le Bouddhisme, il est nécessaire de comprendre la philosophie de l'action. J'aimerais discuter avec vous de cette philosophie de l'action et de son explication au moyen de la dialectique.

Y a-t-il des questions?

&emdash;Si on comprend la philosophie de l'action, cela change-t-il nos actions?

Oui, cela peut changer nos actions parce que lorsque nous la comprenons, nous pouvons transcender les philosophies matérialistes et idéalistes et suivre la philosophie de l'action dans notre vie quotidienne. Comprendre la philosophie de l'action a le pouvoir de changer notre conduite. En même temps, il faut que nous soyons nettement conscients de la différence entre les idées à propos de l'action, et l'action elle-même. La philosophie de l'action est une idée, et même si nous comprenons l'idée, parfois notre corps physique est incapable de bouger selon la philosophie de l'action, parce que nous manquons à réaliser qu'elle n'est pas l'action elle-même. Nous pouvons donc dire qu'il est important que nous comprenions la philosophie de l'action en vivant une vie fondée sur le Bouddhisme, mais en même temps, nous avons également besoin de la capacité pratique d'agir en suivant la philosophie de l'action. C'est pour obtenir cette capacité d'agir que nous pratiquons Zazen. En pratiquant Zazen, nous pouvons obtenir la capacité d'agir en suivant la philosophie de l'action. C'est là la relation entre notre conduite dans la vie quotidienne et la philosophie de l'action.

&emdash;Si nous n'étudions pas la philosophie de l'action, mais pratiquons simplement Zazen, notre action est-elle différente?

Par la pratique de Zazen, nous pouvons faire l'expérience de l'action elle-même. Donc, même si nos idées ne sont pas formulées dans une philosophie en tant que telle, nous faisons également l'expérience de la philosophie de l'action. Avec notre vie moderne fondée sur l'analyse intellectuelle, il est également important de disposer d'un processus systématique grâce auquel nous puissions expliquer notre expérience. Mais même si nous n'avons pas la moindre compréhension formelle de la philosophie de l'action, nous pouvons mener une vie bouddhiste. Et en même temps, quand nous comprenons aussi la philosophie de l'action, il nous est plus aisé de suivre l'enseignement théorique du Bouddhisme.

&emdash;La discussion entre Mr I. et Mr M. m'est très familière; la situation dans laquelle nous avons parfois l'impression que c'est Mr I. qui a raison, et parfois Mr M., ce sentiment d'incertitude m'est familier. Mais je vais rarement au-delà de ce sentiment d'incertitude, et je n'arrive pas à trouver le point de synthèse dans ma propre pensée. Alors, je me demande, dans notre vie habituelle, lorsque de telles situations se présentent, avez-vous une suggestion quelconque?

Oui. Il faut que nous reconnaissions que ces deux idées appartiennent à l'intellect et que l'action est réelle. Nous sommes généralement dérangés par le conflit entre les deux idées, mais dans notre vie réelle, au moment d'agir, nous jetons le dérangement aux orties. On peut transcender la contradiction entre ces deux idées, dans la vie réelle, en agissant. C'est ça le secret de nos vies, et c'est le secret du Bouddhisme lui-même. Ainsi, agir nous sauve. C'est la sagesse du Bouddha Gautama. Quand nous transcendons le conflit intellectuel en agissant, nous entrons dans un monde différent de celui de l'intellect. Dans cette situation, nous pouvons trouver une philosophie différente de l'idéalisme et du matérialisme. Synthétiser deux philosophies intellectuelles signifie agir: c'est-à-dire entrer dans un autre monde que celui de l'intellect. On peut transcender le monde intellectuel en agissant.

J'ai dit que la philosophie de l'action est au coeur du Bouddhisme: évidemment, le vrai coeur du Bouddhisme est la pratique de Zazen lui-même, car Zazen est la forme standard de l'action. mais le coeur de la philosophie bouddhiste est la philosophie de l'action. Ainsi, le Bouddha Gautama nous dit d'agir. L'action peut nous sauver. C'est là l'enseignement du Bouddha Gautama.

&emdash;Pouvons nous comprendre qu'on atteint l'action non pas par le biais de la pensée rationnelle mais par Zazen? Comment les bouddhistes ont-ils atteint le troisième stade, l'action? Par le raisonnement?

Non. La pratique de Zazen nous enseigne ce qu'est l'action. Pratiquer Zazen, c'est étudier l'action en elle-même. Le sens véritable de l'action ne provient pas de notre processus de pensée rationnelle: l'expérience de l'action ne peut venir que de l'agir.

&emdash;En ce cas, il n'y a pas de différence entre la quatrième phase et l'action?

On peut dire que la philosophie de l'action arrive en troisième dans les quatre phases, et que l'action elle-même appartient à la quatrième phase.

&emdash;Je trouve très difficile de penser au mot 'action'. Je tends à penser qu'action signifie un certain type d'action. Est-ce qu'action signifie simplement faire quelque chose? Pouvez-vous expliquer cela encore une fois?

Oui, il s'agit d'un problème difficile, aussi ça ne me gêne pas de l'expliquer encore et encore. On peut décrire la structure des quatre philosophies comme une pyramide triangulaire. D'abord on peut considérer que le point de départ de notre pensée représente un point à la base de la pyramide. C'est l'esprit. avec l'esprit, on entre dans le domaine de l'idéalisme. On pense habituellement les problèmes philosophiques intellectuellement.

Mais on peut trouver que nous ne sommes pas seulement de l'esprit; nous avons aussi un corps physique &emdash; nous mangeons, nous regardons le monde, nous voyons des couleurs, des images; nous entendons le monde. Ce domaine de la perception, &emdash;le domaine de notre corps physique &emdash; peut être représenté par un second point à la base de la pyramide, ce qui nous donne une ligne. La situation la plus fréquente dans notre processus de pensée nous voit nous mouvoir de ci de là le long de cette ligne alors que nous considérons les problèmes des deux points de vue contradictoires de l'idéalisme et du matérialisme.

Cette ligne, ainsi que les deux points de vue qui ont lieu sur elle appartient au domaine de l'intellect. Notre civilisation est fondée sur l'intellect humain. C'est la réalité de notre monde moderne. Les êtres humains progressent et régressent le long de cette ligne entre les deux points de vue. Et, de la même façon, nos civilisations vont elles-aussi de ci de là: de l'idéalisme au matérialisme et retour. Ce sont ces mouvements qui ont créé nos civilisations. De sorte que l'existence de ces deux points contradictoires est très importante. Mais, pour l'être humain, les situations contradictoires donnent lieu à de grandes souffrances. Cela parce que nous nous sommes révélés incapables de trouver une solution satisfaisante à la contradiction. Nous avons développé de merveilleuses civilisations, mais en même temps, la grande souffrance de la race humaine surgit directement de ces situations contradictoires.

Parfois, pourtant, au cours du train-train quotidien, nous transcendons ce conflit mental par l'action. Par exemple, on peut être en train de réfléchir sur la misère de la vie humaine. Mais si on agit &emdash; prendre un bain, manger quelque chose, aller se promener&emdash; on peut se débarrasser de ces pénibles pensées. Agir nous permet de transcender les contradictions de notre esprit. L'action peut nous aider. C'est un fait très simple et très évident.

Le Bouddha Gautama a recommandé que nous pratiquions une forme d'action; c'est-à-dire Zazen. Comme Zazen est une forme d'action, on peut dire que, de même que le Bouddhisme se base sur la pratique de Zazen, ainsi la théorie du Bouddhisme est basée sur la philosophie de l'action. Utiliser la philosophie de l'action pour réfléchir à un problème c'est sortir notre analyse philosophique de la ligne sur laquelle le conflit entre l'idéalisme et le matérialisme se situe, et ajouter un troisième point pour former un plan tri-dimensionnel; un plan sur lequel nous considérons les solutions réalistes. Mais même une philosophie réaliste ne peut nous sauver, parce qu'en définitive, il ne s'agit que d'un mouvement de courants électriques dans nos circonvolutions cérébrales!

La philosophie ne peut en aucun cas être de l'action. Pour comprendre ce qu'est l'action, il faut que nous transcendions ces trois philosophies. Et c'est pour accomplir cela que nous pratiquons Zazen. La pratique de Zazen nous permet de découvrir un monde tri-dimensionnel concret. Ces trois philosophies existent sur un plan; Zazen, qui est le standard de l'action elle-même transforme notre plan en une pyramide. pour étudier la vie réelle, pour étudier l'action réelle, nous pratiquons Zazen.

&emdash;Si on prend quelqu'un comme Hegel, est-ce que sa position philosophique et sa vie réelle étaient en accord?

Hegel a commencer son exposé philosophique à partir de la perception sensorielle, qu'il expliquait à partir du point de vue de l'esprit humain. De sorte que son point de vue philosophique part de l'esprit, va jusqu'aux perceptions sensorielles et retour. Son point de vue oscille le long de cette ligne. Il pensait qu'il utilisait la dialectique, mais en fait il ne faisait que se mouvoir aller et retour entre ces deux points opposés. Ce qui signifie que sa pensée philosophique et ses conclusions sont toujours restées dans le domaine de l'intellect; il s'est révélé incapable de synthétiser ses conceptions en un troisième point de vue réaliste. Mais les gens ne trouvent pas étrange que ses conclusions restent dans le domaine de l'intellect. Ils croient qu'il est parfaitement naturel que les conclusions de nos pensées soient elles-mêmes des pensées.

D'autre part, Marx commence son analyse philosophique à partir d'un point de vue matérialiste. Il explique l'esprit humain à partir de la matière. Il est en opposition diamétrale à Hegel, mais pourtant, Marx ne fait que se déplacer d'avant en arrière sur la ligne qui relie l'esprit à la matière. Il croyait aussi qu'il utilisait la dialectique. Comme les conclusions de Marx sont scientifiques et objectives; fondées sur le monde de la matière que nous percevons tous devant nos yeux, les gens ont l'impression que les conclusions de Marx ont un aspect pratique qui fait défaut aux conclusions de Hegel &emdash; que Marx est objectif. Mais en fait, autant Marx que Hegel on laissé leurs conclusions philosophiques dans le domaine intellectuel. Leurs conclusions sont théoriques, intellectuelles.

Le Bouddha Gautama a découvert un domaine concret: il a découvert que l'action est en elle-même la solution au conflit. Et la philosophie de l'action est la base théorique qui nous suggère que la solution est hors du domaine de l'intellect. Ainsi, les idées du Bouddha Gautama diffèrent de celles de Marx et de Hegel; le Bouddha Gautama a construit un solide, là où Marx et Hegel n'avaient construit qu'une ligne ou un plan. En utilisant les trois quatre philosophies, nous pouvons créer cette construction solide nous-mêmes, et transcender le domaine intellectuel en trouvant des solutions réelles. Transcender l'intellect est fondamentalement important dans le Bouddhisme; sans cette transcendance, nous resterons toujours pris dans les solutions dans nos têtes, même si nous nous servons de la dialectique. Nous resterions au plan bi-dimensionnel.

Mais en réalité, nous vivons dans un domaine à trois dimensions. C'est un fait très simple qu'il est très important de réaliser. Nous vivons dans le vrai monde, qui n'est pas le même ni que celui de nos pensées subjectives, ni que celui de nos pensées objectives. Pour reconnaître ce fait, nous pratiquons Zazen.

La théorie dont j'ai discuté ici est la philosophie de l'action. Elle est assez difficile à saisir, mais c'est le coeur du Bouddhisme. Donc, pour comprendre le Bouddhisme, il faut que nous comprenions cette théorie fondamentale. Il faut que nous transcendions le domaine de l'intellect et que nous entrions dans le monde de l'action.

Il faut que nous agissions.

 


La suite: La réalité


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