Eihei Dôgen : notice
biographique (repris de Wikipedia)
Enfance
Dôgen est né en 1200 à Uji, près de Kyôto. Son père
Michichika appartenait au clan des Minamoto et était
descendant de l'empereur Murakami (947-967). À cette époque,
le Japon traverse une période de troubles. Le pays est soumis
depuis peu à un double pouvoir : celui de l'empereur et
de sa cour installée à Kyôto, capitale traditionnelle, et
celui des shoguns, sorte de général suprême qui détient le
pouvoir militaire, établi a Kamakura. Dans cette société
féodale les grandes familles se disputent le pouvoir. Les plus
illustres sont les Fujiwara et les Minamoto. Sa mère était la
fille de Fujiwara Motofusa, autre personnalité importante de
la cour impériale. Dôgen vit donc le jour au sein d'une
famille aristocratique bien en place et influente. Mais son
père mourut alors que lui-même était âgé de deux ans et sa
mère lorsqu'il avait huit ans. Le jeune Dôgen reçut
l'éducation appropriée à une telle famille et dès l'âge de
quatre ans il pouvait lire des poèmes en chinois. Malgré cela,
il passa une enfance malheureuse et solitaire, regardant le
caractère illusoire de la lutte pour le pouvoir dans un monde
de chagrin et d'impermanence. Juste avant de mourir, sa mère
lui recommanda de devenir moine afin d'aider au salut de tous
les êtres. Très tôt cet enfant, confronté à de tels
phénomènes, réalisa la nécessité de chercher la vérité au-delà
du monde des apparences. Orphelin, Dôgen fut accueilli par un
de ses oncles, Minamoto Michitomo, un illustre poète qui lui
fit découvrir la poésie, ce qui imprègnera fortement toutes
ses œuvres futures.
Découverte du Bouddhisme
Au cours de sa treizième année, il monta au mont Hiei, près
de Kyôto, au monastère du centre des études bouddhiques, et il
fut intronisé dans l'école Tendai. Son premier maître fut Koen, un des supérieurs de ce monastère.
Mais à cette époque, l'école Tendai entrait dans une phase de
décadence, insistant beaucoup trop sur les cérémonies,
mélangeant les doctrines ésotériques et exotériques,
développant le formalisme de la vie monastique. De plus, des
moines soldats apparurent sur le mont Hiei et le monastère
devenait une forteresse militaire. Dôgen se concentra jour et
nuit sur sa pratique, mais de plus en plus de doutes
l'assaillaient et il ne pouvait en rien réaliser ses
aspirations. Durant ces quelques années passées dans ce
monastère, Dôgen connut le grand doute et sa question centrale
était : « Dans l'enseignement bouddhique, il est dit
que tous les êtres possèdent originellement la nature du
Bouddha. S'il en est ainsi, pourquoi faut-il s'entraîner et
adopter des pratiques ascétiques pour atteindre l'état de
Bouddha ? » Personne ne put lui répondre d'une façon
satisfaisante.
Il décida donc de quitter le mont Hiei, de même que d'autres
moines tels que Honen (1133-1212) ou Eisai (1141-1215),
fondateurs des écoles Jodo et Rinzai, rénovateurs illustres du
bouddhisme japonais. Dôgen rencontra alors maître Eisai,
récemment rentré de Chine, qui enseignait le zen Rinzai. Au
temple de Kennin-ji, il devint le disciple de Myozen,
successeur d'Eisai. Bien que cette école ne le satisfît pas
complètement, il pratiqua profondément et sentit se développer
son intérêt pour la pratique du zen. Érudit, ayant une
connaissance approfondie de nombreux textes bouddhiques, son
exigence remarquable le poussa sans cesse à la recherche de
nouveaux maîtres. Il décida alors de se rendre en Chine, aux
sources du bouddhisme zen.
Voyage en Chine
Il quitta le Japon le 22 février 1223, accompagné de Myozen
et de deux autres moines. À son arrivée, Dôgen décida de
rester quelque temps à bord du bateau pour préparer son
périple. C'est alors qu'un vieux moine monte à bord pour
acheter des champignons. Ce moine, âgé de plus de soixante-dix
ans, était tenzo (cuisinier) dans un temple de la
montagne près de Shanghai. Son visage reflétait une
grande profondeur et Dôgen en fut intrigué. Il l'invita à
passer la nuit sur le bateau, souhaitant discuter avec lui. Le
moine répondit qu'il devait retourner le soir même au temple
car il devait cuisiner. « Dans un grand monastère tel que
le vôtre, dit Dôgen, il y a certainement d'autres moines qui
peuvent préparer le repas. - Je suis vieux, répondit-il, et je
suis tenzo. C'est la pratique de mes vieux jours.
Comment pourrais-je laisser à d'autres ce que je dois
faire ? - Vénérable moine, répondit Dôgen, pourquoi une
personne âgée comme vous devrait-elle faire ce travail si
éprouvant au lieu de lire et d'étudier les
sutras ? » Le moine éclata de rire et dit :
« Jeune ami venu de l'étranger, vous semblez bien
ignorant de ce que signifient la pratique et l'enseignement du
bouddhisme ! » Il l'invita à venir lui rendre visite
dans le temple de son maître, et il le salua. Dôgen fut très
impressionné par cette rencontre et un jour, en 1225, il se
rendit au temple de Nyojo, alors supérieur du temple
Keitoku-ji sur le mont Tendo, dans le Minshu.
Satori
Au cours d'une conversation il demanda au tenzo :
« Quel
est le sens de la lettre? De quelle manière doit-on lire les
sutras? - 1-2-3-4-5 » répondit le vieux moine. Et Dôgen
demanda encore : « Comment faire pour étudier la
Voie, le véritable bouddhisme? - Nulle part la Voie n'est
dissimulée. » Dôgen insista : « Comment faire
pour étudier les sutras, le véritable bouddhisme? -
1-2-3-4-5 » rétorqua le tenzo. Ce vieux moine
incarna pour lui le bouddhisme authentique, ralliant toutes
les connaissances qu'il avait pu accumuler et lui faisant
comprendre I'importance du travail, de la pratique corporelle
et de tous les actes de la vie. Maître Nyojo était un être
exigeant et rigoureux. Un jour, au cours d'une sesshin,
Dôgen reçut un grand choc. Alors qu'il était assis en zazen,
son voisin s'endormit sur son zafu. Nyojo d'une voix
forte s'écria : « Shin jin datsu raku !
Rejetez le corps et l'esprit! » Et il frappa fortement le
moine avec sa sandale, le faisant tomber de son siège. En
entendant ces paroles, l'esprit de Dôgen subit une révolution
intérieure. Après le zazen, il rendit visite à son
maître dans sa chambre. Il lui dit : «Shin jin datsu
raku (j'ai abandonné le corps et l'esprit) ». Nyojo
lui répondit : « Datsu raku shin jin
(abandonne de nouveau le corps et l'esprit) ».
Dôgen resta encore deux ans auprès de Nyojo, puis décida de
retourner au Japon. Son maître lui confirma qu'il était alors
temps de transmettre à son tour I'enseignement du bouddhisme
en aidant les autres à s'éveiller à la vérité universelle.
Retour au Japon
De Chine, Dôgen ne ramena rien d'autre que la pratique du zazen,
shikantaza, telle que la lui avait enseignée son
maître. On lui demanda : « Qu'avez-vous
rapporté ? » Dôgen répondit : « Je suis
revenu les mains vides. » Dans son recueil Eihei
Koroku, il écrira plus tard : « Ayant
seulement étudié avec mon maître Nyojo et ayant pleinement
réalisé que les yeux sont horizontaux et le nez vertical, je
reviens chez moi les mains vides... Matin après matin, le
soleil se lève à l'Est ; nuit après nuit, la lune
s'enfonce à l'Ouest. Les nuages disparaissent et les montagnes
manifestent leur réalité, la pluie cesse de tomber et les
Quatre Montagnes (la naissance, la vieillesse, la maladie et
la mort) s'aplanissent. » Dôgen s'installa d'abord à
Kennin-ji, temple de Myozen, son premier maître avec lequel il
était parti en Chine et qui était mort pendant le voyage.
C'est dans ce temple qu'il écrit son premier recueil : le
Fukanzazengi, les règles universelles pour la pratique
du zazen. C'est le point essentiel de son
enseignement : seulement s'asseoir dans une posture
exacte sans rechercher quoi que ce soit, en laissant passer
les pensées comme des nuages dans le ciel.
Le temple Kosho-ji
Puis Dôgen quitta le temple de Kennin-ji pour s'installer
successivement dans trois temples, tous situés dans la région
de Kyôto : Annyoin, un petit ermitage, en 1230, puis
Kannon Dorin en 1233 et enfin Kosho-ji où, grâce a des
donations, il construisit le premier monastère zen
véritablement indépendant du Japon en 1236. À Kosho-ji il
commença la rédaction des premiers chapitres de son œuvre
monumentale : le Shôbôgenzô, (le Trésor de
l'œil de la Vraie Loi), quatre-vingt-quinze chapitres
qui contiennent l'essence de sa vision philosophique et
religieuse. Entre 1233 et 1243, de nombreux disciples le
rejoignirent et suivirent son enseignement. Sa renommée n'eut
cesse de grandir. Il incitait à pratiquer assidûment et
profondément comme le lui avait enseigné son maître Nyojo. Le
succès de Dôgen, le souffle nouveau qu'il apporta à un
bouddhisme sclérosé, lui attirèrent l'animosité, puis une
hostilité grandissante de la hiérarchie cléricale. Et en 1243,
des moines du mont Hiei tentèrent d'incendier son temple de
Kosho-ji.
Dôgen décida alors de s'éloigner de l'agitation des villes et
des troubles qu'elles peuvent créer dans l'esprit. Grâce a
l'appui d'un disciple laïc, seigneur de la province d'Echizen
(de nos jours préfecture de Fukui), dans le nord-est du pays,
sur la côte de la mer du Japon, il construisit un nouveau
temple, qu'il baptisa plus tard Eihei-ji, temple de la paix
éternelle, dont Ejo plus tard sera le supérieur après sa mort.
Là, dans le calme de la montagne, il continua à enseigner le
zen à ses disciples et poursuivit la rédaction du Shôbôgenzô.
II ne sortit de ce temple qu'une seule fois durant l'hiver de
1247-1248 pour se rendre à la cour du shogun à Kamakura, sur
l'invitation du général Hojo Tokiyori. Tokiyori était
complètement fasciné par Dôgen et lui proposa de rester près
de lui et de lui construire un grand monastère. Dôgen refusa,
préférant la solitude. Il continua à écrire et à pratiquer le
zazen jusqu'en 1252 où, âgé seulement de cinquante-deux
ans, il tomba gravement malade. Il se rendit à Kyôto pour se
faire soigner, sans succès. Il s'éteignit le 22 septembre 1253
au temple de Takatsuji.
Sa philosophie
Par la profondeur et l'originalité de sa pensée, Dogen est
souvent considéré comme le plus grand philosophe du Japon et
l'un des plus importants penseurs de toute l'histoire du
bouddhisme, l'égal de Nagarjuna.
Un des aspects les plus originaux de sa pensée concerne sa
conception du rapport de la partie avec le tout. Selon Dogen,
on ne peut saisir la réalité des choses que sous une forme
déterminée. Ainsi, la vérité bouddhique ne peut apparaître que
sous une forme déterminée. Chaque partie de la totalité du
monde représente cette totalité sous une forme particulière.
On peut donc saisir tout l'univers à travers la présence d'un
seul brin d'herbe, à condition de saisir toute la nature de ce
brin d'herbe. La présence d'un brin d'herbe peut donc
représenter la vérité bouddhique. Cette conception s'applique
aussi au temps. Le temps n'apparaît lui aussi que sous une
forme déterminée appelée instant. La conception
successive du passé/présent/futur est illusoire. Seul
l'instant présent est réel. Par conséquent, chaque instant,
aussi bref soit-il, "re-présente" le temps dans sa totalité
sans qu'il soit nécessaire d'attendre d'autres instants. La
vérité bouddhique du temps est le temps tel qu'il est, le
présent instantané, maintenant.
Un instant qui représente tous les instants, un brin d'herbe
en présence qui représente tous les êtres symbolisent la
vérité bouddhique d'une manière beaucoup plus adéquate que par
le langage. La vérité bouddhique est donc toujours plus ou
moins en conflit avec les expressions conceptuelles qui
tentent de l'exprimer. C'est pourquoi les différentes
expressions de cette vérité à travers l'histoire ne sont que
différentes expressions de ce conflit.
La pensée de Dogen zenji est la forme la plus radicale prise
par les philosophies de l'ici et du maintenant. C'est
pourquoi, si on l'épouse, elle représente à sa manière toutes
les philosophies de la présence. Parmi ces philosophies, celle
d'Heidegger a été comparée à Dogen. Le rapprochement entre
Dogen et Heidegger permet de comprendre pourquoi l'œuvre de ce
dernier a suscité un grand nombre d'études au Japon.