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Shôbôgenzô Bendôwa troisième partie
(Retour à la seconde partie)


    C'est pour cette raison que, lorsque des shintoïstes des [lignées du] yin et [du] yang [58] viennent se consacrer, et lorsque les arhats qui ont fait l'expérience de l'effet [59] viennent s'enquérir du Dharma, nous donnons à chacun d'eux, sans faute, les moyens de clarifier l'état mental. C'est une chose dont on n'a jamais entendu parler dans les autres lignées. Les disciples du Bouddha devraient simplement apprendre le Bouddha-Dharma. Qui plus est, nous devons nous rappeler que, depuis le début, l'état suprême de la bodhi ne nous a jamais fait défaut, et que nous le recevrons et l'utiliserons à jamais. En même temps, puisque nous ne pouvons le percevoir directement [60], nous avons tendance à générer des idées intellectuelles aléatoires, et comme nous courrons après ces dernières comme si elles étaient des choses réelles, c'est en vain que nous passons à côté du grand état de vérité.

De ces idées intellectuelles prennent naissance toutes sortes de fleurs dans l'espace [61]: nous réfléchissons à la dodécuple chaîne [62] et aux vingt-cinq sphères de l'existence; et les idées des trois véhicules et des cinq véhicules [63] ou d'avoir [la nature de] Bouddha et de ne pas avoir
[la nature de] Bouddha sont sans fin. Nous ne devons pas croire que d'apprendre ces idées intellectuelles soit la voie correcte de la pratique bouddhique. Lorsque nous sommes simplement assis en zazen, d'autre part, en nous fondant sur exactement la même posture que le Bouddha, et en laissant filer les myriades de choses, c'est alors que nous allons au-delà des aires de l'illusion, de la réalisation, de l'émotion et de la considération, et que nous ne sommes pas concernés par les façons de faire du commun et du sacré. C'est immédiatement que nous partons hors du cadre [intellectuel], recevant et utilisant le grand état de bodhi. Comment ceux qui sont pris au piège des mots pourraient-ils se comparer [à ceci].

[37]     [Quelqu'un] demande: "Entre les trois sortes d'entraînement [64], il y a l'entraînement dans l'état équilibré, et entre les six pâramitâs [65], il y a la pâramitâ du dhyâna, et ce sont les deux choses que tous les bodhisattvas apprennent dès le début et que tous les bodhisattvas pratiquent, sans égard au fait qu'ils soient malins ou stupides. Le zazen [dont vous parlez] maintenant est sûrement [seulement] une de ces choses. Pourquoi dites-vous que le Dharma correct du Tathâgata est concentré sur cette [pratique de zazen]?"

Je dis: La question se pose parce que ce trésor de l'oeil du Dharma correct, la grande et suprême méthode, qui est vraiment la grande affaire [66] du Tathâgata, a été appelée "Ecole Zen". Rappelez-vous que ce titre d' "Ecole Zen" a été instauré en Chine et en Orient; on n'en a jamais entendu parler en Inde. Quand le Grand Maître Bodhidharma s'est installé au temple de Shaolin dans les monts Sung-shan [67], et qu'il a fait face au mur pendant neuf ans, les moines et les laïcs étaient encore ignorants du Dharma correct du Bouddha, et ils l'ont [maître Bodhidharma] donc appelé un brahmane ayant fait une religion de zazen. Par la suite, les patriarches des générations suivantes se sont tous constamment consacrés à zazen. Les personnes séculières stupides qui ont vu cela, ne connaissant pas la réalité, on parlé légèrement d'école du zazen. Aujourd'hui, en laissant tomber le mot "za", ils parlent seulement de l'école zen [68]. cette interprétation ressort clairement des recueils des patriarches [69].  On ne doit pas [en] parler [de Zazen] comme de l'état équilibré de dhyâna dans les six pâramitâs et les trois sortes d'entraînements. Que ce Bouddha-Dharma soit l'intention légitime de la transmission de personne à personne n'a jamais été caché à travers les âges. Dans l'ordre du Pic du Vautour, dans les temps anciens, lorsque le Tathâgata donna le Dharma au vén. Mahâkâshapa, transmettant ainsi le trésor de l'oeil du Dharma correct et le bel esprit de Nirvâna, la grande et suprême méthode, à lui seul, la cérémonie eut pour témoins directs des êtres de la foule céleste qui sont présents dans le monde au-dessus de nous, on ne doit donc en aucun cas en douter. C'est une règle universelle que ces êtres célestes garderont et maintiendront le Bouddha-Dharma éternellement; leurs efforts n'ont jamais pâli. Rappelez-vous seulement que cette [transmission de Zazen] est la totale vérité du Dharma du Bouddha; rien ne peut y être comparé.

[40]     [Quelqu'un] demande: "Pourquoi, lorsqu'on discute de l'état d'expérience, les bouddhistes nous recomandent-ils de pratiquer l'état équilibré de dhyâna seulement en s'asseyant, ce qui [n']est [que] l'une des quatre formes de conduite?" [70]

Je dis: Il est difficile de calculer toutes les facçons dont les bouddhas ont successivement pratiqué depuis les temps anciens pour entrer dans l'état d'expérience réelle.Si on veut trouver une raison, on doit se rappeler que ce que les bouddhistes pratiquent est la raison elle-même. Nous ne devons pas chercher [de raison] autre que ceci. Mais un maître ancestral a fait l'éloge [de s'asseoir] en disant: "S'asseoir en zazen est la porte joyeuse et paisible du Dharma."
[71] Donc, en conclusion, il se peut que la raison en soit que, des quatre formes de conduite, [s'asseoir soit la plus] joyeuse et paisible. Qui plus est, [s'aseoir] n'est pas la forme qu'un ou deux bouddhas auraient pratiquée; tous les bouddhas et tous les patriarches possèdent cette façon.

[Quelqu'un] demande: "Par rapport à cette pratique de zazen, une personne qui n'a pas encore fait l'expérience du Bouddha-Dharma et ne l'a pas encore compris peut être en mesure d'acquérir cette expérience en poursuivant la vérité en zazen. [Mais] que peut espérer en tirer [de zazen] une personne qui a déjà clarifié le Dharma correct du Bouddha?"

Je dis: Nous ne racontons pas nos rêves à un sot, et il est difficile de mettre des rames dans les mains d'un montagnard; néanmoins, je dois transmettre l'enseignement. La pensée que pratique et expérience ne soient pas une seule et même chose n'est que l'idée des non-bouddhistes. Dans le Bouddha-Dharma, pratique et expérience sont complètement la même chose. [La pratique] maintenant est aussi la pratique dans l'état d'expérience; en conséquence, la quête de vérité d'un débutant est juste le corps entier de l'état originel de l'expérience. C'est pour cette raison que [les patriarches bouddhistes] enseignent, dans les avertissements pratiques qu'ils nous ont transmis, de ne pas attendre d'expérience en dehors de la pratique. Et la raison pourrait bien en être que [la pratique elle-même] est l'état originel, directement accessible, de l'expérience? Parce que la pratique n'est qu'expérience, l'expérience est sans fin; et parce que l'expérience est pratique, la pratique n'a pas de commencement. C'est ainsi que le Tathâgata Çâkyamuni et le vénérable patriarche Mahâkâshapa furent reçus et utilisés par la pratique qui existe dans l'état d'expérience. Le grand maître Bodhidharma et le patriarche fondateur Daikan [72] furent de même entraînés et conduits par la pratique qui existe dans l'état d'expérience. Les exemples de tous ceux qui ont demeuré dans le Bouddha-Dharma et l'ont maintenu sont ainsi. La pratique qui n'est en aucun cas séparée de l'expérience existe déjà: ayant heureusement reçu la transmission de personne à personne d'un partage de la subtile pratique, nous qui sommes des débutants dans la quête de la vérité possédons directement, dans l'état sans intention, une part de l'expérience originelle. Rappelez-vous, afin de nous éviter de souiller l'expérience qui n'est jamais séparée de la pratique, les patrairches bouddhistes nous ont enseigné de façon répétée de ne pas être relâchés dans la pratique. Lorsque nous oublions la pratique subtile, l'expérience originelle a rempli nos mains; lorsque le corps laisse derrière lui l'expérience originelle, la pratique subtile opère à travers tout le corps. Qui plus est, ainsi que je l'ai vu de mes propres yeux dans la grande Chine des Song, les monastères zen de nombreux districts avaient tous construit des salles de zazen pouvant accomoder cinq ou six cents, voire mille à deux mille moines, qu'on encourageait à rester assis en zazen jour et nuit. Le chef de l'un de ces ordres [73] était un vrai maître qui avait reçu le sceau spirituel du Bouddha. Quand je lui ai demandé la grande intention du Bouddha-Dharma, j'ai pu entendre [énoncer] le principe que pratique et expérience ne sont en aucun cas deux étapes. C'est pourquoi, en accord avec l'enseignement des patriarches bouddhistes, et suivant la manière d'un vrai maître, il encourageait [tout le monde] à rechercher la vérité en zazen; [il encourageait] non seulement les pratiquants de son ordre, mais [tous] les nobles amis qui étaient en quête du Dharma, [tous] ceux qui espéraient découvrir la réalité vraie
dans le Bouddha-Dharma, sans choisir entre débutants et personnes sacrées. N'avez-vous pas entendu les paroles du maître ancestral [74] qui avait dit: "Ce n'est pas qu'il n'y a pas de pratique-et-expérience, mais on ne peut pas la souiller". Un autre [maître] a dit: "Quelqu'un qui voit la voie pratique la voie." [75] Rappelez-vous que même dans l'état d'accession à la vérité, on doit pratiquer.

[44]    [Quelqu'un] demande: "Les maîtres qui ont répandu les enseignements à travers notre pays dans les temps passés sont tous entrés dans la Chine des Tang et y ont reçu la transmission du Dharma. Pourquoi, à cette époque, ont-ils négligé ce principe et n'ont-ils transmis que l'enseignement philosophique?"

Je dis: La raison pour laquelle les enseignants des êtres humains des temps passés n'avaient pas transmis cette méthode était que le temps n'en était pas arrivé.

            [Quelqu'un] demande: "Ces maîtres des temps anciens comprenaient-ils cette méthode?"

Je dis: S'ils l'avaient comprise, ils l'auraient fait savoir à tous.

[45]     [Quelqu'un] demande: "Il a été dit que nous ne devions pas regretter notre vie et notre mort [76], car il y a une façon très rapide de se libérer de la vie et de la mort. C'est-à-dire, de connaître la vérité que l'essence mentale est éternelle. Autrement dit, ce corps physique, une fois né, se rapproche nécessairement de la mort; mais cette essence mentale ne meurt jamais. Une fois que nous avons pu reconnaître que cette essence mentale que ne touchent ni la naissance ni la déchéance [77] existe en notre propre corps, nous voyons ceci en tant qu'essence originelle. Par conséquent, le corps n'est qu'une forme temporaire; il meurt ici et renaît là, il ne demeure jamais constant. [Mais] l'esprit est éternel; il est immuable dans le passé, le futur ou le présent. Savoir ceci s'appelle 's'être libéré de la vie et de la mort.' Ceux qui connaissent ce principe mettent fin aux [au cycle des] vies et morts passées pour toujours et, quand meurt ce corps, ils entrent dans le monde de l'esprit [78]. Quand ils se présentent dans le monde de l'esprit, ils en tirent des vertus merveilleuses comme celles des bouddhas-tathâgatas. Même en connaissant [ce principe] maintenant, [notre corps] est toujours le corps qui, dans les temps passés, a été formé par des comportements induits par l'illusion, ce qui fait que nous ne sommes pas comme les saints. Ceux qui ne connaissent pas ce principe tourneront à jamais dans le cycle de la vie et de la mort. C'est pourquoi nous devons nous dépècher de comprendre ce principe à l'effet que l'essence mentale est éternelle. Même si nous passions toute la vie assis oisivement, que pourrions nous en attendre?  La doctrine que j'ai exprimée ainsi est véritablement en accord avec la vérité des bouddhas et des patriarches, n'est-ce pas?"

Je dis: La vue qui vient d'être exprimée n'est absolument pas en accord avec le Dharma du Bouddha; c'est celle du non-bouddhiste Senika [79].

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Notes:

58- MEIYO no SHINTO. MEIYO signifie "yin et yang." SHINTO, litt., "la Voie des dieux,", est la religion spirituelle ethnique du Japon. L'idée de deux lignées du Shinto, yin et yang, semble tirer son origine des tentatives de l'école Shingon pour réconcilier ses enseignements avec les croyances japonaises indigènes. [retour]
59- Un arhat est une personne qui a atteint l'état ultime (quatrième effet) de srâvaka, c'est-à-dire le niveau ultime de l'apprentissage abstrait du Bouddhisme. [retour]
60- "Le percevoir directement" est JOTO, abbréviation de JOJU-GATTO, litt., "recevoir un coup". Généralement, JOTO signifie être directement frappé par la réalité dans une expérience momentanée. Dans la dernière section de l'oeuvre indépendante Gakudô-yôjin-shu, maître Dôgen explique JOTO, ou "recevoir un coup" comme suit: "En nous servant de ce corps-et-esprit, nous faisons directement l'expérience de l'état de bouddha. C'est cela, recevoir un coup." [retour]
61- KUGE, des "fleurs dans l'espace", ce qui symbolise des images.. [retour]
62- JUNI-RINDEN, la dodécuple chaîne de cause à effet, du sanscrit dvâdassssânga-pratîtya-samutpâda. Voir, par exemple, le SdL 2.56.. [retour]
63- SANJO, "les trois véhicules" ou trois sortes de bouddhistes, sont les srâvakas, ou auditeurs, qui se fondent sur la théorie des quatre philosophies,; les pratyekabuddhas, qui se fondent sur la théorie de la coproduction conditionnée (la dodécuple chaîne de cause à effet); et les bodhistattvas, qui se fondent sur les six pâramitâs (les six accomplissements). Les cinq véhicules sont ces trois, plus les êtres humains et les dieux. [retour]
64- SANGAKU, du sanscrit tisrah siksâh, sont les préceptes, l'état équilibré et la sagesse. [retour]
65- Le mot sanscrit pâramitâ signifie ce qui est arrivé sur la rive opposée, un accomplissement. ROKUDO, les six pâramitâs, sont le don, le maintien des préceptes, la patience, la diligence, la pratique de zazen (dhyâna) et la vraie sagesse. Le mot sanscrit dhyâna fut rendu en chinois et en japonais par un caractère qui se prononce CHAN ou ZEN.
[retour]
66- ICHIDAIJI apparaît dans le Sütra du Lotus. Voir SdL 1.88-90.  [retour]
67- Les monts Sung-shan sont formés de deux pics, TAISHITSU à l'est, et SHOSHITSU à l'ouest. ces montagnes comptaient de nombreux temples bouddhistes; le temple de Shaolin se trouve sur le Pic Shoshitsu. [retour]
68- L'Ecole du Zazen est ZAZENSHU, litt., "Ecole du Dhyâna assis." C'est en laissant tomber le ZA qu'on obtient ZENSHU, litt., "école du dhyâna". [retour]
69- "Recueil" est KOROKU, "archives élargies" et GOROKU, "archive des paroles". [retour]
70- SHIGI, en marchant, debout, assis et couché.  [retour]
71- ZAZEN wa sunawachi ANRAKU no HOMON nari. Ces paroles viennent probablement de maître Choro Sosaku, l'éditeur du Zen-en-shingi, (Purs critères pour les monastères zen). Maître Dôgen cite les mêmes dans le Fukanzazengi. Les mots ANRAKU, "paisible et joyeux" ou "stable et confortable" sont contenus dans le titre du quatorsième chapitre du Sûtra du Lotus, ANRAKUGYO, "La pratique paisible et joyeuse". [retour]
72- Maître Daikan Eno. Voir note 25.   [retour]
73- Maître Tendô Nyôjo. [retour]
74- Maître Nagaku Ejo. La conversation entre maître Daikan Eno et maître Nangaku Ejo est rapportée dans le Shinji-Shôbôgenzô, 2° partie, no. 1. Voir aussi le chapitre 7 du Shôbôgenzô, Senjo, le chap. 29, Inmo, et le chap. 62, Hensan. [retour]
75- Keitoku-dento-roku, chap. 5, dans la section sur maître Honjo. [retour]
76- SHOJI, litt., "la vie et la mort" ou vivre et mourir", titre du chap. 92. [retour]
77- SHOMETSU. SHO ne signifie pas seulement "vie" mais aussi "naissance" et "apparition." Dans ce paragraphe, SHOMETSU a aussi pu être traduit par "apparition et disparition". [retour]
78- SHOKAI, litt., "essence-océan". [retour]
79- L'Avatamsaka-sûtra (appelé Kegon-kyô en japonais, et Sütra de la Guirlande en français) rapporte de nombreuses questions posées au Bouddha par un brahmane du nom de Senika. . [retour]


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