C'est
pour cette raison que, lorsque des shintoïstes des [lignées du]
yin et [du] yang [58] viennent se consacrer,
et lorsque les arhats qui ont fait l'expérience de l'effet [59]
viennent s'enquérir du Dharma, nous donnons à chacun d'eux, sans
faute, les moyens de clarifier l'état mental. C'est une chose
dont on n'a jamais entendu parler dans les autres lignées. Les
disciples du Bouddha devraient simplement apprendre le
Bouddha-Dharma. Qui plus est, nous devons nous rappeler que,
depuis le début, l'état suprême de la bodhi ne nous a
jamais fait défaut, et que nous le recevrons et l'utiliserons à
jamais. En même temps, puisque nous ne pouvons le percevoir
directement [60], nous avons tendance à
générer des idées intellectuelles aléatoires, et comme nous
courrons après ces dernières comme si elles étaient des choses
réelles, c'est en vain que nous passons à côté du grand
état de vérité.
De ces idées intellectuelles prennent naissance toutes sortes de
fleurs dans l'espace [61]: nous réfléchissons
à la dodécuple chaîne [62] et aux vingt-cinq
sphères de l'existence; et les idées des trois véhicules et des
cinq véhicules [63] ou d'avoir [la nature de]
Bouddha et de ne pas avoir [la nature de] Bouddha sont sans
fin. Nous ne devons pas croire que d'apprendre ces idées
intellectuelles soit la voie correcte de la pratique bouddhique.
Lorsque nous sommes simplement assis en zazen, d'autre part, en
nous fondant sur exactement la même posture que le Bouddha, et
en laissant filer les myriades de choses, c'est alors que nous
allons au-delà des aires de l'illusion, de la réalisation, de
l'émotion et de la considération, et que nous ne sommes pas
concernés par les façons de faire du commun et du sacré. C'est
immédiatement que nous partons hors du cadre [intellectuel],
recevant et utilisant le grand état de bodhi. Comment ceux qui
sont pris au piège des mots pourraient-ils se comparer [à ceci].
[37] [Quelqu'un]
demande: "Entre les trois sortes d'entraînement [64],
il y a l'entraînement dans l'état équilibré, et entre les six
pâramitâs [65], il y a la pâramitâ du dhyâna, et
ce sont les deux choses que tous les bodhisattvas apprennent dès le
début et que tous les bodhisattvas pratiquent, sans égard au fait
qu'ils soient malins ou stupides. Le zazen [dont vous parlez]
maintenant est sûrement [seulement] une de ces choses. Pourquoi
dites-vous que le Dharma correct du Tathâgata est concentré sur
cette [pratique de zazen]?"
Je dis: La question se pose parce que ce trésor de l'oeil du Dharma
correct, la grande et suprême méthode, qui est vraiment la grande
affaire [66] du Tathâgata, a été appelée "Ecole
Zen". Rappelez-vous que ce titre d' "Ecole Zen" a été instauré en
Chine et en Orient; on n'en a jamais entendu parler en Inde. Quand
le Grand Maître Bodhidharma s'est installé au temple de Shaolin dans
les monts Sung-shan [67], et qu'il a fait face au
mur pendant neuf ans, les moines et les laïcs étaient encore
ignorants du Dharma correct du Bouddha, et ils l'ont [maître
Bodhidharma] donc appelé un brahmane ayant fait une religion de
zazen. Par la suite, les patriarches des générations suivantes se
sont tous constamment consacrés à zazen. Les personnes séculières
stupides qui ont vu cela, ne connaissant pas la réalité, on parlé
légèrement d'école du zazen. Aujourd'hui, en laissant tomber le mot
"za", ils parlent seulement de l'école zen [68].
cette interprétation ressort clairement des recueils des patriarches
[69]. On ne doit pas [en] parler [de Zazen]
comme de l'état équilibré de dhyâna dans les six pâramitâs et les
trois sortes d'entraînements. Que ce Bouddha-Dharma soit l'intention
légitime de la transmission de personne à personne n'a jamais été
caché à travers les âges. Dans l'ordre du Pic du Vautour, dans les
temps anciens, lorsque le Tathâgata donna le Dharma au vén.
Mahâkâshapa, transmettant ainsi le trésor de l'oeil du Dharma
correct et le bel esprit de Nirvâna, la grande et suprême méthode, à
lui seul, la cérémonie eut pour témoins directs des êtres de la
foule céleste qui sont présents dans le monde au-dessus de nous, on
ne doit donc en aucun cas en douter. C'est une règle universelle que
ces êtres célestes garderont et maintiendront le Bouddha-Dharma
éternellement; leurs efforts n'ont jamais pâli. Rappelez-vous
seulement que cette [transmission de Zazen] est la totale vérité du
Dharma du Bouddha; rien ne peut y être comparé.
[40]
[Quelqu'un] demande: "Pourquoi,
lorsqu'on
discute de l'état d'expérience, les bouddhistes nous recomandent-ils
de pratiquer l'état équilibré de dhyâna seulement en s'asseyant, ce
qui [n']est [que] l'une des quatre formes de conduite?" [70]
Je dis: Il est difficile de calculer toutes les facçons dont les
bouddhas ont successivement pratiqué depuis les temps anciens pour
entrer dans l'état d'expérience réelle.Si on veut trouver une
raison, on doit se rappeler que ce que les bouddhistes pratiquent
est la raison elle-même. Nous ne devons pas chercher [de raison]
autre que ceci. Mais un maître ancestral a fait l'éloge [de
s'asseoir] en disant: "S'asseoir
en zazen est la porte joyeuse et paisible du Dharma."[71] Donc, en
conclusion, il se peut que la raison en soit que, des quatre
formes de conduite, [s'asseoir soit la plus] joyeuse et
paisible. Qui plus est, [s'aseoir] n'est pas la forme qu'un ou
deux bouddhas auraient pratiquée; tous les bouddhas et tous les
patriarches possèdent cette façon.
[Quelqu'un] demande: "Par rapport à cette pratique de zazen, une
personne qui n'a pas encore fait l'expérience du Bouddha-Dharma
et ne l'a pas encore compris peut être en mesure d'acquérir
cette expérience en poursuivant la vérité en zazen. [Mais] que
peut espérer en tirer [de zazen] une personne qui a déjà
clarifié le Dharma correct du Bouddha?"
Je dis: Nous ne racontons pas nos rêves à un
sot, et il est difficile de mettre des rames dans les mains d'un
montagnard; néanmoins, je dois transmettre l'enseignement. La
pensée que pratique et expérience ne soient pas une seule
et même chose n'est que l'idée des non-bouddhistes. Dans le
Bouddha-Dharma, pratique et expérience sont complètement la même
chose. [La pratique] maintenant est aussi la pratique dans
l'état d'expérience; en conséquence, la quête de vérité d'un
débutant est juste le corps entier de l'état originel de
l'expérience. C'est pour cette raison que [les patriarches
bouddhistes] enseignent, dans les avertissements pratiques
qu'ils nous ont transmis, de ne pas attendre d'expérience en
dehors de la pratique. Et la raison pourrait bien en être que
[la pratique elle-même] est l'état originel, directement
accessible, de l'expérience? Parce que la pratique n'est
qu'expérience, l'expérience est sans fin; et parce que
l'expérience est pratique, la pratique n'a pas de commencement.
C'est ainsi que le Tathâgata Çâkyamuni et le vénérable
patriarche Mahâkâshapa furent reçus et utilisés par la pratique
qui existe dans l'état d'expérience. Le grand maître Bodhidharma
et le patriarche fondateur Daikan [72] furent
de même entraînés et conduits par la pratique qui existe dans
l'état d'expérience. Les exemples de tous ceux qui ont demeuré
dans le Bouddha-Dharma et l'ont maintenu sont ainsi. La pratique
qui n'est en aucun cas séparée de l'expérience existe déjà:
ayant heureusement reçu la transmission de personne à personne
d'un partage de la subtile pratique, nous qui sommes des
débutants dans la quête de la vérité possédons directement, dans
l'état sans intention, une part de l'expérience originelle.
Rappelez-vous, afin de nous éviter de souiller l'expérience qui
n'est jamais séparée de la pratique, les patrairches bouddhistes
nous ont enseigné de façon répétée de ne pas être relâchés dans
la pratique. Lorsque nous oublions la pratique subtile,
l'expérience originelle a rempli nos mains; lorsque le corps
laisse derrière lui l'expérience originelle, la pratique subtile
opère à travers tout le corps. Qui plus est, ainsi que je l'ai
vu de mes propres yeux dans la grande Chine des Song, les
monastères zen de nombreux districts avaient tous construit des
salles de zazen pouvant accomoder cinq ou six cents, voire mille
à deux mille moines, qu'on encourageait à rester assis en zazen
jour et nuit. Le chef de l'un de ces ordres [73]
était un vrai maître qui avait reçu le sceau spirituel du
Bouddha. Quand je lui ai demandé la grande intention du
Bouddha-Dharma, j'ai pu entendre [énoncer] le principe que
pratique et expérience ne sont en aucun cas deux étapes. C'est
pourquoi, en accord avec l'enseignement des patriarches
bouddhistes, et suivant la manière d'un vrai maître, il
encourageait [tout le monde] à rechercher la vérité en zazen;
[il encourageait] non seulement les pratiquants de son ordre,
mais [tous] les nobles amis qui étaient en quête du Dharma,
[tous] ceux qui espéraient découvrir la réalité vraie
dans le Bouddha-Dharma, sans choisir entre débutants et personnes
sacrées. N'avez-vous pas entendu les paroles du maître
ancestral [74] qui avait dit: "Ce
n'est pas qu'il n'y a pas de pratique-et-expérience, mais on ne
peut pas la souiller". Un autre [maître] a dit: "Quelqu'un
qui voit la voie pratique la voie." [75]
Rappelez-vous que même dans l'état d'accession à la vérité, on doit
pratiquer.
[44] [Quelqu'un]
demande:
"Les maîtres qui ont répandu les enseignements à travers notre pays
dans les temps passés sont tous entrés dans la Chine des Tang et y
ont reçu la transmission du Dharma. Pourquoi, à cette époque,
ont-ils négligé ce principe et n'ont-ils transmis que l'enseignement
philosophique?"
Je dis: La raison pour laquelle les enseignants des êtres humains
des temps passés n'avaient pas transmis cette méthode était que le
temps n'en était pas arrivé.
[Quelqu'un]
demande: "Ces maîtres des temps anciens comprenaient-ils cette
méthode?"
Je dis: S'ils l'avaient comprise, ils l'auraient fait savoir à tous.
[45]
[Quelqu'un] demande: "Il a été dit que nous ne devions pas regretter
notre vie et notre mort [76], car il y a une
façon très rapide de se libérer de la vie et de la mort.
C'est-à-dire, de connaître la vérité que l'essence mentale est
éternelle. Autrement dit, ce corps physique, une fois né, se
rapproche nécessairement de la mort; mais cette essence mentale ne
meurt jamais. Une fois que nous avons pu reconnaître que cette
essence mentale que ne touchent ni la naissance ni la déchéance [77] existe en notre propre corps, nous voyons ceci
en tant qu'essence originelle. Par conséquent, le corps n'est qu'une
forme temporaire; il meurt ici et renaît là, il ne demeure jamais
constant. [Mais] l'esprit est éternel; il est immuable dans le
passé, le futur ou le présent. Savoir ceci s'appelle 's'être libéré
de la vie et de la mort.' Ceux qui connaissent ce principe mettent
fin aux [au cycle des] vies et morts passées pour toujours et, quand
meurt ce corps, ils entrent dans le monde de l'esprit [78].
Quand ils se présentent dans le monde de l'esprit, ils en tirent des
vertus merveilleuses comme celles des bouddhas-tathâgatas. Même en
connaissant [ce principe] maintenant, [notre corps] est toujours le
corps qui, dans les temps passés, a été formé par des comportements
induits par l'illusion, ce qui fait que nous ne sommes pas comme les
saints. Ceux qui ne connaissent pas ce principe tourneront à jamais
dans le cycle de la vie et de la mort. C'est pourquoi nous devons
nous dépècher de comprendre ce principe à l'effet que l'essence
mentale est éternelle. Même si nous passions toute la vie assis
oisivement, que pourrions nous en attendre? La doctrine que
j'ai exprimée ainsi est véritablement en accord avec la vérité des
bouddhas et des patriarches, n'est-ce pas?"
Je dis: La vue qui vient d'être exprimée n'est absolument pas en
accord avec le Dharma du Bouddha; c'est celle du non-bouddhiste
Senika [79].
58- MEIYO no SHINTO.
MEIYO signifie "yin et yang." SHINTO, litt., "la Voie des dieux,",
est la religion spirituelle ethnique du Japon. L'idée de deux
lignées du Shinto, yin et yang, semble tirer son origine des
tentatives de l'école Shingon pour réconcilier ses enseignements
avec les croyances japonaises indigènes. [retour] 59- Un arhat
est une personne qui a atteint l'état ultime (quatrième effet) de
srâvaka, c'est-à-dire le
niveau ultime de l'apprentissage abstrait du Bouddhisme. [retour] 60- "Le percevoir directement" est JOTO,
abbréviation de JOJU-GATTO, litt., "recevoir un coup".
Généralement, JOTO signifie être directement frappé par la réalité
dans une expérience momentanée. Dans la dernière section de
l'oeuvre indépendante
Gakudô-yôjin-shu, maître Dôgen explique JOTO, ou
"recevoir un coup" comme suit:
"En nous servant de ce corps-et-esprit, nous faisons directement
l'expérience de l'état de bouddha. C'est cela, recevoir un
coup." [retour] 61- KUGE, des "fleurs dans l'espace", ce qui
symbolise des images.. [retour] 62- JUNI-RINDEN, la dodécuple chaîne de cause à
effet, du sanscrit dvâdassssânga-pratîtya-samutpâda. Voir, par
exemple, le SdL 2.56.. [retour] 63- SANJO, "les trois véhicules" ou trois sortes
de bouddhistes, sont les srâvakas,
ou auditeurs, qui se fondent sur la théorie des quatre
philosophies,; les pratyekabuddhas,
qui se fondent sur la théorie de la coproduction
conditionnée (la dodécuple chaîne de cause à effet); et les bodhistattvas, qui se fondent
sur les six pâramitâs (les
six accomplissements). Les cinq véhicules sont ces trois, plus les
êtres humains et les dieux. [retour] 64- SANGAKU, du sanscrit tisrah
siksâh, sont les préceptes, l'état équilibré et la
sagesse. [retour] 65- Le mot sanscrit pâramitâ
signifie ce qui est arrivé sur la rive opposée, un
accomplissement. ROKUDO, les six pâramitâs,
sont le don, le maintien des préceptes, la patience, la diligence,
la pratique de zazen (dhyâna)
et la vraie sagesse. Le mot sanscrit dhyâna
fut rendu en chinois et en japonais par un caractère qui se
prononce CHAN ou ZEN. [retour] 66- ICHIDAIJI
apparaît dans le Sütra du Lotus. Voir SdL 1.88-90. [retour] 67- Les monts
Sung-shan sont formés de deux pics, TAISHITSU à l'est, et
SHOSHITSU à l'ouest. ces montagnes comptaient de nombreux temples
bouddhistes; le temple de Shaolin se trouve sur le Pic
Shoshitsu. [retour] 68- L'Ecole
du Zazen est ZAZENSHU, litt., "Ecole du Dhyâna assis." C'est en laissant
tomber le ZA qu'on obtient ZENSHU, litt., "école du dhyâna". [retour] 69- "Recueil" est KOROKU, "archives élargies" et
GOROKU, "archive des paroles". [retour] 70- SHIGI, en marchant, debout, assis et couché.
[retour] 71- ZAZEN wa
sunawachi ANRAKU no
HOMON nari. Ces paroles
viennent probablement de maître Choro Sosaku, l'éditeur du Zen-en-shingi, (Purs
critères pour les monastères zen). Maître Dôgen cite les mêmes
dans le Fukanzazengi.
Les mots ANRAKU, "paisible et joyeux" ou "stable et confortable"
sont contenus dans le titre du quatorsième chapitre du Sûtra du Lotus,
ANRAKUGYO, "La pratique paisible et
joyeuse". [retour] 72- Maître Daikan Eno. Voir
note 25. [retour] 73- Maître Tendô Nyôjo. [retour] 74- Maître Nagaku Ejo. La conversation entre
maître Daikan Eno et maître Nangaku Ejo est rapportée dans le Shinji-Shôbôgenzô,
2° partie, no. 1. Voir aussi le chapitre 7 du Shôbôgenzô, Senjo,
le chap. 29, Inmo, et le chap.
62, Hensan. [retour] 75-
Keitoku-dento-roku, chap. 5, dans la section sur maître Honjo.
[retour] 76- SHOJI, litt., "la vie et la mort" ou vivre et
mourir", titre du chap. 92. [retour] 77- SHOMETSU. SHO ne
signifie pas seulement "vie" mais aussi "naissance" et
"apparition." Dans ce paragraphe, SHOMETSU a aussi pu être traduit
par "apparition et disparition". [retour] 78- SHOKAI,
litt., "essence-océan". [retour] 79- L'Avatamsaka-sûtra
(appelé Kegon-kyô en
japonais, et Sütra de la Guirlande
en français) rapporte de nombreuses questions posées au Bouddha par un
brahmane du nom de Senika. . [retour]
(Aller
à la quatrième partie)
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