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Cette page a été mise à jour le 7 juillet 2008

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Les enseignements de Gudo Wafu Nishijima Rôshi

Bref historique du Bouddhisme japonais après Meiji

©Windbell Publications

(Suite)

La philosophie du Mûlamadhyamakâkarikâ

Les deux premiers chapitres de la Mûlamadhyamakâkarikâ contiennent un exposé fondamental de la pensée bouddhique de maître Nâgârjuna, et donnent une image assez nette de ce qu'il croyait.

(1) Affirmation de ce monde

Au début de l'ouvrage, avant le premier chapitre, maître Nâgârjuna a placé un quatrain dans lequel il établit sa compréhension des enseignements du Bouddha Gautama. Le quatrain nous montre le Bouddha Gautama prêchant pratitya samutpada, le fait que la totalité de ce que nous pouvons voir est ce monde (prapança), qui est calme (upasama et gracieux (siva).

(2) Négation de la subjectivité et de l'objectivité

Au début du premier chapitre, maître Nâgârjuna nie que la subjectivité (svata) et l'objectivité (parata) aient une vue complète sur la réalité ni qu'elles soient en elles-mêmes de réelles entités. Par subjectivité il veut dire les pensées et les idées, et par l'objectivité, il veut dire les perceptions qui proviennent des organes des sens. La civilisation occidentale nous a donné deux systèmes philosophiques majeurs : l'idéalisme et le matérialisme. La réfutation par maître Nâgârjuna de ces deux positions est une critique des doctrines qui veulent que le seul point de vue idéaliste, ou le seul point de vue matérialiste, puissent nous dire ce qu'est la réalité. L'affirmation paraît osée, mais depuis l'origine la philosophie bouddhique est connue pour réfuter ces deux points de vue extrêmes, sasvatadrsti et ucchedadrsti. Sasvatadrsti se réfère à la croyance en une âme éternelle et donc à l'éternité de ce monde, et en tant que telle est une ancienne forme indienne d'idéalisme. Ucchedadrsti se réfère à la croyance en la seule manifestation physique instantanée du monde ; elle nie l'existence autant que la valeur de la morale, et prétend que le monde n'est que la matière que nous percevons devant nous. Elle est ainsi une forme ancienne du matérialisme. C'est ce qui m'a conduit à interpréter la réfutation de la sasvatadrsti et de l'ucchedadrsti par maître Nâgârjuna dans le premier vers, en tant que critique des points de vue de l'idéalisme et du matérialisme.

Toutefois, ceux-ci restent les philosophies fondamentales sur lesquelles reposent nos civilisations, et réfuter leur validité semblerait ne plus rien nous laisser sur quoi nous reposer. Le Bouddhisme les réfute pourtant tous deux, et à leur place établit une philosophie fondée sur l'action, ou la réalité elle-même. Il peut sembler étrange qu'une philosophie ne se fonde pas sur l'intellect ; on pense habituellement que la philosophie ne traite que de la pensée. Il nous est presque impossible d'imaginer le contenu d'une philosophie qui ne serait pas basée sur les points de vue intellectuels de l'idéalisme ou du matérialisme. Pourtant, je suis assez sûr de moi pour affirmer que le système philosophique utilisé par le Bouddhisme est basé sur un point de vue différent de ces deux, et je voudrais souligner qu'il s'agit d'un point-clef dans la compréhension de ce qu'est le bouddhisme.

(3) Les quatre croyances

Bien que sa première partie nie que ce que nous pensons (la subjectivité) et ce que nous percevons (l'objectivité) soient des descriptions fondamentales de la réalité, maître Nâgârjuna poursuit en proclamant l'existence de quatre croyances fondamentales (pratyaya) qui les incluent toutes deux. Il les énonce comme étant : [1] hetu, la raison, [2] alambana, les cinq attributs des choses (c.-à-d., forme, son, odeur, goût et toucher), [3] anantara, sans intérieur, c'est-à-dire le moment présent, et [4] tathaivadhipateya, le vrai monde "semblable au Seigneur". Maître Nâgârjuna les définit des croyances, parce qu'avec son esprit vif, il avait remarqué que, bien que ces quatre soient des fondamentaux de la conscience humaine, il n'y a aucun moyen de prouver leur existence ; ainsi ne pouvons nous que croire qu'ils existent.

(4) L'action

Dans la quatrième partie de son premier chapitre, maître Nâgârjuna insiste sur la séparation entre l'action (kriya) et les quatre croyances (pratyaya). Il soutient que, dans nos vies réelles, l'agir est bien plus réel qu'aucune de ces quatre croyances. Des vingt-sept chapitres que contient la Mûlamadhyamakâkarikâ, quatorze (les chapitres 8 à 21) sont consacrés aux explications sur l'action.

Dans le second chapitre, il décrit l'absolue différence entre un acte réel à l'instant présent, et le concept « action ». Ceci n'est pas un sujet courant en philosophie, mais il me parait d'une importance fondamentale de reconnaître la différence qui existe entre ce que nous pensons et ce que nous faisons vraiment : notre action.

Dans la première partie du second chapitre, maître Nâgârjuna donne en exemple l'activité d' « aller » et affirme que « allé » (reconnaissance dans le présent d'une action qui a eu lieu dans le passé), « allant » (reconnaissance dans le présent d'une action en train d'avoir lieu dans le présent), et « non (encore) allé » (reconnaissance dans le présent d'une action qui doit encore avoir lieu) sont tous différents de l'acte réel et instantané d'aller dans le moment présent. Notre vie n'est pas agie dans le domaine de notre pensée et elle ne l'est pas non plus dans celle de nos perceptions. Elle est action dans l'ici et maintenant. C'est là le thème central de la croyance bouddhique, et c'est de lui que sont sorties toutes les autres théories bouddhiques. 

Lorsque nous agissons, nous faisons l'expérience de quelque chose, mais ce que nous expérimentons est différent de ce que nous pensons ainsi que de ce que nous percevons. Dans notre processus de pensée, nous effectuons une séparation entre le sujet qui pense et l'objet de nos pensées : la personne qui pense peut reconnaître ce à quoi elle est en train de penser. Et dans notre processus de perception, nous effectuons une séparation entre le sujet qui perçoit et l'objet de notre perception : la personne qui perçoit peut décrire ce quelle perçoit. Mais dans l'action, il n'y a pas de séparation entre le sujet et l'objet : il sont un tout un et indivisible. Au moment d'agir, il est difficile ou impossible pour la personne agissant de décrire ou d'observer ce qu'elle fait pendant qu'elle le fait. C'est en raison de ce fait que, malgré les nombreux systèmes philosophiques de type idéaliste ou matérialiste qui parcourent l'histoire de la civilisation, ceux qui sont fondés sur autre chose que ces deux points de vue sont si rares. Depuis des milliers d'années, il est entendu que toute philosophie a une base intellectuelle et traite de ce fait tous les sujets au plan intellectuel. Cependant, les penseurs bouddhistes ont tenté de manière répétée de formuler une philosophie fondée sur l'action elle-même, et la tentative de maître Nâgârjuna est extrêmement réussie.

(5) Identité de l'action présente et du Dharma.

Dans la neuvième partie du premier chapitre, maître Nâgârjuna dit que lorsque le Dharma n'apparaît pas, il est impossible au nirodha, l'auto-régulation dans notre action, d'exister. J'ai interprété nirodha comme « auto-restriction », ou « auto-régulation », c'est-à-dire, l'état dans lequel les personnes se règlent dans l'action présente. Maître Nâgârjuna, donc, affirme que l'auto-régulation et le Dharma sont identiques ; que lorsque nous agissons à l'instant présent, alors le Dharma, ce monde-ci, apparaît ; et qu'agir à l'instant présent est la véritable existence de ce monde. Quoique cette vision soit spécifique au Bouddhisme, et qu'elle pourra paraître extraordinaire à certains, je suis convaincu que telle est la véritable signification de la Mûlamadhyamakâkarikâ

La suite: La philosophie du Shôbôgenzô


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