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Cette page a été mise à jour le 15 novembre 2006

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Les enseignements de Gudo Wafu Nishijima Sensei

Comprendre le Shôbôgenzô

Pourquoi le Shôbôgenzô est-il difficile à comprendre.

©Windbell Publications

La réaction de la plupart des gens, lorsqu'ils lisent pour la première fois le Shôbôgenzô, c'est qu'il leur semble très difficile de voir clairement ce que ces écrits signifient. Il s'agit là d'une réaction naturelle, parce que lorsque nous lisons une phrase, nous nous attendons généralement à pouvoir comprendre de façon immédiate la signification de ce que nous sommes en train de lire. La première fois que j'ai eu un exemplaire du Shôbôgenzô entre les mains, je me suis rendu compte que je n'arrivais pas à le comprendre, bien qu'il fut écrit dans ma propre langue maternelle. Bien sûr, la lecture du Shôbôgenzô en traduction entraîne tout un nouvel ensemble de problèmes en rapport avec l'habileté et les connaissances du traducteur, et avec les similitudes entre les langues.

Je ramènerais les tentatives pour élucider les problèmes que présente le Shôbôgenzô pour le lecteur à quatre raisons principales :

1. Le Shôbôgenzô est écrit sur une structure logique particulière, que j'ai appelée «Les quatre Vues» ou encore «Trois Philosophies et Une Réalité». J'expliquerai ce système logique dans une section ultérieure.

2. Maître Dôgen écrivait en se servant de phrases et de citations du bouddhisme chinois qui sont relativement inconnues du profane, et sont difficiles à rendre en d'autres langues. Ces phrases apparaîssent dans le Shôbôgenzô sous leur forme chinoise d'origine, faisant ainsi de certaines parties du livre un commentaire en japonais du XIII° siècle de phrases chinoises provenant de sources encore plus anciennes. Dans la traduction, nous faisons face au problème supplémentaire de représenter ces phrases dans une langue-cible très différente.

3. Les concepts que maître Dôgen voulait exprimer sont profonds et subtils. Même dans sa propre langue, il lui fut nécesssaire d'inventer de nombreux mots et phrases pour faire passer ce qu'il voulait dire. Ces nouveaux mots n'ont en grande partie pas été adoptés par la langue japonaise, et ne nous sont, de ce fait, pas familiers aujourd'hui.

4. Maître Dôgen a écrit le Shôbôgenzô afin d'expliquer l'expérience de la réalité qu'il a obtenue au travers de la pratique de zazen. Ses mots sont basés sur son expérience. Il est normal de penser de nos jours que toute chose philosophique puisse être comprise intellectuellement, en tant qu'exercice intellectuel. Nous n'avons pas beaucoup d'expérience des philosophies qui insistent sur la pratique physique. Nous croyons que la lecture des livres devrait largement suffire pour comprendre ce qui y est écrit.

 

 

Le problème des contradictions

Quoique ces quatre groupes de problèmes soient de sérieux obstacles, ils ne sont pas insurmontables. Si on connaît le problème, on peut avancer vers une solution, aussi lentement que ce soit. Mais dans le Shôbôgenzô, on peut trouver un problème supplémentaire d'un ordre totalement différent -- le livre a l'air d'être, et il est en fait, plein de contradictions!

Nous pensons en général d'un livre dans lequel l'auteur se contredit qu'il n'a que peu de valeur. Ceci, largement en raison de ce que notre civilisation moderne est devenue grande et puissante en vertu des milliers d'années pendant lesquelles l'être humain a développé des méthodes logiques et exactes de traiter et de contrôler son milieu. L'intellect est devenu roi. L'être humain a utilisé ses pouvoirs de raisonnement pour développer tout un champ d'études intellectuelles et morales pour guider nos progrès à travers l'histoire. Et dans les temps récents, nous avons appliqué nos pouvoirs de raisonnement à l'étude scientifique exacte de notre monde, sur la base de notre croyance dans les lois de cause à effet. de sorte que, dans le monde contemporain, autant en philosophie qu'en science, quiconque émet des propositions contradictoires est rapidement laissé pour compte. Les écrits qui ne sont pas consistants logiquement ne sont pas considérés par les savants et les étudiants sérieux. Ils sont inacceptables pour nos intellects finement réglés.

Il serait donc juste que ces critères s'appliquent même au Shôbôgenzô; l'existence de contradictions dans l'ouvrage devrait diminuer sa valeur. Mais le Shôbôgenzô est littéralement plein de contradictions. A cette aune, il nous faut conclure que le livre n'a aucune valeur pour le savant sérieux. Mais notre conclusion est-elle acceptable?

J'aimerais, au cours des sections qui suivent, regarder plus en détail la nature et la raison de cette abondance de contradictions dans un livre qui a été décrit comme une oeuvre philosophique majeure.

Exemples de contradictions dans le Shôbôgenzô

Pour illustrer le problème, je compte relever des contradictions à divers niveaux du Shôbôgenzô. J'utiliserai l'édition en quatre-vingts quinze chapitres, parce que c'est la première à avoir été imprimée sur bois gravé. Les numéros de chapitres cités se réfèrent aux chapitres de l'édition en quatre-vingts quinze chapitres.

1. Contradiction entre chapitres

Je vais comparer les deux chapitres (89) Shinjin Inga et (76) Dai Shugyo.

Shin signifie profond, et jin (de shin) signifie croire. De sorte que Shinjin Inga signifie profonde croyance dans la cause et l'effet. Dai signifie grand et shugyo signifie pratique. Donc dai shugyo signifie la grande pratique bouddhiste; ce qui est la pratique de zazen.

Dans ces deux chapitres, maître Dôgen cite la même histoire. Il s'agit du fameux maître chinois Hyakujo Ekai (ch. Baizhang Huaihai) et d'un renard sauvage; l'histoire concerne la relation de la pratique bouddhiste avec la loi de cause à effet. Cette relation est expliquée de deux façons, qui sont en désaccord total l'une avec l'autre.

"Habituellement, lorsque maître Daichi du mont Hyakujo, dans le district de Koshu (qui a succédé à maître Baso et fut appelé maître Ekai de son vivant) donnait ses prêches informels, il y avait un vieil homme dans le public, qui écoutait toujours le prêche en même temps que le public. Lorsque le public se retirait, il se retirait lui aussi. Mais un jour, il ne se retira pas tout de suite. Le maître lui demanda alors, "Quelle est la personne qui se tient devant moi?"

Le vieil homme répondit : "Je ne suis pas une personne. Il y a longtemps, du temps du Bouddha Kashyapa, je vivais en tant que maître dans cette montagne. un jour, un étudiant du bouddhisme me demanda si même une personne ayant une grande pratique du bouddhisme tombait dans les restrictions des causes et les effets. En réponse, je lui dis, "Il ne tombe pas dans les causes et les effets". Depuis, je suis tombé dans le corps d'un renard sauvage pour cinq cents vies. Aussi je vous prie, maître, de me dire quelques mots qui me transformeront. Je voudrais me défaire du corps du renard sauvage". Il demanda alors, "Est-ce qu'un pratiquant de la grande pratique bouddhiste retombe dans la cause et l'effet?"

Le maître dit, "Ne soyez pas obscur sur la cause et l'effet".

A ces mots, le vieil homme réalisa la grande vérité, et après s'être proterné, il dit, "Je suis déjà libre, dès maintenant, du corps du renard sauvage. Désormais, j'aimerais rester sur la montagne, derrière ce temple. Puis-je oser vous demander, maître, de mener une cérémonie funéraire de moine bouddhiste pour moi" .[1]

Dans les deux chapitres, la même histoire est racontée presque mot pour mot. Dans l'histoire, il y a deux expressions utilisées pour parler de cause et d'effet; la première, la réponse du vieil homme à son élève, est Fu raku inga qu'on traduit par 'Il ne tombe pas dans la cause et l'effet' [2]. La seconde, la réponse de maître Ekai au vieil homme, est Fu mai inga qu'on traduit par 'Ne soyez pas obscur sur la cause et l'effet' [3]

Dans chacun des deux chapitres, maître Dôgen tire des conclusions contradictoires de ces deux expressions dans l'histoire. Dans (89) Shinjin Inga il dit :

"L'expression de ne pas tomber dans la cause et l'effet n'est qu'une négation de la cause et de l'effet, en conséquence de quoi les gens tombent en de mauvais états. L'expression de ne pas être obscur sur la cause et l'effet montre une grande foi dans la cause et l'effet, et ceux qui l'entendent peuvent se défaire des mauvais états. Nous ne devons pas nous en émerveiller, et nous ne devrions pas en douter."

Ces commentaires suggèrent que maître Dôgen interprète ces deux expressions de fu raku inga et de fu mai inga comme ayant des significations diamétralement opposées. Il insiste clairement sur la différence entre les deux phrases 'Ne pas tomber dans la cause et l'effet' et 'Ne pas être obscur sur la cause et l'effet'.

Mais si nous voyons son commentaire sur l'histoire dans le chapitre (76) Dai Shugyo, nous trouvons qu'il dit ceci :

"En tâtonnant pour trouver ce qu'est cette grande pratique bouddhique, nous pouvons voir que ce n'est que grandes causes et effets en elles-mêmes. Et parce que ces causes et effets sont inévitablement de parfaites causes et de complets effets, on ne pourrait jamais en parler comme d'y tomber ou ne pas y tomber, ou comme claires ou obscures. Si l'idée de ne pas tomber dans la cause et l'effet est erronnée, l'idée de ne pas être obscur sur la cause et l'effet doit elle-aussi être erronnée. "

Ici, maître Dôgen insiste clairement sur le fait que fu raku inga et fu mai inga signifient exactement la même chose. Il nie toute distinction entre 'Ne pas tomber dans la cause et l'effet' et 'Ne pas être obscur sur la cause et l'effet'.

Donc, à partir de ces deux chapitres, nous pouvons voir que maître Dôgen arrive à deux conclusions opposées et contradictoires à partir des mêmes faits. Il a l'air logiquement inconsistant et ceci est certainement vrai si nous observons la situation d'un point de vue abstrait, exclusivement.

2. Contradictions entre paragraphes

Si nous examinons un autre chapitre, (22) Bussho, nous pouvons trouver des contradictions entre deux paragraphes dans le même chapitre. Il cite le maître national Sai-an:

"Le maître national Sai-an d'Enkan dans le district de Koshu était un maître vétéran dans l'ordre de Baso. Il enseigna un jour à l'assemblée, "Tous les êtres vivants ont la nature de Bouddha".

Ainsi les esprits ne sont que des êtres vivants, et les êtres vivants ont tous la nature de Bouddha pour existence. L'herbe, les arbres et les terres nationales sont un avec l'esprit : parce qu'ils sont esprit, ils sont êtres vivants, et parce qu'ils sont êtres vivants, ils ont la nature de Bouddha pour existence. Le soleil, la lune et les étoiles sont un avec l'esprit : parce qu'ils sont esprit, ils sont êtres vivants, et parce qu'ils sont êtres vivants ils ont la nature de Bouddha pour existence.

Ici, maître Dôgen est nettement en accord avec l'insistance de maître Sai-an sur le fait que tous les êtres vivants possèdent la nature de Bouddha.

Mais dans le paragraphe qui suit immédiatement, il cite le maître Isan Reiyu :

"Le maître Dai-en du mont Dai-I-san enseigna un jour à l'assemblée, "Tous les êtres vivants n'ont pas la nature de Bouddha."

"...Il nous faut continuer à tâtonner pour comprendre : comment tous les êtres vivants pourraient-ils être la nature de Bouddha? Comment pourraient-ils avoir la nature de Bouddha? Si n'importe lesquels avaient la nature de Bouddha, ils pourraient bien être une bande de démons. En apportant une toile de démon, ils aimeraient bien en couvrir tous les êtres vivants. Mais la nature de Bouddha n'est que la nature de Bouddha, et ainsi, les êtres vivants ne sont que les êtres vivants. Les êtres vivants ne sont pas dotés dès l'origine de la nature de Bouddha".

Maître Dôgen affirme que tous les êtres vivants ont la nature de Bouddha dans le premier paragraphe, et le nie dans le second!

 

3. Contradictions entre les phrases

Même à l'intérieur d'un même paragraphe, les contradictions abondent. Prenons par exemple le chapitre (3) Genjô-kôan. Dans le premier paragraphe du chapitre, nous pouvons trouver les phrases suivantes :

"Au moment où tous les phénomènes sont enseignements du Bouddha, il y a illusion et réalisation, pratique et expérience, vie et mort, bouddhas et gens ordinaires. Au moment où les myriades de phénomènes sont séparées de nous-mêmes, il n'y a ni illusion ni réalisation, ni bouddhas ni gens ordinaires, nie vie ni mort".

Dans cette courte citation, nous trouvons deux affirmations; dans la première, maître Dôgen affirme l'existence de l'illusion et de la réalisation, de la pratique et de l'expérience, de la vie et de la mort, des bouddhas et des gens ordinaires à partir d'un point de vue. Mais dans la phrase suivante, il dit que vus d'un autre point de vue, l'illusion et la réalisation, les bouddhas et les gens ordinaires, la vie et la mort n'existent pas. Il est logiquement contradictoire/inconséquent à l'intérieur d'un même paragraphe parce qu'il change de point de vue.

 

4. Contradictions à l'intérieur d'une phrase

Dans (14) Sansui Gyo, nous trouvons la phrase suivante :

"Un bouddha éternel a dit, 'Les montagnes sont des montagnes. Les rivières sont des rivières.' Ces mots ne signifient pas que les montagnes soient des 'montagnes'; elle signifient que les montagnes sont des montagnes".

Prise telle quelle, la phrase n'a aucun sens. Les montagnes ne sont pas des montagnes; elles sont des montagnes! La forme de la phrase semble contredire les règles de la logique. C'est là une affirmation inacceptable, selon les règles normales du raisonnement. Cependant, on peut trouver de nombreuses phrases similaires dans le Shôbôgenzô. Comment devons-nous les comprendre?

Pouvons-nous admettre la contradiction?

Depuis le temps des Grecs, les êtres humains ont développé et raffiné un ensemble de règles de logique que nous utilisons lorsque nous pensons aux ou discutons sur les problèmes du monde. Ceci se trouve être la base de notre capacité à analyser et à comprendre le monde, et donc de développer nos grandes sciences et philosophies. Sans l'exact système de logique qui gouverne toutes les activités analytiques, le développement de la civilisation européenne-américaine aurait été inconcevable.

Il vaut mieux, par conséquent, rester un peu prudents lorsqu'on discute de jusqu'où on peut permettre la contradiction logique à l'intérieur d'une certaine recherche intellectuelle. Dans les dernières années, quelqu'un a dit que la pensée bouddhique peut aisément s'accomoder de l'illogisme; en fait, certains ont même affirmé que la pensée bouddhique va au-delà de la logique! Le point de vue avancé par ces gens semble être que la religion doit aller au-delà de la raison, et la négation de la logique y tient un rôle central. Un exemple de cette tendance réside dans l'interprétation moderne des histoires chinoises de kôans. Beaucoup parmi ces histoires semblent illogiques lorsqu'on les lit superficiellement. Et il y a tellement de gens qui insistent que l'un des buts de l'étude du bouddhisme, c'est de développer une étrange manière de penser qui va au-delà de la logique occidentale.

Devons-nous croire en de telles étranges insitances? Maître Dôgen lui-même avait des idées bien arrêtées sur ce problème récurrent. Dans (14) Sansui Gyo il dit :

"De nos jours, dans la grande Chine des Song, il y a un certain groupe de gens douteux qui forment une telle foule qu'ils ne peuvent être défaits par un petit groupe de vrais gens. Ils disent que ces histoires de montagne de l'Est qui se déplace au-dessus des eaux, et de telles histoires que celle de la Faux de maître Nansen, sont des histoires qui ne peuvent pas être comprises rationnellement. Leur idée est comme suit : 'Une histoire qui dépend de n'importe quelle sorte de considération intellectuelle ne peut pas être une histoire zen des patriarches bouddhistes. Mais les histoires qui ne peuvent pas être comprises rationnellement sont certainement des histoires des patriarches du bouddhisme. c'est pour cette raison que des choses telles que l'usage que faisait maître Obaku du bâton et le cri de kwatsu de maître Rinzai, qui sont au-delà de la compréhension rationnelle et n'ont pas de rapport avec les considérations intellectuelles, représentent le grand Eveil qui existait avant même la germination de la création. La raison pour laquelle de nombreux maîtres du passé ont employé des mots qui coupaient à travers la confusion était que leurs enseignements allaient au-delà de la compréhension rationnelle'. Ceux qui disent de telles choses n'ont jamais rencontré un vrai maître et n'ont pas les yeux de la véritable étude bouddhique; ils ne sont que de petits chiots qui ne méritent pas qu'on discute avec eux. depuis deux ou trois siècles en Chine, il y a eu de nombreux démons de cette sorte, de nombreux rasés comme la bande des six. Il est vraiment pitoyable que la grande vérité du patriarche du bouddhisme parte en ruines. Leur compréhension ne vaut même pas celle des sravaka dans le bouddhisme Hinayana; ils sont encore plus stupides que les non-bouddhistes. Ce ne sont pas des laïcs, ce ne sont pas des moines, ce ne sont pas des êtres humains, et ce ne sont pas des dieux du ciel; ils sont plus stupides que des animaux qui étudieraient le bouddhisme. ce que ces rasés appellent des histoires incompréhensibles ne le sont que pour eux; les patriarches du bouddhisme n'étaient pas comme ça. Nous ne devons pas manquer d'étudier la Voie concrète par laquelle les patriarches du bouddhisme comprennent, juste parce que la Voie n'est pas compréhensible par ces rasés. Si les histoires étaient en fin de compte au-delà de la compréhension rationnelle, leur propre raisonnement devrait être bien loin du compte".

Maître Dôgen ne pense pas, de toute évidence, que les histoires de kôans sont illogiques; il se montre très critique des maîtres chinois qui prétendent qu'un kôan est une sorte d'énigme illogique. Il n'accepte clairement pas aisément les illogismes, et nous n'avons pas à le faire nous non plus. Il nous faut continuer à chercher la raison qui se cache derrière l'apparente richesse en contradictions du Shôbôgenzô.

Là, j'aimerais offrir un avis. Afin d'étudier le bouddhisme de maître Dôgen, je crois qu'il est très important de s'appuyer complètement sur son enseignement. Il nous faut être très exacts dans son étude. Si nous nous contentons de nous y plonger à moitié, en acceptant certains de ses enseignements, et en critiquant les autres, il sera vite impossible de comprendre pleinement le système philosophique au complet qu'il expose.

Existence de l'espace de la réalité.

Comment alors expliquons-nous ces contradictions dans les enseignements de maître Dôgen? En philosophie, nous ne pouvons aisément accepter quoi que ce soit sans explication.

Après avoir lu à plusieurs reprises le Shôbôgenzô, J'ai commencé à me dire que maître Dôgen voyait les choses d'un point de vue différent de notre point de vue intellectuel accepté. De notre point de vue intellectuel habituel, on ne peut jamais admettre les contradictions logiques. Mais maître Dôgen semble en avoir deux : le point de vue normal, intellectuel, du philosophe, et un autre; celui qui observe les problèmes à partir de l'extérieur de l'aire intellectuelle. Là, savoir si la pensée philosophique devrait admettre l'existence d'un espace autre que l'aire intellectuelle en tant que point de départ d'un débat est peut-être le noeud du problème entre la philosophie bouddhique et le Shôbôgenzô.

Après avoir lu le Shôbôgenzô à de très nombreuses reprises, j'ai commencé à voir que, par son usage des contradictions, maître Dôgen indiquait un espace qui se trouvait en dehors de l'aire du débat intellectuel; il montrait l'existence en dehors de l'aire rationnelle et intellectuelle. Lorsque j'étais jeune, il m'était difficile de croire en un monde différent autant de celui de mes pensées et de celui de mes perceptions. Maître Dôgen parle du monde idéal de la théorie et du monde de la matière tel que nous le percevons. Mais il use de ces deux points de vue pour indiquer ou décrire le vrai monde, la réalité dans laquelle nous existons. Et après avoir lu le Shôbôgenzô, j'ai moi aussi commencé à voir que le monde dans lequel j'existe n'est ni le monde des idées ni celui des objets et des perceptions, mais quelque chose qui est différent des deux.

Ceci s'est révélé une surprise pour moi. depuis le début de ma vie, je vivais dans la réalité, mais je ne m'étais pas clairement rendu compte de ce fait, auparavant. Et je crois que ce fait assez simple est très important pour comprendre ce qu'enseigne le bouddhisme. On dit que lorsque le Bouddha Gautama était en train de pratiquer zazen, un matin, il a ressenti que les montagnes, les rivières, l'herbe et les arbres sont tous des bouddhas. C'est ce qu'on appelle en général l'éveil du Bouddha. Nous tendons à croire qu'après des années d'effort intense, son état a dû changer. Mais d'après mon expérience personnelle; j'ai commencé à voir qu'en fait, l'histoire de l'éveil du Bouddha Gautama ne signifie pas qu'il soit entré dans quelqu'état spécial, mais simplement qu'il a vu clairement pour la première fois la réalité de ce qu'il était en train de vivre.

Avec cette expérience, j'ai commencé à interpréter le Shôbôgenzô comme un livre qui décrit ou indique cette réalité. J'ai trouvé que si l'on prend le Shôbôgenzô comme un manuel pour la réalité, il devient totalement sensé, contradictions inclues. Si nous le prenons comme description d'un système intellectuel, nous ne pourrons jamais le comprendre. On peut dire que l'objet des écrits de maître Dôgen était une description de la réalité. mais on ne peut enfermer la réalité dans les mots. Depuis le temps du Bouddha Gautama jusqu'à nos jours, les bouddhistes ont fait des efforts pour capturer la réalité avec les mots, et c'est, je crois, la raison fondamentale pour l'incroyable quantité et variété des sûtras bouddhiques qui nous sont parvenus. Maître Dôgen ne fait pas exception. Lui ausi a tenté l'impossible. C'est pour cette raison que le Shôbôgenzô a l'air si difficile à expliquer; c'est aussi la raison des contradictions qu'il contient. Maître Dôgen n'essaie pas de construire une théorie intellectuelle autonome -- il essaie d'utiliser tous les outils de la philosophie et de la logique pour indiquer autre chose; quelque chose qui soit au delà de tous ces outils. dans l'espace de la raison et de la logique seules, nous ne pouvons admettre les systèmes de pensée qui contiennent de grossières contradictions. Mais la réalité elle-même contient des contradictions. Nous faisons l'expérience de ces contradictions nous mêmes à tout moment. De sorte qu'une description intellectuelle de la réalité doit tourver place pour ces contradictions, quelqu'inacceptables qu'elles puissent sembler à nos pouvoirs intellectuels.

A ce point, je voudrais spécifier un point très fondamental au sujet de la nature-même de la contradiction. Dans l'aire intellectuelle, nous trouvons parfois qu'une chose appelée la contradiction existe; que quelque chose peut être illogique. Mais en réalité, il n'existe rien de tel qu'une contradiction. Ce n'est qu'une caractéristique du véritable état des choses. Ce n'est qu'avec notre intellect que nous pouvons détecter l'existence d'un chose qu'on appelle contradiction.

Un pont entre l'intellect et la réalité .

Après avoir étudié le Shôbôgenzô pendant plus de 50 ans, mon assurance est totale : le but du Bouddhisme est de réaliser la réalité. Le Bouddha Gautama nous a incités à découvrir la réalité par la pratique de Zazen. L'interprétation traditionnelle du mot sanscrit dharma est assez vague, renvoyant à une forme quelconque d'enseignement. Mais je crois que dharma ne signifie pas que les enseignements, mais indique trois zones -- principes ou enseignements, situations ou circonstances extérieures, et morale ou comportement. Ce sont là les composantes d'une philosophie de la réalité.

Pouvons-nous, alors, avoir une philosophie de la réalité, si la réalité est en dehors de l'aire dont s'occupe la philosophie? En toute logique, il nous faudrait répondre "non". La réalité et l'intelligence sont complètement séparées. Quelle sorte de système pouvons-nous construire qui nous permettrait de poursuivre une description de la réalité?

C'est précisément dans cet état que les bouddhistes ont développé leur méthode spécifique pour expliquer la réalité. Cette méthode s'appelle catvary arya satyani, ou les quatre nobles vérités, et elle explique la relation entre les activités intellectuelles et la réalité, au moyen de quatre points de vue. Les deux premiers sont les points de vue philosophiques traditionnels, le troisième est une philosophie de la réalité et le quatrième est la réalité expériencielle.

C'est cette hypothèse que j'ai développée, il y a quarante ans, à partir de l'étude du Shôbôgenzô, et bien qu'elle n'ait même pas obtenu le soutien de la société bouddhiste au Japon, je ne puis trouver aucune inadéquation dans mes idées, aussi fort que je puisse chercher.

Catvary arya satyani, les quatre nobles vérités comprennent duhkha-satya, samudaya-satya, nirodha-satya et marga-satya. L'interprétation traditionnelle est la suivante :

Duhkha-satya, ou vérité de la souffrance, dit que toutes les choses et tous les phénomènes de ce monde sont souffrance.

Samudaya-satya, ou vérité des aggrégats, dit que la cause de la souffrance, c'est le désir.

Nirodha-satya, ou vérité du refus, dit que nous devons nous débarasser du désir.

Marga-satya, ou vérité de la voie correcte, dit que lorsque nous nous débarasserons de tout désir, nous réaliserons la vérité.

Lorsque je relisais cette interprétation traditionnelle des quatre nobles vérités, je la trouvais si dogmatique et illogique que je ne pouvais l'accepter. De dire que le monde entier n'est que souffrance me semblait le comble du dogmatisme. Bien sûr, le monde semble souvent plein de tristesse, mais le postulat que tout dans le monde n'est que souffrance est pessimiste au-delà des mots. Et de dire que la cause de toute cette souffrance est le désir est trop dogmatique. Je crois que fondamentalement, le désir est à la base de notre force de vie. Il nous est impossible de nous débarasser du désir et continuer à vivre. Si le Bouddhisme devait soutenir que nous devons détruire tout désir en nous-mêmes, alors il nous conseillerait l'impossible. Et la dernière des vérités n'est pas claire. Quelle est la nature de la vérité que l'on réalisera? On dit que nous devons suivre l'octuple sentier correct, mais aucune explication claire de ces huit sentiers n'existait à l'époque du Bouddha Gautama. Qu'est qu'on entend par "correct"? Les quatre nobles vérités sont censées être au centre des enseignements bouddhiques, mais il me semblait impossible de croire en un ensemble d'idées aussi dogmatiques et partiales.

Quand j'ai eu lu le Shôbôgenzô et que je me suis familiarisé avec la pensée de maître Dôgen, j'ai trouvé une nouvelle interprétation des quatre nobles vérités. C'en est une qui nous permet de combiner notre explication intellectuelle et la réalité. J'ai découvert la méthode inégalée dont use maître Dôgen pour connecter la pensée philosophique et la réalité. J'ai appelé cette méthode la théorie des trois philosophies et de la réalité unique.

Pour illustrer cette méthode, je me servirai du chapitre (3) Genjo-Koan, qui est le troisième chapitre de l'édition en 95 chapitres du Shôbôgenzô, mais qui était le premier, dans l'édition en 75 chapitres. Il a donc une signification spéciale en ce que je crois que c'est ici que maître Dôgen expose son point de vue philosophique au lecteur. Le premier paragraphe du Genjo Koan dit:

"Au moment où toutes choses et phénomènes sont enseignements du Bouddha, alors il y a illusion et réalisation, pratique et expérience, vie et mort, bouddhas et gens ordinaires. Au moment où les millions de choses et phénomènes sont tous séparés de nous, il n'y a ni illusion ni éveil, ni bouddhas ni gens ordinaires, ni vie ni mort. Le Bouddhisme est originellement transcendant sur l'abondance et le manque, et c'est pourquoi [en réalité], il y a vie et mort, illusion et réalisation, des gens et des bouddhas. Et même si tout ceci est vrai, les fleurs tombent bien que nous les aimions, et les mauvaises herbes poussent bien que nous les haïssions, et c'est tout."

Ce paragraphe se compose de quatre phrases. La première dit : "Au moment où tous les phénomènes sont enseignement du Bouddha, il y a illusion et réalisation, pratique et expérience, vie et mort, bouddhas et gens ordinaires." Que veut dire cette phrase? Elle décrit la situation dans laquelle nous pensons le monde sur la base d'un système philosophique idéaliste -- un ensemble d'enseignements. A partir de là, on peut trouver des différences entre de nombreuses catégories; illusion et réalisation, pratique et expérience, vie et mort, bouddhas et gens ordinaires. Ce qui fait contraste avec la seconde phrase, qui dit qu'il n'y a pas de différences, si nous voyons le monde "au moment où des millions de phénomènes sont tous séparés de nous-mêmes". Cette seconde phrase nous dit que si nous voyons le monde comme séparé de notre point de vue subjectif, objectivement donc, nous ne pouvons trouver aucune différence de valeur entre l'illusion et l'éveil, les bouddhas et les gens ordinaires, la vie et la mort. Ce sont tous des faits concrets et leur valeur en tant que tels est égale. C'est là le point de vue scientifique ou matérialiste. Maître Dôgen établit ici une claire distinction entre les points de vue philosophiques respectifs des idéalistes et des matérialistes.

En même temps, dans la troisième phrase, il sépare le point de vue bouddhiste de ces deux premiers : il dit que le Bouddhisme transcende originellement l'abondance et le manque, et ainsi y a-t-il en réalité et des gens et des bouddhas. Maître Dôgen dit que le Bouddhisme est différent des comparaisons relatives en termes de grand ou petit, lourd ou léger. Evidemment, le sens de la phrase "transcende originellement l'abondance et le manque" n'est pas exact, mais ça semble dire que le Bouddhisme n'appartient pas à l'aire de la comparaison, là où nous déclarons que ceci a plus de valeur que cela, et n'appartient pas non plus à l'aire des comparaisons matérielles.

Ici, il nous faut faire une pause pour réfléchir soigneusement. Est-il possible qu'il y ait une "philosophie" qui n'appartienne pas à l'aire intellectuelle discriminante? Y a-t-il une aire philosophique dans laquelle nous puissions transcender autant les critères subjectifs que les critères objectifs? Le seul outil dont nous disposions pour penser aux problèmes philosophiques, c'est l'intellect. Qu'est-ce que ça veut dire, transcender la philosophie dans l'aire de la philosophie?

A certains moments, nos pensées sont de nature " Je pense ceci", ou " Je crois en cela." Nous utilisons nos propres idées et croyances internes pour construire une image du monde. Notre attitude est subjective. La philosophie qui est construite sur la base de nos idées subjectives est appelée subjectivisme.

A d'autres moments, nous basons nos pensées sur nos perceptions sensorielles. On perçoit le monde matériel à travers nos sens et on donne un sens à ce qui est perçu grâce à notre intellect. C'est l'objectivisme.

Subjectivisme et objectivisme, idéalisme et matérialisme, forment les deux types fondamentaux de philosophie. Les deux sont des quêtes de l'intellect. On peut aussi trouver des philosophies qui sont un mélange des deux types de base. Mais est-ce qu'on peut trouver un autre type de philosophie qui n'appartienne pas à ces trois groupes ? La réponse est bien sûr négative. Il est impossible de construire une philosophie qui ne soit pas d'une certaine façon basée sur l'idéalisme, le matérialisme, ou un mélange des deux; c'est la nature de la philosophie. La philosophie est indéniablement restreinte à la sphère de l'intellect.

Mais dans cette troisième phrase du Genjô-kôan, nous voyons maître Dôgen insister sur le fait que le bouddhisme transcende originellement l'abondance et la rareté, au delà de toutes sortes d'analyses relativistes. Le mot "bouddhisme" dans la phrase est butsudô en japonais. butsu signifie "Bouddha ou bouddhiste", et "chemin, principe ou critère moral". Ainsi le mot traduit par bouddhisme réfère aussi au comportement bouddhiste, la conduite ou l'action. Je pense que dans cette phrase maître Dôgen dit que le bouddhisme n'appartient pas à la même sphère que l'analyse philosophique, qu'elle soit idéaliste ou matérialiste. Je pense que la sphère transcendante auquelle maître Dôgen fait allusion est la sphère de notre comportement ou conduite ; c'est à dire, nos actions elles-mêmes.

C'est un point très important pour comprendre les enseignements bouddhiques. Les philosophes ont tendance à croire que l'intellect est absolu, qu'il n'y a rien qui ne puisse être analysé avec les outils de la logique, rien qui ne puisse être décrit ou discuté avec des mots. Maître Dôgen donne un exemple dans (10) SHOAKU MAKUSA, Ne pas agir d'une mauvaise manière, de notre tendance à nous accrocher à l'intellect comme s'il s'agissait du tout-puissant. Il cite une discussion entre un célèbre poète chinois et le maître bouddhiste Choka Dorin (ch. Zhuoguo Daolin):

"Haku Kyo-i de la dynastie des Tang était un disciple laïc du maître Bukko Nyoman, et un disciple à la seconde génération du maître Baso Do-itsu. Quand il était préfet du district de Koshu, il étudiait avec maître Choka Dorin. un jour Kyo-i demanda : 'Quelle était donc la grande intention de l'enseignement du Bouddha?'

Maître Dorin répondit : 'Ne pas faire le mal. Faire le bien'.

Kyo-i répliqua : 'S'il en est ainsi, même un enfant de trois ans pourrait en dire autant'

Maître Dorin dit alors, 'Bien qu'un enfant de trois ans puisse prononcer cette vérité, un vieillard de quatre-vingts ans ne peut la mettre en pratique'.

A ces mots, Kyo-i se prosterna immédiatement en signe de remerciements, et puis partit."

L'histoire souligne la différence absolue entre dire 'Ne fais pas le mal' et effectivement ne pas faire le mal. Dans notre vie quotidienne, nous avons tendance à oublier cette différence, la différence entre l'idée d'une conduite correcte et la conduite correcte elle-même. C'est un des plus importants principes de la philosophie bouddhiste; la différence fondamentale et absolue entre pensée et action. Des bouddhistes se sont aperçu que le domaine de nos actions, de notre conduite, que notre comportement en ce monde est complètement différent du domaine de l'analyse intellectuelle ou de la perception sensorielle. C'est là le sens de la déclaration de maître Dôgen dans le Genjô-kôan :

"Le Bouddhisme est originellement transcendant sur l'abondance et le manque, et c'est pourquoi en réalité, il y a vie et mort, illusion et réalisation, des gens et des bouddhas."

Bien que la phrase soit une déclaration de la structure du travail philosophique de maître Dôgen, elle n'expose pas un concept intellectuel; elle fait allusion à nos actions réelles. Et elle dit que nos actions réelles sont en dehors de la sphère philosophique; elles la transcendent.

Nous avons maintenant un problème. Pouvons-nous permettre à la philosophie bouddhiste de contenir des déclarations qui ne sont pas des déclarations philosophiques prises comme telles, mais qui traitent d'une chose qui est au delà de la philosophie? Pouvons-nous affirmer qu'un tel système philosophique est valide et rationnel ? Dans la tradition de la pensée occidentale, ce n'est pas acceptable. Mais à moins que nous l'acceptions et allions de l'avant, nous ne serons pas du tout capables de comprendre la philosophie de maître Dôgen. Nous devrons la rejeter en tant que système philosophique.

Dans la philosophie occidentale, il y a une méthode qui me rappelle ce problème. C'est la méthode de la dialectique, très estimée du philosophe allemand Hegel (thèse, antithèse et synthèse) et utilisée par Karl Marx pour développer la doctrine du matérialisme dialectique. Maître Dôgen utilise un outil similaire à la dialectique en expliquant la relation triangulaire entre subjectivisme, objectivisme et bouddhisme.

Il est évident que maître Dôgen pense que le bouddhisme appartient à un domaine en dehors de la sphère intellectuelle. Cela étant, ce n'est pas une analyse intellectuelle per se. Mais en même temps, il met en avant le bouddhisme comme une philosophie réaliste. Que signifie une philosophie réaliste ?

 

La philosophie de l'action

Je pense que la troisième phrase du Genjô-kôan est la définition par maître Dôgen d'une philosophie de la réalité. L'histoire de Maître Choka Dorin citée précédemment nous rappelle que nous ne saisissons pas d'habitude la différence entre la capacité intellectuelles et l'action elle-même. Mais je pense que cette différence est cruciale : le Bouddha Gautama lui-même avait remarqué la nette différence entre ce que nous pensons qu'est la réalité et ce qu'une action est réellement. La philosophie bouddhiste est basée sur cette différence. Elle expose cette différence et, comme telle, est une philosophie complètement nouvelle. Je l'appelle la philosophie de l'action.

Au niveau de la vie quotidienne, nous voyons clairement que penser à manger est complètement différent de l'expérience réelle de manger. Et le goût de la nourriture est séparé et différent de l'action de manger. Ceci est trés clair, mais nous manquons souvent à reconnaître des faits aussi simples. Ceci est d'une importance fondamentale pour comprendre clairement la philosophie bouddhiste.

L'action est décrite dans la théorie bouddhiste comme le contact du sujet avec l'objet. C'est la rencontre de l'intérieur et de l'extérieur. On le voit dans l'insistance bouddhiste sur le fait que le corps et l'esprit sont un. L'action se passe toujours au moment présent. Le temps, ici et maintenant, est le sujet du chapitre du Shôbôgenzô intitulé U-Ji, Etre-Temps. Dans ce chapitre, maître Dôgen explique que le moment présent est la scène de toute action.

Ainsi, l'action diffère de la pensée. Agir est différent de percevoir avec les sens. L'action n'existe pas sans la négation de la pensée. L'action n'existe pas sans la négation de la perception sensorielle -- parce que l'action est en dehors de la sphère des pensées et des perceptions. En même temps, il n'est pas possible de construire une philosophie qui n'ait pas une base intellectuelle. Ainsi la philosophie de l'action est-elle de par sa propre nature une anomalie. Elle est basée sur la dénégation de l'intellect et de la perception sensorielle, mais elle repose sur les deux. C'est une véritable dialectique. C'est aussi une véritable contradiction. C'est la contradiction entre l'intellect et la réalité. Dans le domaine de l'intellect, on ne devrait jamais accepter des incohérences logiques, et on ne devrait jamais accepter l'opinion de certains selon laquelle la théorie bouddhiste est au delà de la logique. Aussi loin que l'explication intellectuelle puisse aller, on devrait maintenir des règles logiques strictes pour développer n'importe quelle structure théorique. Mais la philosophie de l'action pointe sur une chose qui est au-delà d'une image intellectuelle. C'est pourquoi il est si difficile de lui faire une place dans le système philosophique occidental. Mais son heure est venue : pour aller au delà des limites intellectuelles des philosophies existantes de notre civilisation, nous avons besoin d'une troisième philosophie.

La réalité

Ayant délimité les bases de notre nouveau point de vue philosophique, nous avons tendance à oublier que cette nouvelle philosophie n'est encore que ça. La philosophie de l'action ne peut jamais saisir l'ineffable nature de la réalité elle-même -- elle peut seulement montrer le chemin. Et la réalité que nous expérimentons tous est complètement différente de toutes les philosophies que nous pouvons élaborer. Il est impossible de la décrire totalement avec des mots. C'est pour ça que tant d'écrivains tentent de saisir la réalité avec des expressions symboliques et de la poésie.

Maître Dôgen dit dans la dernière phrase de ce paragraphe du Genjô Kôan, "Et même si tout ceci est vrai, les fleurs tombent bien que nous les aimions, et les mauvaises herbes poussent bien que nous les haïssions, et c'est tout." Dans cette phrase, il tente d'exprimer l'ineffable nature de la réalité.

L'usage d'expressions symboliques pour saisir la nature-même de la réalité est une étape que nous ne retrouvons pas de la même façon dans la pensée philosophique occidentale. C'est une étape au-delà de l'argumentation en trois phases, thèse, antithèse et synthèse. C'est une étape au-delà de la philosophie elle-même. Les explications de la réalité ne peuvent jamais être la réalité. C'est pourquoi j'appelle mon système philosophique en quatre parties : "trois philosophies et une réalité".

Trois philosophies et une réalité

Il y a eu deux systèmes philosophiques fondamentaux dans l'histoire de la pensée occidentale : l'idéalisme et le matérialisme. Il est aisé de trouver la base de ces deux systèmes dans le processus de la pensée humaine elle-même. Au début, lorsque nous pensons à un problème philosophique, notre train de pensées avance de prémice logique en prémice logique. Nous construisons un échafaudage rationnel dans nos têtes, et c'est cette entité qui devient l'objet de nos pensées et de nos croyances. Nos pensées sont basées sur l'intellect lui-même. C'est de cette manière que procédait Platon, et on appelle ça normalement 'idéalisme'; c'est à dire une philosophie centrée sur les idées elles-mêmes. On ne peut en aucun cas sous-estimer l'effet que la pensée idéaliste a eu sur l'histoire de la philosophie occidentale.

Mais dans l'histoire des idées, on peut trouver un autre courant distinct de pensée; courant dans lequel l'échafaudage rationnel que nous construisons est fondé sur la perceptions par les sens du monde extérieur. Ce que nous percevons à travers nos sens nous donne une image mentale du monde extérieur. Nous fondons nos idées et croyances sur cette information provenant de l'extérieur de l'esprit. Cette substance qui se trouve hors de l'esprit, nous l'appelons matière. Et une architecture rationnelle fondée sur la maitère s'appelle 'matérialisme'.

Ces deux philosophies de base viennent de sources différentes et sont fondamentalement opposées l'une à l'autre. Le fait est que nous ne disposons d'aucune base pour décider laquelle de ces deux visions du monde est vraie. Pendant des milliers d'années, les philosophes idéalistes ont soutenu que l'idéalisme est la vérité, que les idées sont la perfection véritable, et les philosophes matérialistes ont opposé leur désaccord, soutenant que le monde physique est la réalité véritable. Ce conflit qui, même vu de loin, semble presque comique, a occupé l'esprit d'un bon nombre de penseurs sincères depuis aussi loin que remontent nos sources.

Le Bouddha Gautama avait remarqué ce conflit qui s'était manifesté lors de sa propre recherche, et s'était beaucoup préoccupé d'y trouver une solution. Après une longue et sincère recherche, il trouva un jour qu'il vivait dans la réalité, pas dans la sphère de l'intelligence humaine qui est à la fois le lieu de l'idéalisme et du matérialisme. Dans la sphère intellectuelle, il n'y a que deux points de vue ; l'idéalisme, basé sur une approche subjective de la réalité, et le matérialisme qui est basé sur une approche objective. Sujet et objet peuvent être différenciés absolument dans nos esprits. C'est en fait ce que dit maître Dôgen dans le premier paragraphe du Genjô-kôan. L'idéalisme autant que le matérialisme ont des titres à être reconnus comme la véritable description de la réalité; on ne peut jamais décider laquelle des deux est la meilleure.

Le Bouddha Gautama trouva que la solution à ce conflit (entre les deux systèmes philosophiques fondamentaux) était de considérer les choses à partir d'une troisième sphère, qu'il appela nirodha satya, ou philosophie de la négation. Par négation, nous voulons dire négation à la fois de la pensée intellectuelle et de la perception sensorielle. En même temps, cette négation suggère un arrière plan d'action, qui n'appartient pas aux sphères de l'esprit ou des sens. Mais est-ce que la vie inclut des domaines en dehors des sphères de l'intellect et des sens? Ceci semble une insistance étrange. Ma réponse est 'oui'. Par exemple, les concepts et le nom des objets sont des étiquettes intellectuelles, mais les entités en elles-mêmes sont sans nom; elles existent telles quelles -- sans nom -- dans un domaine sans nom. Ceci est un fait très important, mais qu'on peut facilement négliger en ce monde dans lequel nous vivons, imprégné d'habitudes intellectuelles. Nous avons tendance à penser que les choses et phénomènes véritables qui nous entourent sont identiques aux concepts que nous en avons, et nous ne faisons donc pas la différence entre les choses telles que nous les appréhendons par l'intellect ou les sens, et les objets dans la réalité sans nom. C'est là l'illusion que le Bouddha Gautama a mis à jour dans la condition humaine.

Pour récapituler, donc, il y a eu trois courants de base dans l'histoire de la pensée philosophique; l'idéalisme, le matérialisme, et des systèmes philosophiques qui sont un mélange des deux. Cela reflète les deux modes de base de la pensée; pensées basées sur l'esprit et pensées basées sur les perceptions. A côté de ces trois grands courants, nous ne pouvons trouver aucun autre système philosophique qui soutiendrait une analyse approfondie. Récemment cependant, en particulier dans le domaine de la philosophie bouddhiste, nous avons vu l'émergence d'une "philosophie" qui est basée sur le concept de sunyata ou vacuité [4]. Ces penseurs proposent un système philosophique qui est différent de l'idéalisme, du matérialisme et de leur combinaisons, mais qui reste encore dans la sphère intellectuelle. Pour moi, en tant que moine bouddhiste, leur perspective est complètement sans fondement.

Parfois, dans le premier paragraphe du Genjô-kôan, il semble que maître Dôgen suggère l'existence d'une étrange sphère de l'intellect qui n'est ni idéaliste ni matérialiste, ni une combinaison des deux. Mais je pense que c'est un malentendu sur ce qu'il entend par transcendance de l'abondance et de la rareté. Transcender abondance et rareté signifie sortir des sphères de l'intellect et de la perception, cela ne signifie pas se débarrasser de ces deux domaines à l'intérieur de l'intellect -- ce n'est pas une négation intellectuelle de l'intellect aboutissant au "vide". Il nous est impossible de nous débarrasser de la différence entre abondance et rareté dans les domaines de l'esprit et de la perception. Mais le Bouddha Gautama, ainsi que maître Dôgen, ont découvert cette sphère qui n'est à l'intérieur ni de l'esprit ni la perception -- le domaine de l'action. La découverte de ce domaine et la clarification de sa nature en termes philosophiques résout le problème du conflit entre idéalisme et matérialisme. C'est la véritable contribution du bouddhisme à la philosophie mondiale.

A la fois Hegel et Marx semblent avoir remarqué le besoin de résoudre ce conflit, et ils ont tous deux tenté de trouver une philosophie qui s'élèverait au dessus de cette différence. Aucune n'a réussi, parce que leurs philosophies ne montraient pas, en définitive, une réalité au delà des sphères de l'intellect ou de la perception sensorielle. Bien que l'intérêt d'Hegel pour l'histoire du monde suggère son intérêt pour le monde réel en dehors du monde des idées, il s'est enfermé dans son concept de "monde-esprit", ce qui l'a ramené à des conclusions intellectuelles. L'intérêt de Marx pour les solutions matérielles l'a enfermé dans sa croyance en la réalité ultime de la matière, et en fin de compte, il a échoué lui-aussi dans sa tentative de dépasser le conflit.

La dialectique bouddhiste, cependant, diffère de façon importante de la dialectique d'Hegel ou de Marx en ce que la dialectique bouddhiste s'articule en quatre phases : thèse, antithèse, synthèse et réalité. La dialectique bouddhiste dit qu'il y a trois façons de voir la réalité, mais que finalement, l'objet de nos explications n'existe pas dans notre intelligence; il existe tel quel dans l'innommable réalité. Ainsi en ce sens, la philosophie bouddhiste sert de pont entre philosophie et réalité. C'est pourquoi la théorie bouddhiste semble si difficile à saisir.

Finalement, la réalité ne peut être mise en mots. Les bouddhistes utilisent l'image d'un doigt qui pointe vers la lune. La lune est le symbole de la réalité et le doigt celui des explications philosophiques. Ironiquement, les dialectiques hégélienne et marxiste se prennent au piège de l'excellence de leurs explications intellectuelles. Mais le bouddhisme pointe vers le monde réel d'une façon essentiellement pratique.

C'est un fait triste et pourtant amusant, que les êtres humains, depuis des milliers d'années, confondent l'image que nous construisons du monde à l'aide de nos excellentes facultés intellectuelles avec le monde réel dans lequel nous vivons. Nous avons échoué à reconnaître l'existence de la réalité. Même si nous vivons dans la réalité, nous sommes largement incapables de reconnaître ce fait.

Mais le Bouddha Gautama a reconnu ce fait après ses efforts pratiques dans la poursuite de la vérité, et je pense que le monde est maintenant en train d'entrer dans une nouvelle phase, une phase dans laquelle nous reconnaissons la nature de la réalité dans laquelle nous vivons ; pas un monde seulement d'esprit ni un monde de seule substance matérielle, mais un monde réel. Ceci est, je pense, la raison pour laquelle beaucoup de gens montrent maintenant un intérêt pour les croyances bouddhistes.

Mais le monde réel est ineffable, au delà de la description, et c'est la raison pour laquelle à la fois le Bouddha Gautama et maître Dôgen nous conseillent vivement de pratiquer zazen. Zazen nous enseigne la véritable nature de la réalité..

Dans la phase ultime, ensuite, nous devons penser à ce qui est impossible de penser. C'est la raison fondamentale pour laquelle le Shôbôgenzô de maître Dôgen paraît si difficile. Mais si nous étudions le Shôbôgenzô, nous pouvons y trouver un système philosophique qui est basé sur le réalisme, une philosophie pour aujourd'hui.

La Structure du Shôbôgenzô

Le Shôbôgenzô a eu plusieurs versions, les trois plus utilisées sont l'édition en 12 chapitres, celle en 75 chapitres et celle en 95 chapitres. Les deux premières sont de très anciennes éditions qui n'ont jamais été imprimées, mais qui ont été maintes fois copiées à la main et sont d'une précision inconnue. L'édition en 95 chapitres inclut tous les chapitres des deux autres éditions, à l'exception du chapitre intitulé Ippyaku Hachi Hômyo Mon. Cette édition, étant la plus complète, a été éditée à l'époque Genroku (1688-1703) et a été imprimée sur des plaques de bois en 1816. Cela a eu pour conséquence de fixer son contenu à compter de cette époque jusqu'à la seconde guerre mondiale.

Après la guerre, quelques jeunes érudits de l'époque ont conjecturé que l'édition en 75 chapitres était plus fidèle parce qu'elle avait été éditée par maître Dôgen lui-même. Ils trouvèrent une copie constituée de 75 chapitres, qu'ils proclamèrent avoir été copiée par maître Dôgen lui-même. Les analyses ultérieures des calligraphies ont jeté un doute sur cette thèse qui reste à démontrer.

Une seconde raison de cette nouvelle préférence pour l'édition en 75 chapitres était l'opinion du Docteur Kunihiko Hashida, un psychologue du Japon d'avant-guerre et spécialiste du Shôbôgenzô. Le Docteur Hashida pensait que l'arrangement chronologique des chapitres de l'édition en 95 chapitres rendait difficile la compréhension du système philosophique dans sa globalité, alors que l'édition à 75 chapitres ne présentait pas de tels problèmes. Quand j'ai entendu ceci, j'ai lu moi aussi l'édition en 75 chapitres pour voir si je pouvais être d'accord avec lui. Malheureusement, j'ai trouvé les deux éditions aussi difficiles à comprendre l'une que l'autre. Qui plus est, j'ai trouvé qu'en contraste avec l'édition en 95 chapitres, les chapitres de la première moitié de l'édition à 75 chapitres n'étaient pas en ordre chronologique alors que ceux de la seconde moitié l'étaient. Cette incohérence m'a conduit à remettre en cause l'affirmation selon laquelle la version en 75 chapitres est plus facile à comprendre

Ma propre préférence pour l'édition en 95 chapitres repose sur les points suivants :

1. l'édition en 95 chapitres a été la première a être imprimée, à dater de quoi le contenu en a été fixé.

2. l'édition en 95 chapitres est la collection la plus complète des enseignements de maître Dôgen, à l'exception du chapitre Ippyaku Hachi Hômyo Mon..

3. La question de savoir si maître Dôgen a compilé lui-même l'édition en 75 chapitres reste ouverte.

4. Les chapitres de l'édition en 95 chapitres sont arrangés par ordre chronologique selon la date à laquelle ses enseignements furent donnés, ce qui représente une base d'arrangement cohérente d'une utilité historique pratique

Titres des chapitres

Les titres des chapitres de l'édition en 95 chapitres sont donnés ci-après. Mon propre ouvrage Gendai Goyaku Shôbôgenzô, qui contient le texte original du Shôbôgenzô, sa traduction en japonais moderne et mes commentaires, regroupe les chapitres en 12 volumes. Dans l'édition anglaise, les chapitres sont regroupés en quatre volumes.

VOLUME UN

1. BENDOWA: De la recherche de la Vérité
2. MAKA HANNYA HARAMITSU: Mahâ Prajña Parâmitâ
3. GENJO KÔAN: L'Univers réalisé
4. IKKA NO MYOJU: Une perle claire
5. JU-UN-DO SHIKI: Réglements pour la salle du lourd nuage
6. SOKUSHIN ZE BUTSU: L'esprit ici et maintenant est le Bouddha
7. SENJO: Toilette
8. RAIHAI TOKUZUI: Se prosterner et atteindre la moëlle
9. KEISEI SANSHIKI: Les voix des gorges et la forme des montagnes
10. SHOAKU MAKUSA: Ne pas faire le mal
11. U-JI: Etre-temps
12. KESA KUDOKU: Les mérites du Kasaya
13. DEN-E: La transmission de la robe
14. SAN SUI GYO: le sûtra des montagnes et de l'eau
15. BUSSO: Les patriarches bouddhistes
16. SHISHO: Le certificat de transmission
17. HOKKE TEN HOKKE: Le Dharma du Lotus devient le Dharma du Lotus
18. SHIN FU-KATOKU: L'esprit ne peut être saisi (I)
19. SHIN FU-KATOKU: L'esprit ne peut être saisi (II)
20. KOKYO: Le miroir éternel
21. KANKIN: La lecture des sûtras

VOLUME DEUX

22. BUSSHO: La nature de Bouddha
23. GYOBUTSU IIGI: Le digne comportement d'un Bouddha agissant
24. BUKKYO: L'enseignement du Bouddha
25. JINZU: pouvoirs magiques
26. DAIGO: La grande réalisation
27. ZAZEN SHIN: Une aiguille pour Zazen
28. BUTSU KOJO NO JI: Sur la réalité ascendante du Bouddha
29. INMO: Ça
30. GYOJI: Pure conduite et observance des préceptes (I)
30. GYOJI: Pure conduite et observance des préceptes (II)
31. KAI-IN ZANMAI: Sagara Mudra Samadhi, Un état semblable à la mer
32. JUKI: Affirmation
33. KAN-NON: Avalokiteçvara
34. ARAKAN: Arhat
35. HAKUJUSHI: Les cèdres
36. KOMYO: Clarté
37. SHINJIN GAKUDO: Apprendre la Vérité avec le Corps et l'Esprit
38. MUCHU SETSUMU: Prêcher un rêve dans un rêve
39. DOTOKU: Exprimer la vérité
40. GABYO: Image d'un gâteau de riz
41. ZENKI: Toutes les fonctions

VOLUME TROIS

42. TSUKI: La lune
43. KUGE: Fleurs de l'espace
44. KOBUSSHIN: L'esprit des bouddhas éternels
45. BODAISATTA SHI-SHO-BO: Quatre éléments des relations sociales d'un bodhisattva
46. KATTO: Les complications
47. SANGAI YUISHIN: Le triple Monde est seulement esprit
48. SESSHIN SESSHO: Exposer l'esprit et exposer la nature
49. BUTSUDO: La vérité bouddhique
50. SHOHO JISSO: Tous les dharmas sont forme réelle
51. MITSU GO: Chuchotements mystiques
52. BUKKYO: les sûtras bouddhiques
53. MUJO SEPPO: Le non-émotionnel prêche le Dharma
54. HOSSHO: La nature du Dharma
55. DARANI: Dharani
56. SENMEN: Se laver le visage
57. MENJU: la transmission face-à-face
58. ZAZEN GI: la méthode standard de Zazen
59. BAIKE: Fleurs de pruniers
60. JUPPO: Les dix directions
61. KENBUTSU: Rencontrer le Bouddha
62. HENSAN: Exploration approfondie
63. GANZEI: Les yeux
64. KAJO: La vie quotidienne
65. RYUGIN: Le murmure des dragons
66. SHUNJU: Printemps et automne
67. SOSHI SAIRAI NO I: L'intention du premier Patriarche en venant de l'Ouest
68. UDONGE: La fleur d'udumbara
69. HOTSU MUJOSHIN: Etablissement de la Volonté vers le Suprême
70. HOTSU BODAISHIN: Etablissement de l'esprit d'éveil
71. NYORAI ZENSHIN: Le corps entier de l'Ainsi-Venu
72. ZANMAI O ZANMAI: Le Samadhi Roi des Samadhis

VOLUME QUATRE

73. SANJU-SHICHI-BON BODAI BUNBO: Les trente-sept méthodes auxiliaires de la Bodhi
74. TENBORIN: Tourner la roue du Dharma
75. JISHO ZANMAI: Le Samadhi comme expérience personnelle
76. DAI SHUGYO: La grande pratique
77. KOKU: L'espace
78. HATSU-U: Le Patra
79. ANGO: La retraite
80. TASHINTSU: Le pouvoir de connaître les pensées des autres
81. O SAKU SENDABA: Le roi demande son saindhava!
82. JI KU-IN MON: Avis à afficher dans la cuisine
83. SHUKKE: Quitter la vie de famille
84. SANJI NO GO: Le karma en trois temps
85. SHIME: Les quatre chevaux
86. SHUKKE KUDOKU: Le mérite à quitter la vie de famille
87. KUYO SHOBUTSU: Servir des offrandes aux bouddhas
88. KI-E SANBO: Prendre refuge dans les trois trésors
89. SHINJIN INGA: Foi profonde dans les causes et les conséquences
90. SHIZEN BIKU: Le Bhiksu qui s'est mépris sur le quatrième Dhyana
91. YUI-BUTSU YO-BUTSU: Seuls les bouddhas, ensemble avec les bouddhas
92. SHOJI: Vie et mort
93. DOSHIN: Volonté de vérité
94. JUKAI: Recevoir les préceptes
95. HACHI DAI NINGAKU: Huit vérités d'un grand être humain

APPENDICE

Mon ouvrage contient les chapitres supplémentaires suivants :

BUTSUKOJO NO JI: Le problème de l'état ascendant de bouddha (extrait de la version restreinte du Shôbôgenzô)
IPPYAKU HACHI HÔ MYO MON: Les cent-huit portes qui clarifient le Dharma (tiré de l'édition en 12 chapitres)

Regroupement des chapitres

Comme je l'ai déjà indiqué, je crois que maître Dôgen a basé son système philosophique sur Trois Philosophies et Une Réalité. Ce qui signifie que nous pouvons regrouper les chapitres du Shôbôgenzô en quatre groupes correspondants.

J'ai donc divisé les chapitres en quatre groupes selon les quatre critères suivants :

1. Idéalisme ou point de vue subjectif
2. Matérialisme ou point de vue objectif
3. Réalisme ou point de vue réel
4. La réalité elle-même

Le premier groupe contient les chapitres qui traitent de l'esprit, de la théorie, de la pensée, du sens, des valeurs religieuses. Le second groupe contient les chapitres qui traitent des choses, de la matière, de la nature, du monde extérieur, de l'espace. Le troisième groupe contient les chapitres qui traitent de l'unité du corps et de l'esprit, de l'unité de l'esprit et de la matière, du moment présent, de l'action. Le dernier groupe contient les chapitres traitant de l'ineffable, de l'inexprimable, de la réalité, de l'expression symbolique de la réalité.

Le premier groupe contient 23 chapitres, le second 26, le troisième 27 et le dernier 19.

Mise en catégories des chapitres

J'ai ensuite subdivisé chaque groupe suivant les catégories suivantes::

G(S) Point de vue subjectif -- Esprit, Bouddhisme, Théorie, Intuition, Bouddha
G(O) Point de vue objectif -- Univers, Univers révélé, Nature, Nature révélée, Cause et Effet, Tradition
G (A). Point de vue réel - Etablissement de la Croyance, Préceptes, Vie quotidienne, Action, Pratique bouddhiste, Temps
G (R). La réalité elle-même -- Buts, Etat Bouddhique, Ce Qui Existe, Zazen, Etat pendant Zazen

Les chapitres une fois classés selon ces catégories donnent la liste suivante :

G (S)

Esprit

(S) HOTSU MUJO SHIN: Etablissement de la Volonté vers le Suprême(69)
   HOTSU BODAISHIN: Etablissement de l'esprit d'éveil (70)
   DOSHIN: Volonté de vérité (93)
(O) SESSHIN SESSHO: Exposer l'esprit et exposer la nature (48)
(A) KOBUSSHIN: L'Esprit des Bouddhas éternels (44)
(R) SHIN FU-KATOKU: L'Esprit ne peut être saisi (18)
   SHIN FU-KATOKU: L'Esprit ne peut être saisi (19)

Bouddhisme

(S) BUKKYO: L'enseignement du Bouddha (24)
(O) KANKIN: Lire les sûtras (21)
(A) TENBORIN: Tourner la roue du Dharma (74)
(R) KI-E SANBO: Prendre refuge dans les Trois Trésors (88)

Théorie

(S) GABYO: Image d'une boulette de riz (40)
(O) KUGE: Fleurs de l'espace (43)
(A) MUCHU SETSUMU: Prêcher un rêve dans un rêve (38)
(R) DOTOKU: Exprimer la Vérité (39)

Intuition

(S) MAKA HANNYA HARAMITSU : Mahâ Prajña Parâmitâ (2)
(O) TASHINTSU : Le Pouvoir de Connaître les pensées des autres (80)
(A) KOKYO : Le Miroir éternel (20)
(R) KAN-NON : Avalokiteçvara (33)

Bouddha

(S) YUIBUTSU YOBUTSU: Seuls les bouddhas, ensemble avec les bouddhas (91)
(O) SOKUSHIN ZE BUTSU: L'Esprit ici et maintenant est Bouddha (6)
(A) BUSSHO: La nature de Bouddha(22)
(R) BUSSO: Les patriarches bouddhistes (15)

G (O)

L'Univers

(S) GENJO KOAN: L'Univers réalisé (3)
(O) JUPPO: Les dix directions (60)
(A) NYORAI ZENSHIN: Le corps entier de l'Ainsi-Venu (71)
(R) IKKA NO MYOJU: Une perle claire(4)

L'univers révélé

(S) BUKKYO: Les Sûtras Bouddhiques (52)
(O) MUJO SEPPO: Le non-émotionnel prêche le Dharma (53)
(A) SHOHO JISSO: Tous les Dharmas sont forme réelle (50)
(R) HOKKE TEN HOKKE: Le Dharma du Lotus devient le Dharma du Lotus (17)

La nature

(S) KEISEI SANSHIKI: Les voix des gorges et la forme des montagnes (9)
(O) SAN SUI GYO: Le Sûtra des Montagnes et de l'eau (14)
(A) TSUKI: La lune (42)
(R) BAIKE: Fleurs de prunier (59)

La nature révélée

(S) SANGAI YUISHIN: Le Triple Monde est seulement Esprit (47)
(O) KOKU: L'espace(77)
(A) GANZEI: Les yeux (63)
(R) RYUGIN: Le murmure des dragons (65)

Causes et effets

(S) SHINJIN INGA: Profonde Croyance aux Causes et Effets (89)
(O) SHIZEN BIKU: Le Moine qui s'est mépris sur le quatrième Dhyana (90)
(A) SANJI NO GO: Karma en Trois Temps (84)
(R) DAI SHUGYO: La sublime pratique (76)

La tradition

(S) SHIME: Les quatre chevaux (85)
(O) HAKUJUSHI: Les cèdres (35)
(A) KESA KUDOKU: Les mérites du Kasaya (12)
   DEN-E: La transmission de la Robe (13)
   HATSU-U: Le Patra (78)
(R) SHISHO: Le Certificat de transmission (16)

G (A)

Etablissement de la croyance

(S) SHUKKE: Quitter la vie de famille (83)
   SHUKKE KUDOKU: Le mérite à quitter la vie de famille (86)
   JUKAI: Recevoir les préceptes (94)
(O) JU-UN-DO SHIKI: Règles pour la Salle du Lourd Nuage (5)
(A) KAJO: Vie quotidienne (64)
(R) RAIHAI TOKUZUI: Se prosterner et recevoir la moëlle (8)

Les préceptes

(S) SANJU-SHICHI-BON BODAI BUNBO: Les trente-sept méthodes auxiliaires de la Bodhi (73)
(O) JI KU-IN MON: Avis à afficher dans la cuisine (82)
(A) BODAISATTA SHI-SHO-BO: Quatre éléments des relations sociales d'un bodhisattva (45)
(R) HACHI DAI NINGAKU: Huit Vérités d'un Grand Personnage (95)

La vie quotidienne

(S) KUYO SHOBUTSU: Servir des Offrandes aux Bouddhas (87)
(O) SENJO: La toilette (7)
   SENMEN: Se laver le visage (56)
(A) JINZU: Le pouvoirs magiques (25)
(R) DARANI: Dharani (55)

L'action

(S) SHOAKU MAKUSA: Ne pas faire le mal (10)
(O) GYOBUTSU IIGI: Le Digne comportement d'un Bouddha agissant (23)
(A) SHIJIN GAKUDO: Apprendre la Vérité avec le Corps et l'Esprit (37)
(R) GYOJI (I,II): Pure conduite et observance des préceptes (30)

La pratique bouddhique

(S) HENSAN: Exploration approffondie (62)
(O) SOSHI SAIRAI NO I: L'Intention du Premier Patriarche en Venant de l'Ouest (67)
(A) MENJU: La Transmission Face à Face (57)
(R) KENBUTSU: Rencontre avec le Bouddha (61)

Le temps

(S) SHUNJU: Printemps et automne (66)
(O) ANGO: La retraite (79)
(A) UJI: Etre-temps (11)
(R) SHOJI: Vie et mort (92)

G (R)

But

(S) DAIGO: La grande réalisation (26)
(O) JUKI: Affirmation (32)
(A) BUTSUDO: La voie bouddhique (49)
(R) BUTSU KOJO NO JI: De la Réalité Ascendante du Bouddha (28)

L'état bouddhique

(S) MITSU GO: Le langage secret (51)
(O) UDONGE: La fleur d'udumbara (68)
(A) KATTO: L'inexprimable (46)
(R) KOMYO: Clarté (36)

Ce qui existe

(S) ARAKAN: Arhat (34)
(O) IPPIAKU HACHI HOMYO MON: Cent Huit Portes pour Clarifier le Dharma (Appendice)
(A) ZENKI: Toutes les fonctions (41)
(R) O SAKU SENDABA: Le roi demande son saindhava! (81)

Zazen

(S) BENDOWA: De la Poursuite de la Vérité (1)
(O) ZAZEN GI: La méthode Standard de Zazen (58)
(A) ZAZEN SHIN: Une aiguille pour Zazen (27)
(R) ZANMAI O ZANMAI: Le Samadhi roi des Samadhis (72)

L'état pendant Zazen

(S) JISHO ZANMAI: Le Samadhi comme expérience personnelle (75)
(O) HOSSHO: La Nature du Dharma (54)
(A) KAI-IN ZANMAI: Sagara Mudra Samadhi, Un Etat Semblable à la Mer (31)
(R) INMO: Ça (29)

Je ne prétends pas que ceci soit la seule manière de classer les chapitres dans le Shôbôgenzô, mais cela nous donne un moyen de situer chaque chapitre dans (la structure globale de) l'ouvrage.

Constitution des chapitres

A l'intérieur des chapitres, nous trouvons une structure similaire au niveau des paragraphes. Je voudrais illustrer cela concrètement en examinant le chapitre Genjô-kôan que j'ai déjà cité précédemment. Ce chapitre fait une bonne introduction générale au Shôbôgenzô, et je l'analyse ici en détail.

[Aller au Genjô-kôan]




Notes

1. Cette citation, ainsi que toutes celles qui suivent, dans cet article, sont tirées de la traduction de G.W. Nishijima et Mike Cross.[retour]

2. Fu est une négation, raku signifie "tomber", dans signifie "cause" et ka signifie "effet". La traduction littérale est donc "ne tombe pas [dans] la cause et l'effet." [retour]

3. Fu est une négation, mai signifie "pas clair" ou "ignorant", et inga signifie "cause et effet". La traduction littérale est donc "ne pas [être] pas clair [à propos] de la cause et de l'effet." [retour]

4. Je traite ce problème en détail dans mon article "A Buddhist Monk's View de the Theological Encounter III" soumis pour publication dans The Journal de Buddhist-Christian Studies. [retour]

5. "Toutes choses et phénomènes" est à l'origine sho-ho (tous les dharmas). Le mot sanscrit dharma a de nombreux sens, par exemple, loi, enseignements, substance, entité, chose, pratique, etc. [ [retour] [retour] [retour]

6. "Enseignements bouddhistes" est à l'origine buppo (dharma bouddhiste). [retour]

7. "Millions de choses et de phénomènes" est à l'origine banpo (dizaines de milliers de dharmas). [retour]

8. "Trace" et "signes" sont à l'origine le même mot -- seki. "Continuellement, moment par moment" est à l'origine cho-cho (long-long). [retour]

9 "Sans apparence" est fu-sho. Fu exprime la négation. Sho signifie "apparaître" ou "apparition," et aussi "vivre" ou "vie." Selon la théorie bouddhiste de l'instantanéité, l'Univers appraît et disparaît à chaque instant. C'est à dire que l'Univers existe momentanément. Et c'est parce qu'il existe momentanémentqu'il n'est pas possible de dire qu'il apparaît ou disparaît d'un moment au suivant. Donc "sans apparition" exprime l'instantanéité de l'Univers, et "sans disparition" exprime aussi l'instantanéité de l'Univers. [retour]

10. Dans tout ce paragraphe, "être réfléchi dans" est à l'origine yadoru, demeurer. [retour]

11. Litt. "ne rompt pas." Autrement dit, la réalisation ne change pas l'homme lui-même. [retour]

12. Autrement dit, un homme ne change pas l'état de la réalisation. [retour]

13. Litt. "Pour ce qui est de la longueur et de la brièveté du temps, nous devons examiner la petite eau et la grande eau, et il nous faut discerner la largeur et l'étroitesse du ciel et de la lune." [retour]

14. Litt. "un côté." [retour]

15. "Collier de perles" est à l'origine yo-raku, du sanscrit muktahara. Cette phrase fait référence à une idée citée dans le commentaire intitulé Sho Dai Jo Ron Shaku Ryaku Jo. L'idée, c'est que différents sujets voient le même océan de façons différentes. Pour un poisson, c'est un palais, pour les dieux, c'est comme un collier de perles, pour les humains, c'est de l'eau, et pour les démons, c'est du sang ou du pus. [retour]

16. Banpo. Voir note 7. [retour]

17. Litt. "Poussière intérieure" (le monde séculier) et "au-delà du cadre" (le monde bouddhiste transcendant). [retour]

18. Banpo no kafu. Litt. "le style habituel de dizaines de milliers de choses et de phénomènes." Ka signifie "foyer", la vie quotidienne ou usuelle. Fu signifie le vent, l'atmosphère, ou le style. [retour]

19. La phrase d'origine est dans le style d'une double négation: "Il ne s'agit pas de ne pas réaliser les limitations à chaque tête, et il ne s'agit pas de ne pas faire de pirouettes à chaque endroit." [retour]

20. Litt. "obtenir" ou "atteindre." [retour]

21. "Pas toujours défini" est à l'origine deux caractères, ka et hitsu. On se servait de ces caractères en chinois pour exprimer les questions: "Comment faut-il...?" ou "Comment peut-on décider que...?" [retour]

22. Successeur de Maître Baso Do-itsu (ch. Mazu Daoi). [retour]

23. "Fait" et "principe" sont à l'origine le même mot dori. [retour]

24. Shinji Shobogenzo.2° pt, no.23. Selon l'histoire rapportée dans le Shinji Shobogenzo, après les prosternations du moine, le maître dit, "Inutile maître de moines! SI tu avais mille étudiants, quel gain en tirerais-tu?" [retour]

25. "Comportement" est à l'origine "air" (fu). Fu signifie "vent," "air" ou "atmosphère," et donc "style", "coûtumes," "façons" ou "comportement." Il sert souvent dans le Shobogenzo dans ce dernier sens, par exemple, para.[90] de ce chapitre dans la phrase banpo no ka-fu, "la manière dont sont naturellement les choses" [retour]

26. Litt. "le chemin vigoureux authentiquement transmis." [retour]

27. Maître Goso Ho-en disait dans son prêche formel, "Changer la Terre en or, et cailler la Voie Lactée en fromage." Fromage est so-raku, qui est un produit laitier comme le yoghourt ou le fromage. La métaphore est encore plus appropriée en anglais que sous sa forme d'origine, puisque la galaxie que nous appelons "Voie Lactée" s'appelle en chinois la "Longue Rivière". [retour]

28 Litt. "vers le milieu de l'automne." Dans le calendrier lunaire, l'automne est en juillet, août, et septembre. En août le 15 tombait toujours sur la pleine lune. Comme le ciel d'automne est habituellement très clair, on disait que ce jour était le meilleur pour observer la lune. Maître Dogen aimait à regarder la lune, de sorte que le 15 août était pour lui une de ses journées de prédilection [retour]

 


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